Il y a des gens qui ont envie de détruire tout ce qu'ils font, juste pour le plaisir. Des gens qui se sacrifient sur l'autel de la puérilité et du potache pour rire. The Frogs étaient comme ça. Ils l'ont presque pas fait exprès. Les frères Flemion faisaient de la musique pop entre eux, des morceaux rigolos, avaient sorti un album tous seuls, et puis au moment d'être signés sur un label, au lieu de rééditer ce premier essai, le patron de la maison de disque a dit "hé, les gars, j'ai entendu vos morceaux un peu improvisés que vous faites chez vous avec des paroles complètement hardcore sur l'homosexualité. Vous voulez pas faire un album avec ça ?" Le reste appartient à l'histoire. Les tournées en première partie des Smashing Pumpkins, les lives avec des déguisements, les attaques de groupes conservateurs chrétiens expliquant que The Frogs pervertissait la jeunesse. Oui, l'Histoire se souvient de "It's Only Right And Natural," sorti en 1989.
Cet album est la tentative la plus brillante d'auto-sabotage musical au monde. Sur les 14 morceaux qu'on peut y entendre, on a des types qui improvisent de la pop/folk mignonne, assez douce, mais qui décident de tout réduire en bouillie en écrivant des paroles d'une stupidité sans nom à prendre au second degré sinon rien. Le thème ? L'homosexualité dans ses clichés les plus osés, avec beaucoup d'évocations d'orgies, de coïts passés et de foutre. The Frogs sont des types qui composent un morceau qui pourrait être un joli petit truc déprimant avec plein d'accords mineurs, et qui décident de chanter dessus "start by kissing my ass/i'll start by rubbing your balls/what will we do later on when the butter runs out ?" avec des voix ultra sérieuses. Est-ce que le but est de faire rire, de choquer, de dénoter des clichés ou tout ça à la fois ? On n'en sait rien, mais reste au final ce disque étrange, cet hybride débile dans lequel on trouve des tubes bancals samplés par Beck (I Don't Care It U Disrespect Me et ses paroles du genre "Lots of juicy asses hanging out !"), des petits mélodies tristes qui racontent l'histoire d'un bébé de trois mois qui suce un pénis en costume de cuir et avale une testicule (Baby Greaser George, sic, sic, sick) ou alors l'ironie délicieuse de (Thank God I Died In) The Car Crash avec ses violons dissonants et crasseux qui se dissipent au moment de l'arrivée au paradis (ou la morgue) malgré le regret éternel du narrateur "oh, i didn't wear my best clothes to my death..." Dans le morceau que je vous propose d'écouter ce matin (dans le player à gauche), on part pour les tropiques avec des guitares à l'envers. Dans un premier temps, notre narrateur nous raconte qu'il se fait huiler le corps par de beaux jeunes hommes, ajoutant "I can't remember when I've been so hard," avant d'évoquer ensuite Hot Cock Annie, une femme possédant un pénis et un vagin combinés, et nous donnant ce conseil de sage : "get her from behind." Puis, après un petit paragraphe sur Big Fat George et son gros cul que tout le monde pelote, la chanson se termine abruptement sur ces paroles définitives : "This is a crazy faggy town we live in, but it doesn't matter to me, I've changed my ways, people say I'm gay."
(Hot Cock Annie, version live plus rock and roll en 1988, extrait de la cassette vidéo Toy Porno que le groupe avait produite en guise de cadeau pour Kurt Cobain qui était fan)
Oser sortir tout un album comme ça me rend admiratif.
Emilien Villeroy
Quelle bonne idée, Emilien,de nous ressortir cet album de derrière les fagots.
RépondreSupprimerMagnifique album dans un style vraiment unique et que tu décris avec beaucoup de talent et précision. Leurs autres albums,je les ai revendu n'aimant que celui-ci et du coup je me le suis réécouté ce matin : écoute relaxante et éprouvante en même temps !
Rare (dans le rock) d'entendre la langue de Shakespeare être aussi élégamment énoncée :album qui devrait être écouté à tous les cours d'anglais pour apprendre du vocabulaire et améliorer sa prononciation (pour les hétéros,et dans un style peut-être moins direct,plus allusif,plus littéraire et romantique mais non moins potache et adolescent dans les textes,lui préférer son cousin ,le premier Violent Femmes ?!)
Après cette écoute,et pour rester dans un certain univers post-moyen-âgeux de troubadours baroqueux/pop improbables et déjantés qui me font toujours et encore apprécier une certaine langue et un certain esprit anglo-saxon,j'ai ressorti et écoute actuellement l'album Royal Bastard de King Of Luxembourg.
Agréable matinée ma foi !
Vraiment à part et anachronique ,les Frogs, à leur époque (1989) où l'on était tout de même encore plongé dans un certain monde musical underground indie américain pur et dur (mis à part peut-être pour les Butthole,les plus durs parmi les durs, mais aussi proches cousins homophobes des Frogs ?!!) qui se prenait quand même parfois très au sérieux et n'était pas toujours très rose ! (années Reagan ?)
Les Frogs peuvent d'ailleurs faire figure de réels précurseurs (15 ans auparavant !) de toute cette ribambelle de groupes Lo-fi-glam-pop-folk à l'esthétique décomplexée ( naiveté enfantine affirmée) dont on ne compte plus les innombrables mais protéiformes représentants depuis quelques années. Sans faire de jeux de mots homophobes,je crois que les Frogs ont ouvert la brèche.
Sans vouloir faire de jeu de mot homophobe,je dirais que les Frogs ont ouvert la bréche.
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