Je ne voudrais pas avoir l'air du petit merdeux qui a tout découvert avant tout le monde, celui qui s'imagine que chacun de ses pas peut à tout moment retourner la terre pour révéler à la face du Monde stupéfaite l'or pur qui dormait sous ses pieds. Pour tout vous dire, je ne connais pas grand chose à la musique d'avant 1990, et je n'ai découvert "Friends of Mine" des Zombies que le mois dernier. Mais quand même, il y a des moments particuliers où l'on découvre quelque chose d'inconnu par hasard, et où l'on sait pertinemment que cela ne restera pas enfoui longtemps.
Comme des milliers de gens à travers le monde, la jeune et angélique Charlotte Loseth a une belle voix cristalline et aime à occuper son temps libre en chantant des chansons, s'accompagnant à la guitare ou au piano. Un jour, elle ouvre un compte sur YouTube, et à l'aide de sa webcam, elle se filme en train de jouer quelques reprises, notamment d'Animal Collective, à sa façon (angélique et cristalline donc). S'ensuit un petit succès, probablement autant dû à la qualité de ses interprétations qu'a l'image virginale qu'elle renvoie à travers ses vidéos : un physique frêle sous une lumière abondante, la piètre qualité du son ne faisant qu'accentuer l'atmosphère quasi mystique de l'ensemble.
(Island cottage)
(Island cottage)
Mais Charlotte a d'autres envies que de jouer les juke-box messianiques, et sur son compte BandCamp fraîchement ouvert, elle publie son premier EP "Smudges" en avril 2010, dans l'indifférence générale. Logique : elle n'en fait aucune promotion et ne donne pas de concerts. Aussi, quand elle en sort une version retravaillée en juin 2010, en le baptisant cette fois-ci de son nom de scène, "Sea Oleena," c'est le même accueil qui lui est réservé. Dans un premier temps.
Car Internet peut être magique, parfois. Je ne parle pas seulement des innombrables sites pornographiques qu'on y trouve, mais aussi et surtout des formidables possibilités qu'il offre en matière de communication entre les êtres. C'est un cliché de dire ça, mais sur Internet, tout peut aller très vite, et tout ce qui y est publié est potentiellement visible. On regarde une vidéo qui nous plait, on clique sur un lien, on écoute un album, on est enthousiasmé, on se rend sur son forum musical préféré, on partage cette découverte, d'autres internautes vont écouter l'album, et de fil en aiguille, un blog musical parle de l'album, puis deux, puis dix, puis un blog affilié à Pitchfork, puis Pitchfork lui-même. On en est là pour l'instant ; et j'ose croire que ça ne s'arrêtera pas là pour Sea Oleena. Non seulement cette jeune fille a tout pour plaire, mais en plus, il faut bien le dire, cet EP est bel et bien l'un des tous meilleurs disques de l'année.
Partant du canevas "Smudges," Charlotte Loseth a pu, pour ce "Sea Oleena," compter sur l'aide de son frère Luke (aka Felix Green) pour donner plus de profondeur à ses compositions et y ajouter une touche de psychédélisme. Il en résulte vingt-cinq minutes de musique, avec pour fil conducteur cette voix baignant subtilement dans une atmosphère éthérée. L'ouverture Swimming Story donne le ton du disque, comme un condensé de ce qui sera traité individuellement par la suite. Pour le reste, on navigue d'une folk sur fond de collages pop (Cold White Sheets/Empty Bed) à une chanson tout droit sortie d'une bande son imaginaire de la troisième saison de Twin Peaks (Island cottage), en passant par un mantra juvénile de sept minutes en deux accords (Little Army). L'ensemble est d'une maturité incroyable, tant dans le songwriting que dans la production qui mêle très habilement découpages sonores et prises de son lo-fi.
L'album n'est pour l'instant disponible qu'en téléchargement sur son BandCamp, sur le modèle "pay-what-you-want" de "In Rainbows," mais on peut compter sur une prochaine sortie en CD, comme sur de futurs concerts (au moins dans son Canada natal pour le moment). De mon côté, je rêve secrètement d'un LP acoustique moins produit, façon "Songs of Leonard Cohen," "The Pirate's Gospel" ou "Pink Moon," une direction que son dernier morceau en date pourrait laisser supposer...
Joseph Karloff
Très sympa cet EP, oui. C'est un des rares trucs du genre qui a retenu mon attention cette année.
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