C'est entendu.

vendredi 2 avril 2010

[Vise un peu] Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra - Kollaps Tradixionales

A la rédaction, l'annonce d'une nouvelle sortie sur le label canadien Constellation (dont je vous avais déjà touché quelques mots au détour d'un réveille-matin) ne provoque pas le même émoi chez tout le monde, entre les observateurs distants, les fans sur le retour et les récents admirateurs dont je fais partie. Par contre dès qu'il s'agit de Silver Mt. Zion, ou de l'un de leurs noms d'emprunt, on est toujours tous impatients de suivre l'évolution de ce groupe passionnant qui en dix ans a d'abord exorcisé son désespoir avec de longues plages instrumentales (on utilise le plus souvent le terme de "post-rock," même si eux refusent le terme), avant de le chanter avec une ferveur collective bouleversante puis de le hurler sur des compositions de près d'un quart d'heure qui explosaient en codas enragées sur le très violent "13 Blues For Thirteen Moons" en 2008. En dehors des modes et sans le moindre faux pas, Silver Mt. Zion nous avaient peut-être apporté les plus beaux frissons de la décennie passée, et étaient cette fois-ci attendus au tournant.

Jessica Moss (violon), David Payant (batterie et orgue), Sophie Trudeau (violon),
Thierry Amar (contrebasse), Efrim Menuck (guitare, piano).
"And everybody sings", comme il est écrit dans le livret.

Que l'on se rassure, le groupe n'a rien perdu ni de sa rage ni de son désespoir, mais ils l'expriment cette fois de manière moins homogène que sur l'album précédent. Les registres sont plus variés et l'on passe au sein d'une même "suite" (comme plusieurs autres de leurs albums, "Kollaps Tradixionales" a été pensé pour le format double vinyle : sur chacune des quatre faces, un long morceau d'un quart d'heure, ou parfois plusieurs en variation sur le même thème) de la douceur enveloppante et délicate de la vignette épuisée Collapse Traditional (For Darling) à la jouissive Kollaps Tradicional (Bury 3 Dynamos) (en écoute dans le lecteur à gauche) où des cris se répondent en canon par dessus un riff hard-rock tordu craché par des guitares et violons à la fuzz poisseuse, et où chaque changement d'accord que l'on attend en se convulsant prend malgré tout par surprise et sonne comme un uppercut salvateur. Malgré cette diversité, le groupe ne ressemble toujours à rien d'autre qu'à lui-même, et c'est entre autres grâce au son de l'album, direct et puissant mais également capable de la plus grande finesse, écrin parfait à des morceaux aux nuances aussi subtiles que 'Piphany Rambler, qui clôt l'album. Cette lente marche funèbre et majestueuse semble flotter sur des pleurs de violons et de larsens discrets, puis s'élever lentement, retomber dans une tristesse absolue et enfin s'envoler en un final libérateur où tout semble s'écrouler autour de soi et où l'on hurle pour être bien certain de vivre encore. La vraie force cathartique là-dedans, c'est de sentir les éléments se nouer entre eux peu à peu, de sentir une composition surgir de rien ou presque, se former autour de soi et venir vous prendre à la gorge pour ne plus vous lâcher jusqu'à l'explosion.

Cette variété n'est pas vraiment une nouveauté, c'est davantage une synthèse des différentes ambiances qui ont traversé la carrière du groupe. Non, l'évolution apportée par "Kollaps Tradixionales" est plus subtile. Elle passe d'abord par l'écriture qui met un peu de côté le schéma de la montée crescendo pour aller vers quelque chose de plus narratif, où les structures évoluent et se ramifient tout en restant tissées autour d'un thème. Par exemple, Metal Bird n'est pas le bloc de krautpunk brut que les premières versions lives laissaient envisager. Oh certes, le morceau (ou plutôt la suite des deux morceaux qui occupent la deuxième face) est toujours construit sur une rythmique impaire et des violons infernaux répétitifs, mais étonne par son foisonnement, sa profusion de mélodies vocales et de riffs tranchants qui s'enchaînent avec une urgence folle pendant six minutes. La prouesse du groupe, c'est d'avoir réussi à rendre naturelle et limpide cette richesse de composition, et l'album se révèle être le plus accessible de leur carrière. On note aussi de la nouveauté dans certains arrangements, comme les trompettes poussiéreuses qui viennent sublimer avec des descentes magnifiques There Is A Light, peut-être le plus beau morceau du groupe (et dédié au fils d'Efrim et de Jessica né l'an dernier, si c'est pas mignon ça). Ce véritable hymne à la lumière est d'une grâce et d'une évidence bouleversantes et montre une maîtrise totale de la voix d'Efrim, dont l'outrance a toujours beaucoup gêné certains auditeurs, et qui sait ici se faire plus chaude et sensuelle que jamais. Et alors que le groupe se lance dans une coda évidemment épique, il lui suffit de brailler un "COME ON !" emporté entre deux répétitions du mantra "There is a light" pour nous retourner complètement. Bon sang, quel autre groupe aujourd'hui est capable de créer une musique assez puissante pour nous donner envie de s'époumoner les yeux pleins de larmes sur des paroles aussi fortes et sincères ?



(I Built Myself a Metal Bird, première partie de la "suite" Metal Bird, ici en version live dans le tout premier clip jamais proposé par le groupe. Autant vous prévenir, le son de la version studio est bien supérieur.)

Au final "Kollaps Tradixionales" ne bouleverse pas le style de Silver Mt. Zion, mais n'est pas pour autant une stagnation. Inspiré du début à la fin, il fait preuve d'une impressionnante maîtrise. Alors que voulez-vous, quand un groupe génial et unique dont le parcours a été exemplaire ne se réinvente pas mais prolonge et élargit ses idées sans faire pour autant la moindre concession, il n'y a pas de raison valable de bouder son plaisir. De plus, par sa diversité et les liens qu'il tisse avec les styles des albums précédents, "Kollaps Tradixionales" est une excellente porte d'entrée pour le néophyte et je le conseille vivement à ceux d'entre vous qui ne seraient pas encore initiés à la musique de ces héros venus du froid.

Oh, et il faut ajouter que le groupe est actuellement en tournée, qu'il vient tout juste de passer en France mais qu'il reviendra à Lyon le 21 avril et à Paris le 22. On ne peut que vous conseiller de vous y rendre tant l'expérience live est intense. Non seulement le groupe interprète les épopées les plus surpuissantes dee leurs deux derniers albums comme si le monde entier s'effondrait autour d'eux, mais Efrim se montre de plus en plus loquace sur scène et parle volontiers avec le public pendant un bon quart d'heure entre chaque morceau, en enchaînant les blagues absurdes ou en présentant 'Piphany Rambler comme une reprise d'un morceau du groupe punk hardcore Black Flag "avec trois accords de moins, ce qui fait donc deux" (!). Vraiment, il faut le voir pour le croire.

Thelonius H.

(Achetez-le !
Achetez-le en version collector avec son superbe livre de collage et son poster !
Achetez-le en version collector mais plus avec les artworks, deux vyniles 10" et une copie CD !)

1 commentaire:

  1. Fish Rémi Tank3 avril 2010 à 11:51

    Faut que je l'écoute en entier très vite. Mais le morceau dans le lecteur est une fois de plus génial et donne ultra envie. Pas mal l'article.

    RépondreSupprimer