C'est entendu.

lundi 14 février 2011

[Vise un peu] Seefeel — Seefeel

Seefeel dans sa première incarnation aura été à la croisée des chemins, entre shoegaze, IDM et ambient techno ; un groupe à la fois étonnant et facilement émouvant, dont les boucles répétitives et les mélodies tour à tour aériennes ou subaquatiques, toujours enveloppantes, auront marqué leur époque malgré une carrière plutôt courte (de 1992 à 1996).


(Moodswing, sur "Pure, Impure" ou "Polyfusia")


Seefeel aura aussi été un groupe en perpétuelle évolution : leurs premiers disques (dont le premier album, "Quique", et plusieurs EPs qui sortiront regroupés sur la non moins indispensable compilation "Polyfusia") étaient portés par la voix de Sarah Peacock et laissaient encore une grande part aux guitares et aux mélodies ; paradoxalement, ce sont aussi ces disques-là où la répétitivité des pistes se faisait le plus sentir, même si des morceaux tels que Polyfusion, Moodswing ou Time to Find Me étaient parfaites, entre mélodies ensoleillées, presque aériennes, et sentiment d'être en autarcie, en sécurité, dans une bulle de son agréable dont on voudrait ne pas sortir. Le son du groupe est par la suite devenu de plus en plus électronique, ambient et sombre au fil des albums : "Succour" avait une ambiance beaucoup plus nocturne et intérieure que "Quique", et la voix de Sarah, d'alanguie et nonchalante sur "Quique", devenait quasi-fantômatique et semblait résonner à travers de grandes machines et des paysages à moitié visibles dans le noir. ("Succour" est excellent et reste à ce jour l'un de mes albums préférés à écouter la nuit.) Le dernier disque du groupe avant sa séparation, "(CH-VOX)", supprimait quasi-totalement la voix et virait complètement vers l'ambient, au risque de sonner trop dépouillé, trop sombre, comme si le groupe n'était plus que l'ombre de lui-même ; un opus moins convaincant, qui reflétait peut-être les tensions qui ont fini par déchirer le groupe original… puis ce fut le hiatus, le silence radio pendant pas moins de douze ans. Seul un remix de Spangle par Autechre sortit en 2003 vint nous rappeler à quel point le groupe nous manquait…

Et puis, Seefeel s'est reformé en 2008 avec de nouveaux membres : le leader Mark Clifford et la chanteuse Sarah Peacock sont toujours là, mais Daren Seymour et Justin Fletcher ont été remplacés par Shigeru Ishihara (a.k.a. DJ Scotch Egg) et Iida Kazuhisa (ex-batteur des Boredoms). Après la sortie l'an dernier d'un EP ("Faults") prometteur mais un peu trop statique et qui laissait l'auditeur sur sa faim, c'est un album à la fois surprenant et dans la suite logique de son parcours que nous propose Seefeel : attendu car les éléments qui avaient fait la renommée du groupe sont là, les boucles entre guitares et électronique, la voix de Sarah, un son intérieur et prenant… et surprenant, car dès la première piste, le groupe semble avoir emprunté un chemin où on ne l'attendait pas : un son quasi-aggressif, qui semble jouer sur des "erreurs" volontaires et met plus que jamais les sons électroniques en avant.




(Dead Guitars)



Est-ce pour se renouveler ou par l'influence des nouveaux membres que le groupe a pris cette nouvelle direction ? La courte intro O-on One commence par ce qui ressemblerait presque à de la noise music, et Dead Guitars enchaîne avec un rythme sec et complexe, de fortes distortions, des sons tranchés net ou qui semblent endommagés… c'est un Seefeel teinté de glitch, qui semble tirer son inspiration des albums récents d'Autechre, que l'on entend là — même si, malgré tout cela, la musique évolue souvent vers le même schéma qui a fait le succès du groupe auparavant : une luminosité, une beauté sous-jacentes, enfouies sous un écran de bruit (cette fois décidément électronique — l'esthétique shoegaze traduite par des sons électroniques ?). Dead Guitars et Faults (qui, en contexte, apparaît nettement comme la piste la plus proche du Seefeel des débuts) sont en tout cas très réussies ; on retiendra également Rip-Run avec son rythme quasi-dansant (qui rappelle celui de Gatha sur "Succour", en plus moderne).


Et pourtant, il y a des choses qui gênent dans ce nouvel album (homonyme, comme si ça signifiait quoi que ce soit) : tout d'abord, ces sons semi-glitch semblent un peu trop dans l'air du temps, avoir été (souvent) entendus ailleurs, et font perdre au groupe un peu de son originalité (l'hybridation avec ce genre de sons peut donner des résultats intéressants, comme sur "Year Zero" de Nine Inch Nails où les erreurs volontaires se greffaient sur des chansons pop/rock/indus, mais il s'agissait là de l'hybridation d'un son avec une écriture ; chez Seefeel, il s'agit plutôt d'un son qui semble lorgner vers un autre, et qui du coup tombe en position de faiblesse).

Ensuite, beaucoup des pistes de l'album semblent favoriser un peu trop la forme au fond, les textures aux mélodies, et finissent par se ressembler toutes et à perdre de leur âme et de leur effet. Comme si le groupe avait un problème au niveau de l'écriture et tentait de masquer cette faiblesse par un écran de bruit (le même à travers tout l'album). "Seefeel" manque de moments et de mélodies mémorables comme il y en avait sur "Polyfusia", "Quique" et "Succour", et si l'album reste honorable, s'il contient toujours de beaux éléments qui poussent à continuer l'écoute, il faut bien avouer qu'il souffre de la comparaison avec les disques précédents.



(Rip-Run)


Malgré tout cela, "Seefeel" reste un meilleur album que "(CH-VOX)" ou l'EP "Faults" ; c'est un disque imparfait mais qui vaut le coup d'être écouté, un retour bienvenu de la part d'un groupe à la réputation méritée, qui n'a pas eu peur d'avancer et de proposer un son nouveau, tout en gardant une bonne partie de ses qualités (qui n'ont à ma connaissance pas été surpassées par un autre groupe). Espérons que le groupe évoluera vers d'autres directions dans l'avenir, tout en gardant cette esthétique qui fait leur charme… on les suivra avec bonheur.


— lamuya-zimina

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