C'est entendu.

mardi 25 mai 2010

[Tip Top] 4 Disques Inécoutables - Vos étalons pour les semaines à venir





1) The Shaggs - Philosophy of the World (1968)

Tout le monde aime The Shaggs. Frank Zappa ("Un des meilleurs groupes du monde!"), Lester Bangs ("Better than the Beatles and DNA too" disait-il), Kurt Cobain, Deerhoof. Tout le monde. Et c'est normal. Parce que trois adolescentes qui montent un groupe de rock sous l'impulsion de leur papa autoritaire à qui l'on avait dit quand il était jeune en lui lisant les lignes de la main "vous aurez des filles et elles formeront un groupe de musique populaire" et sortent un album en 1968 complètement inécoutable, c'est forcément merveilleux. Les sœurs Wiggin ne savaient pas jouer de leurs instruments, il vous faudra 20 secondes pour vous en rendre compte. Tout l'album est hors-rythme, avec des harmonies vocales un peu fausses et des guitares accordées et jouées très sommairement. Mais ça, The Shaggs ne le ressentaient pas. Pour elles, tout allait bien, elles faisaient ça avec soin, c'était leur manière de jouer : en chantant qu'il faut aimer ses parents ou que c'est bientôt Halloween et ça donne ce chef d'œuvre de pur amateurisme qui, après une première écoute atterrée, devient finalement un naufrage terriblement attachant, original et brut, la version la plus primaire du rock&roll mais aussi peut-être la plus douce, un beau massacre dans son ultime naïveté.


(My Pal Foot Foot)








2) Lou Reed - The Bells (1979)

La carrière discographique de Lou Reed n'est pas une ligne droite, et si "The Bells" devait être qualifié vis à vis de la psyché de Lou, il serait un trouble bipolaire aigu. Imaginez un peu le chanteur maniéré de Walk on the Wild Side produire son disque le plus écrit (et probablement celui qui descend le moins directement du Velvet Underground), y chanter faux sur la moitié des chansons et s'inspirer autant d'Edgar Poe que des Stranglers, des Bowie/Iggy berlinois que du rock gothique anglais, tout en ayant la jugeotte nécessaire pour SAVOIR que vous bondirez de dégoût dès les premiers mots chantés, qui, en conséquence ne pouvaient être que "Stupid Man."


(Stupid Man)








3) Muslimgauze - Jaal Ab Dullah (1997)

Bryn Jones était originaire de Manchester, et de 83 jusqu'à sa mort en 99 (puis par voie posthume) il a publié une infinie quantité de musique aux antipodes de ce que le nord de l'Angleterre est habitué à produire. Jones n'est, je crois, jamais sorti du pays, et pourtant ses disques semblent tous avoir été enregistrés aux quatre coins du Moyen Orient par un illuminé vaguement politisé. Sur cet album-là (et pourquoi pas un autre - parce que c'est celui par lequel j'ai découvert Muslimgauze, et merci à Mark Richardson), Jones propose à qui ose l'entendre (et parvient à se la procurer) une musique instrumentale faite de beats électroniques saturés lorgnant parfois vers le hip hop, de sonorités orientales (on entend des instruments traditionnels et notamment de nombreuses percussions et du sitar, mais aussi des samples de voix, comme captées sur un marché à Kaboul) profondément encrassées par de violentes distorsions, parfois aux limites de la nosie music, et tout ça porte des titres du genre Extreme Anti-Arab Zionist, Ultra Orthodox and No Cheating, ou encore Kabul is free under a veil, dont je vous propose d'écouter la jumelle :


(Kabul isn't free under a veil)








4) Syzygys - Eyes on Green (Syzygys Live at Roppongi Inkstick 1988)

Un peu de solfège : dans la gamme chromatique, qui va de demi-tons en demi-tons, il y a normalement 12 notes. Tout le monde les utilise. Mais cette division arbitraire des hauteurs n'est pas suffisante pour les deux japonaises de Syzygys, duo existant depuis 1985. Elles utilisent donc les règles de la microtonalité, c'est à dire qu'entre Do et Do#, il y a encore des notes impossibles à nommer, se basant sur les intervalles d'Harry Partch, avec des quarts de tons. Le groupe a créé pour l'occasion un clavier modifié qui couvre un octave (d'un Do à un autre) non pas sur 13 touches mais sur 43. Si tout cela peut sembler bien complexe et ennuyeux (je suis sur que j'ai perdu la moitié des lecteurs), ne partez pas tout de suite : Syzygys est un groupe POP. Ainsi, ce live si bien enregistré qu'on dirait un enregistrement studio est une suite de morceaux qui mêlent des mélodies efficaces sur une pop synthétique réjouissante, tout en offrant une certaine recherche avant gardiste qui, si elle peut ne pas frapper les oreilles du néophyte, donne tout de même une "impression" de décalage, de fausseté non-usuelle qui est passionnante.


(Eyes on Green)


Ne restez pas sur vos acquis ! Bousillez-vous les tympans ! Flinguez-vous les neurones sciemment ! La musique n'est pas une commodité, elle est une bataille ! Procurez-vous l'un de ces étalons et écoutez-le en entier, plus d'une fois, jusqu'à ce que du sang vous coule par les narines, jusqu'à ce que vous fassiez un pas conscient hors de votre carré de gazon, jusqu'à ce que vous ayez envie de vous en procurer un autre !


Emilien Villeroy & Joe Gonzalez

6 commentaires:

  1. Enfin quelqu'un qui joue de la batterie comme moi. Je suis officiellement fan des Shaggs.

    Lou Reed m'a fait très mal.

    J'ai souffert avec Jaal Ab Dullah.

    Et je suis presque mort avec Syzygys.

    Article réussi.

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  2. Pile le commz que j'attendais comme Léo Messi ! Merci José :)

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  3. Terrifiant Lou Reed...

    Muslimgauze c'est excellent, mais après un coup d'oeil sur allmusic, j'me sens un peu désemparé : c'est quoi cette discographie ?! C'est totalement idiot hein mais ça procure une certaine satisfaction de se dire qu'on connait un peu un artiste, qu'on a écouté au moins une fois chacun de ses albums. Et quand je tombe sur un type qui a 135 albums à son actif, ça me refroidit. C'est pour ça que j'ai jamais écouté Zappa...
    Bref, à l'aide, j'écoute quoi ?

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  4. Ben commence par Jaal Ab Dullah ! Ou alors essaie peut-être Izlamaphobia, qui est un bon début.

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  5. J'aime plutôt bien Muslimgauze. Dommage que le morceau soit si looooong.

    Très sympa, Syzygys !

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