"My natural-born name is Trouble,My middle name is The Blues."
L’un des derniers morceaux enregistrés par le bluesman oublié Abner Jay sonnerait-il comme une épitaphe ? C’est en effet l’impression laissée par My Middle Name Is The Blues, véritable ode au désarroi ; celui-là même qui hante les histoires d’Abner teintées de dépression, de drogue et de misère. Tout un programme résumé ici en deux minutes et quelques quarante secondes.
Sur la route dès ses 5 ans, Abner Jay créa son numéro d’homme orchestre à seulement 14 ans et se mit à parcourir le sud des Etats-Unis avec pour uniques instruments une batterie, un harmonica ainsi qu’un banjo de 1748 hérité d’un aïeul – le tout dans un mobile-home se transformant en véritable scène à ciel ouvert au gré des représentations. Plus étonnant encore, il fut également l’un des derniers bluesmen joueurs d’ os, une pratique musicale répandue au XIXe siècle qui consistait à utiliser des os de bétail comme baguettes de percussion. De quoi, donc, alimenter le mythe autour d’un artiste dont on retrouve finalement peu de traces malgré une impressionnante longévité musicale et des amis tels que Chuck Berry, Elvis et même The Godfather of Soul himself.
Heureusement pour nos jeunes âmes, tous n’ont pas complètement oublié Abner Jay ; ainsi, le label Mississippi Records basé à Portland s’est fait un point d’honneur de faire découvrir ou redécouvrir la musique de cet homme-orchestre à travers plusieurs compilations, dont le mini-album "Last Ole Ministrel Man" documentant sa dernière session d’enregistrement en 1993 - peu de temps avant sa mort la même année - duquel est extraite la chanson dont il est question aujourd’hui.
My Middle Name is The Blues est un morceau curieux. Tout d’abord, son rythme à contretemps évoque plus le dub du fameux dreadeux au mélodica Augustus Pablo que la cadence habituelle du blues ; par ailleurs, le débit habité et le jeu de guitare tout à fait singulier du bluesman participent tout autant à faire de ce morceau une sorte d’anomalie musicale à contre-courant. Et puis il y a cette violence exposée à travers des mots sans détour ("I have never known nothing but your trouble / well, your trouble and your hate and scorn / My dad, he died in a train wreck / My momma, she was born to lose"), d’autant plus brutale qu’elle est ici synonyme de fatalisme. Portée par l'énergie du désespoir, la complainte garde néanmoins un certain éclat qui transforme une sombre énumération de malheurs en une sincère profession de foi en la musique.
C'est beau comme un arc-en-ciel en plein orage.
Et parce que le concept de l’homme orchestre ne se résume pas à notre star nationale Rémy Bricka, je vous laisse découvrir en images l'univers farfelu de cet outsider qui sera resté fidèle à sa caravane et à son banjo toute sa vie. Si ça ce n'est pas de l'obstination...
(Extrait du dernier concert d'Abner Jay au Grassroots Festival de Trumansburg, 1993)
Nina Strebelle
La rythmique de ce morceau est incroyablement prenante, j'adore.
RépondreSupprimerC'est clair, la rythmique m'a vraiment fait halluciner la première fois que j'ai écouté ce morceau tellement elle est étrange.
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