C'est entendu.

lundi 20 septembre 2010

[Fallait que ça sorte] Coil

Coil était un groupe expérimental britannique, fondé en 1982 par John Balance et Peter "Sleazy" Christopherson ; c'était un groupe majeur de la scène post-industrielle, un groupe même incontournable pour qui s'intéressait à ce genre de sons. Sur plus d'une soixantaine de disques, Coil a fait partie de ces groupes polymorphes qu'on ne pouvait pas cerner avec un seul album : de la musique "solaire" (*) de The anal staircase ("Horse Rotorvator," 1986), violente et provocatrice où John Balance chante sauvagement sur un sample du Sacre du Printemps d'Igor Stravinski accouplé à un rythme industriel et des carillons déchaînés, à la musique "lunaire" (*) de The dreamer is still asleep (sur "Musick to Play in the Dark," 1999), piste de neuf minutes profondément nocturne et onirique avec son piano lent et son chant apaisé, il y avait tout un monde... Plusieurs mondes même, si l'on compte les incursions du groupe dans l'électronique idiosyncratique (avec l'album "Love's Secret Domain" — qui aurait notamment inspiré Autechre —), les longues pistes méditatives à la fois envoûtantes et désolées (Astral Disaster), les drones hypnotiques (Time Machines, Queens of the Circulating Library), jusqu'à la noise music sur un album ("Constant Shallowness Leads to Evil," 2000) et j'en passe.



(Slur, sur "Horse Rotorvator")

Et malgré cette profusion de styles, on retrouvait la voix profonde et envoûtante de John Balance et toujours l'habileté du duo (rejoint selon les albums par Thighpaulsandra, Ossian Brown, Danny Hyde, Marc Almond, Rose McDowall, Jim Thirlwell...) à produire des univers sonores originaux, beaux et étranges. Passés les deux premiers albums du groupe où des chansons parfois macabres aux structures relativement conventionnelles étaient entourées d'interludes et d'instrumentaux quasi-industriels, Coil s'éloigna des formats de chansons habituels; les pistes devinrent plus longues, les paroles parfois plus rares et souvent répétées comme des chants rituels, sur des musiques qui combinaient allègrement acoustique et électronique. Le groupe n'hésita pas à utiliser des sons et des effets qui pourraient sembler kitsch, à tenter des associations inhabituelles, à s'autoriser introductions et progressions lentes, confiants en leur esthétique si particulière.


(Red Queen, sur "Musick to Play in the Dark")

Les thèmes abordés par Coil tournaient autour de la spiritualité et du paganisme (John Balance croyait en une "spiritualité en la nature"), de l'homoérotisme (le duo était aussi un couple) et de la mort, avec des lignes qui pouvaient parfois paraître absurdes ou étranges (surtout en concert, où Balance semblait improviser et chanter à moitié en "écriture automatique"). Coil était ainsi un groupe capable d'écrire une piste de neuf minutes sur les brocolis pour nous rappeler d'honorer la mémoire de nos parents, ce qui pouvait paraître complètement incongru à la première écoute mais finissait par prendre tout son sens.

(La pochette de "Love's Secret Domain")

Parmi les albums majeurs du groupe, je vous recommande tout particulièrement "Love's Secret Domain" (difficile mais particulièrement original et varié), "Musick to Play in the Dark" (la phase la plus "lunaire" et nocturne de Coil), "The New Backwards" (électrique et hypnotique) et "Moon's Milk (in Four Phases)," qui combine quatre EPs avec pour thème une saison chacun, quatre facettes très différentes du groupe, souvent surprenantes d'ailleurs. Certain(e)s préfèrent la première période du groupe, notamment avec "Horse Rotorvator" mais j'avoue que je le trouve un peu inégal...


(Copacaballa, sur "The New Backwards")

John Balance s'est malheureusement éteint en 2004, mettant fin aux activités du groupe ; seuls deux albums posthumes furent édités, "The Ape of Naples" et "The New Backwards," qui "ressuscitent" l'album perdu "Backwards" (censé sortir vers 2000 sur Nothing Records, le label de Trent Reznor). Peter Christopherson compose et joue aujourd'hui avec Throbbing Gristle, avec Ivan Pavlov (COH) sous le nom Soisong, et en solo sous l'alias The Threshold HouseBoys Choir. Les disques de Coil étant pour la plupart épuisés et difficiles à trouver (évitez les rééditions du label Some Bizzare, pour lesquelles le groupe n'est pas payé !), un "codex" comprenant la discographie intégrale du groupe serait en préparation... Je ne suis pas du genre à vouloir posséder absolument tout ce qu'a fait un groupe d'habitude, mais je crois honnêtement que pour Coil, ça vaudrait le coup.


lamuya-zimina



(*) C'est pas moi qui le dis, hein, c'est eux. Vous pouvez me reprocher "accouplé à des carillons déchaînés" et "profondément nocturne et onirique" par contre. (J'espère que le reste de l'équipe de C'est Entendu saura m'arrêter à temps si je me mets à vouloir parler de "souffle tempétueux qui gagnera toutes les âmes" ou de "réverbères qui font couler leurs lumières de caramel blond dans un ciel de cobalt aussi parfait qu'un chapeau de mage"..!)

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