[Comptez Pas Sur Moi] MGMT - Congratulations

Qu'on se comprenne tout de suite : je n'ai aucune envie de faire de cet article un grand pamphlet visant à détruire "Congratulations" de MGMT. Si ça ne tenait qu'à moi, je résumerais cette critique en trois phrases laconiques et retournerais écouter des disques plus intéressants. Pourtant, il y a quelque chose qui m'oblige à en parler. Une sorte de devoir. Pas tant celui de vous faire découvrir quelque chose, chers lecteurs ; de toute façon, soit vous l'avez déjà écouté, soit vous vous en foutez cordialement. Non, c'est plutôt un travail de prévention. Pour l'avenir. Pour les gens de demain. Quelques points qu'il me faut clarifier à notre petite échelle. Parce que je ne veux pas que le futur soit rempli de gens qui feraient des choses pareilles. Parce que je ne veux pas que les plus jeunes ou les plus naïfs se fourvoient. Parce que si on ne le dit pas maintenant, on nous accusera plus tard de révisionnisme. Je vais donc dire du mal de "Congratulations", mais parce que j'aime la musique en fait.

Sur le papier, il n'y a rien à reprocher. Au contraire, on aurait pu y croire. Un groupe qui a sorti un premier essai casse-pied façon "méthode Assimil de la pop music depuis les 70's" avec des tubes assez débilitants pour être repris par des partis politiques, et qui décide ensuite de tout foutre en l'air pour enfin faire ce qu'ils avaient envie de faire depuis le début, façon virage à 90° qui déconcerte tout le monde, c'est un vrai scénario de rêve. Mais il me semble que cette formidable mystification préparée par un label malin, des fans aveugles et des médias à la bouche grande ouverte, et dont le "monde de l'indie rock" (sic) a été victime doit être enfin mise au placard. Il faut qu'on considère sérieusement cet album pas-encore-culte-mais-laissez-lui-le-temps, en relativisant énormément tous ses prétendus attributs, et en ne le prenant que pour ce qu'il est, à savoir pas grand chose.


On a pu lire par exemple que "Congratulations" était un album foutraque et sans aucun tube. Oh, pour sûr, vous ne trouverez aucun jingle radiophonique aussi vendeur que Time To Pretend - ce qui est dans l'absolu un bon point - mais il est intolérable de croire que cet album puisse n'être qu'une suite incompréhensible de moments plus interloquants les uns que les autres. Soyons clairs : avec ces neuf morceaux, MGMT n'a pas du tout dynamité le format couplet-refrain. La plupart des chansons ont toujours cette structure là, avec des mélodies faciles à chantonner. Le duo a simplement ajouté quelques ponts débiles qui ont l'air foufous au milieu de tant de banalité non-assumée, mais qui finalement n'apportent rien au tout, sinon une espèce d'effet placebo et l'impression d'un long bazar un peu vain. Musicalement, ce qui est sensé être nouveau et original sonne finalement comme un croisement abrégé de pop psychédélique fin-60's-début-70's (un peu de Bowie mal digéré sur le morceau-titre, un peu de sous-Moody Blues) et de tous les revivals néo-pop psychédéliques qui ont suivi (de Television Personnalities en passant par les Flamings Lips, jusqu'à Of Montreal). Et sur la meilleure chanson de l'album, Brian Eno (je vous en supplie, fans de MGMT, si vous ne connaissez pas le type évoqué par cette chanson, procurez-vous "Here Come The Warm Jets" pour avoir l'occasion d'entendre de la pop vraiment tordue, que cette référence serve au moins à quelque chose de constructif), malgré une ambiance très sympathique, de chouettes mélodies, et un refrain rappelant feu Jay Reatard, zut, au final, ça n'est que de l'indie rock désespérément commun, rien de plus. Ça valait le coup de s'emballer ? Vraiment ?

(Flash Delirium, ou comment j'ai cité Facebook dans la montée de mon morceau sans queue ni tête pour avoir l'air drôle)

En fait, le plus gros problème est que "Congratulations" est un album profondément ennuyeux. MGMT veut vous étonner, petite idées après petite idée, mais le tout ne fonctionne pas et engendre un vague capharnaüm dont on entend laborieusement chaque effort concédé par le groupe pour avoir l'air plus malin qu'il n'est. Ils essaient très très fort sur cet album, font de leur mieux, mais ne parviennent qu'à donner d'eux l'image de post-ados qui écrivent sur leurs trousses le nom d'artistes que leurs copains ne connaissent pas (Brian Eno, Dan Treacy, tous deux namedroppés aux côtés de Lady Gaga). On ne peut pas les blâmer d'en retirer du bonheur mais leur vision terriblement réduite de ce qu'est la musique donne naissance à un genre de "rock barré pour les débutants" qui ne sait pas du tout où aller et utilise tous les gimmicks attendus, en ralentissant le rythme brusquement ou en intercalant des instruments qui nous hurlent "regardez moi ! je suis bizarre !" Il faudrait pourtant que ce soit clair : il ne suffit pas de foutre des détails en vrac pour créer une musique décalée et captivante. C'est quelque chose de plus profond que ça, qui implique des changements globaux, dans les sons, dans la narration. Non, il ne suffit pas de caler un solo de flute ou de finir en mini-punk-rock pour faire croire que Flash Delirium est une épopée. Il ne suffit pas de se dire "Les mecs ! Idée de folie ! On fait un instrumental kitsch avec des hurlements" ou d'accumuler des parties bonus pour révolutionner sa musique dans le bon sens. Il ne suffit pas de pondre des suites avec plus de quatre accords à la Syd Barrett pour masquer un sens infantile et naïf de la pop music. MGMT se place ici sur le créneau d'un prog-rock sans le progressisme : des tentatives de tics intellectualistes joués par des mecs qui veulent montrer qu'ils sont sûrs d'eux - sauf que le résultat n'a même pas le charme grotesque et démesuré d'un prog rock qui ose tout. Non, "Congratulations" est souvent un album étonnement timide et peureux, qui n'assume même pas* ses gentilles excentricités et les couvre d'un mince duvet d'ironie, rendant le tout finalement très inintéressant. Le courage sonique apoplectique, le voilà. Et qu'on n'aille pas croire qu'il suffit de faire une ballade de douze minutes avec arrangements sirupeux et assemblage bancal de parties ne faisant pas sens les unes avec les autres pour devenir soudain un groupe expérimental.

(le marketing selon MGMT)

C'est comme un cauchemar d'adolescent. Imaginez, vous êtes au collège, vous êtes un geek, personne ne vous aime, et puis peu à peu, vous vous apercevez que le type le plus populaire, qui vous a toujours ignoré et que vous n'aimez pas de toute façon, commence à réutiliser vos attitudes, pour avoir l'air cool, et à les reprendre mal en plus, et vous vous rendez compte que tout le monde trouve ça super et alternatif. Ça n'aurait pas l'air affreusement injuste et affreux ? Là, c'est pareil. Ça a l'air stupide, oui, riez si vous voulez, mais c'est comme si MGMT avaient gâché cette musique alternative et foutraque bien à nous, qu'on n'a non seulement pas envie de voir partagée comme ça, par des types qui font n'importe quoi avec (même s'ils ont sans doute les meilleures intentions), mais qu'on a certainement pas envie de voir applaudie par la masse alors que ces gars-là l'ont rendue mal fichue, ennuyeuse et irrémédiablement bloquée dans une banalité castratrice. Mais, oh, j'imagine que ce n'est pas très grave au final. On continuera à écouter nos albums des Fiery Furnaces dans l'indifférence générale pendant que le reste du monde s'enverra autre chose en croyant que c'est novateur. Ça n'a pas toujours été un peu le cas ?

Emilien Villeroy




* : MGMT s'excuse pour leur single Flash Delirium auprès de Spinner (en Anglais)