Quand on me parle de la rue, de la crasse des caniveaux et du véritable cri qui vient du bitume, je dois dire qu'il me vient tout de suite à l'esprit une image précise : Alan Vega, sur scène, sorte de zombie d'Elvis, tremblant, les yeux grands ouverts, avec peut-être une chaine de vélo à la main, l'air halluciné et terrifié, avec dernière lui un Martin Rev impassible, ses grandes lunettes noires et son blouson en cuir, qui joue sur son vieux farfisa pourri des boucles simplistes et surpuissantes pendant que le public balance ses bouteilles de bières et hurle. Suicide. Duo arty formé en 1971 par un sculpteur et un musicien free-jazz. Un nom de groupe en guise de slogan. Et avant de faire au cours des années 80 une musique électronique lente et parfois émouvante dont on entend encore les échos chez des groupes comme Nite Jewel, ces deux New Yorkais ont sorti un album en 1977 qui réveillerait des morts, qui sent la pauvreté, les squats pourris dans les quartiers chauds de SoHo, une espèce de vieille hargne un peu perdue dans la drogue qui vous étouffe, quelque chose de poignant qui agresse l'auditeur. Le premier album de Suicide est un immense poing dans la figure, et s'il a été ensuite l'album culte qui a inspiré des tas de groupes, il ne faut pas oublier le contexte nettement moins favorable de l'époque. On est en plein milieu des 70's, des rockeurs parfois terriblement insipides font joujou au CBGB's, et voilà ces deux types, punks avant le Punk, qui n'ont pas de guitare, pas de basse, même pas de batterie, juste une vieille boite à rythme d'occasion qui martèle des sons sourds et binaires avec absurdité. Un concert de Suicide, c'était un choc frontal, une immense incompréhension. Leur live culte "23 Minutes Over Brussels" en est l'exemple ultime : en première partie d'Elvis Costello, rien ne leur est épargné : insultes, hurlements, la foule les hue, mais ils s'en foutent, ils continuent, et au début de Frankie Teardrop, descente aux enfers sonique, l'un des morceaux les plus terrifiants jamais mis sur bande, sous les cris du public, Alan Vega hurle de toutes ses forces "SHUT THE FUCK UP! THIS IS ABOUT FRANKIE!" comme si sa foutue vie en dépendait, avant que le son soit coupé et qu'ils soient obligés de sortir de scène sous les "fuck you".
Faisant un espèce de rockabilly électronique complètement tordu et déstructuré, et usant d'un minimalisme extrême à tous les niveaux qui déroute toujours autant aujourd'hui, la musique de Suicide tient sur des riens du tout, des mélodies de 3 notes qui se répètent ad nauseam et pourraient ne jamais finir, et c'est ça qui fait toute leur force. Ghost Rider, c'est le morceau qui ouvre ce premier album à la pochette ensanglantée, vous pouvez l'entendre dans le player à gauche ou ici en version live. Le riff de clavier est un marteau piqueur sur lequel se plaquent de longues couches aigües et synthétiques. Derrière, Vega éructe avec autant de classe que de folie des phrases qui sonnent comme des slogans et appellent des images mythiques de l'Amérique des années passées et poussiéreuses. "Ghost rider, Motorcycle Hero/Baby baby baby baby, he's looking so cute." Vous voyez des images, voile de brouillard devant les yeux, et là, ce crachat en 5 mots : "America is killing its youth." Tout est en lambeaux, et le riff continue de tourner encore et encore et encore pendant que le clavier aveuglant noie les cris bestiaux de Vega qui se dispersent dans l'écho.
Emilien.
aaaaaaaaaaa enfin des gens qui se coupent les joues avec des lames de rasoirs !
RépondreSupprimerFini les joueuses de harpe !
RépondreSupprimerOh, je pense qu'il doit y avoir moyen de trouver des musiciennes romantico-dérangées/dépressives qui se coupent les veines avec les cordes de leur harpe aussi!
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