A Thomas Z.
Girls, on avait parié sur eux très tôt, dès leurs deux premiers singles, Hellhole Ratrace et Lust For Life sortis l'année dernière dans l'indifférence générale du Grand Public. A l'écoute des cinq morceaux de ces singles (tous présents sur l'album d'ailleurs, ce qui est un peu facile direz-vous, mais cela aurait été dommage si de si bons morceaux étaient restés dans l'ombre), on savait qu'on tenait quelque chose.
A la première écoute, comme un sentiment de déception nous a pris, forcément. Ce n'est pas l'album dont nous avions rêvé. Ce n'était pas cet album total que chacun parmi nous portait en soi, cet album que l'on aurait voulu entendre ou, plus secrètement sans doute, que nous aurions voulu faire, c'était juste un bon album pop de notre époque avec des chouettes morceaux, mais où nos préférés étaient les singles que nous avions déjà entendus. Tout ça pour ça, mais c'était déjà pas mal. Et puis, peu à peu, sans vraiment faire d'effort, cet album se révèle : à la première écoute, on l'a oublié, mais pourtant, on a envie d'y revenir. Subtilement, le cool ultime de cet album vous rentre en tête et vous amène à l'écouter, le réécouter, et finalement l'aimer pour ce qu'il est, et c'est déjà beaucoup.
Si le premier LP de Girls s'appelle "Album" c'est parce que Girls est l'un de ces groupes issus de notre ère du multimédia tsoin tsoin à outrance, l'ère de l'Internet et de la proximité culturelle permanente. En enregistrant un premier essai, ces deux mecs tombés dans le bain des tournées — LEURS tournées ! — par hasard on fait cet "Album", LEUR album, ils ont été au bout de quelque chose, ils ont "fait un album" et c'est de cela dont parle "Album." Sur Hellhole Ratrace, Chris Owens chante "And I don't wanna die without shaking up a thing or two," c'est de cela qu'il s'agit.
Derrière cet accomplissement adolescent — les adultes ne font pas d'albums, ils font des enfants, ils ont des promotions, ils achètent des maisons, ce genre de choses... — le mur de la chambre de Christopher Owens (chant, guitare) est tapissé des posters de ses prédécesseurs : Beach Boys, Felt, Elvis Costello, Suede, Simon & Garfunkel, Pet Shop Boys (la pochette du LP rappelle celle de "Behaviour" et le nom "Album" semble tenir sa parenté du "Release" des Pet Shop Boys) pour les plus évidents, qu'ils soient imprimés sur le t-shirt d'Owens en tournée ou entendus dans les inflexions de sa voix de garnement. On entrevoit aussi un poster de My Bloody Valentine dans un coin de la pièce, certainement offert par Chet Jr. White (basse, production, la seconde moitié du duo originel, depuis agrémenté de Garrett Godard à la batterie et John Anderson à la guitare), lui aussi tombé dans le bain un peu par hasard (tout a commencé en 2008 avec une invitation impromptue du MIDI festival de Hyères, qui devait être le tout premier concert du groupe, et sa réelle naissance), et dont les talents de producteur permettent aux mélodies de son ami Owens de véritablement décoller, que ce soit sous la forme d'une bravade (Lust for Life), d'un cours de shoegazing à domicile (Morning Light), d'un slow easy listening (Headache) ou d'un revival express 50's (Big bad mean motherfucker). Avec ce bagage sonore, les tics vocaux d'Owens et son amour du gimmick qui claque (comme le "Awright" précédant le boucan sur Summertime) sont juste comme on aime.
Summertime
La musique de Girls témoigne en partie de l'enfance et de l'adolescence pour le moins extraordinaires de Chris Owens : sa famille affiliée à une secte, son errance bohème à travers l'Europe, ses désordres amoureux — Lust for Life et Curls évoquent le projet avorté monté quelques mois avant la naissance de Girls par Owens et sa copine d'alors — et sa rencontre avec Ariel Pink, une sorte de mentor pour Owens et qui fit de lui un membre de son Holy Shit, groupe de branleurs dont la musique ensoleillée (Californienne) et bancale est une autre grande influence de Girls. C'est la somme de ces influences pop et de l'histoire adolescente d'Owens qui fait toute la fraicheur du disque.
Et ce sentiment pop adolescent, il est encore plus manifeste dans la relation du groupe avec la musique en elle même. Le premier single de l'album s'appelle Lust For Life, tout comme le tube ultime d'Iggy Pop, ce n'est pas un hasard : "Album" est un album sur la musique. Girls est avant tout un groupe qui croit en la musique, et cela avec une innocence juvénile incroyable. Vous savez, ce sentiment que la musique est indispensable à votre vie, qu'elle la justifie presque. Ce moment dans votre adolescence où les chansons que vous écoutez expriment vos sentiments mieux que vous ne pourriez le faire. Girls, c'est la mise en application de cet état d'esprit là, c'est une croyance positiviste et naïve en la musique. Écrire une chanson, c'est donner un bout de soi, c'est pouvoir s'exprimer enfin, c'est le support sur lequel on peut tout avouer. Quand le groupe chante Laura, sorte de longue lettre d'excuse à une amie avec laquelle le narrateur est brouillé dont le refrain fait "I really wanna be your friend forever/Friends until the end of it all", c'est déchirant de simplicité et que cette Laura existe ou pas, on y croit, on se dit que le morceau a été écrit pour elle, et que c'est via la musique qu'Owens a trouvé l'unique moyen de s'exprimer.
Et c'est via ces chansons pop que tout s'exprime, tous les drames futiles mais désespérés de l'adolescence, tous les plaisirs et désirs qui obsèdent la nuit. Tout est prétexte à une chanson : pour dire qu'on est trop cool et trop rockeur, qu'on a peur de ne jamais être aimé, qu'on aime une fille et qu'elle non. Sur le dernier point, Lauren Marie est incroyable ; il faut entendre Owens chanter "Oh Lauren Marie/I might never get my arms around you but that doesn't mean I won't try" avec sa plus belle voix grave de collégien qui semble ne pas avoir totalement mué pour se rendre compte que ce dernier a résumé l'adolescence dans un seul album, avec ses joies, sa mélancolie et ses peines. Et, oui, forcément, c'est un peu niais, c'est rempli de "from my heart", de "baby", de "I want you", c'est d'un romantisme maladroit qui peut prêter à rire.
Laura, jouée sur un toit (via Pitchfork)
Et c'est via ces chansons pop que tout s'exprime, tous les drames futiles mais désespérés de l'adolescence, tous les plaisirs et désirs qui obsèdent la nuit. Tout est prétexte à une chanson : pour dire qu'on est trop cool et trop rockeur, qu'on a peur de ne jamais être aimé, qu'on aime une fille et qu'elle non. Sur le dernier point, Lauren Marie est incroyable ; il faut entendre Owens chanter "Oh Lauren Marie/I might never get my arms around you but that doesn't mean I won't try" avec sa plus belle voix grave de collégien qui semble ne pas avoir totalement mué pour se rendre compte que ce dernier a résumé l'adolescence dans un seul album, avec ses joies, sa mélancolie et ses peines. Et, oui, forcément, c'est un peu niais, c'est rempli de "from my heart", de "baby", de "I want you", c'est d'un romantisme maladroit qui peut prêter à rire.
Et fait, c'est le dernier morceau, Darling, qui résume parfaitement tout ça, tout simplement, sur quelques accords majeurs ensoleillés, et au travers de paroles qui sont sans doute les plus touchantes, les plus positives et les plus belles que l'on puisse entendre cette année : "I was feeling so sad and alone/Then I found a friend in the songs that I'm singing/I was feeling like a nothing inside/Then I found it all in the songs/(...)/Man, I felt like I was going nowhere/Then I found my way in the songs that i'm singing/Man, I felt like I could lay down and die/Then I found my life in the songs/And yeah yeah yeah, it's coming straight from my heart". Album est un album qui fait aimer la musique qui fait aimer la vie qui permet d'écouter des albums qui font aimer la musique qui font aimer la vie qui permet d'écouter des albums qui font aimer la musique, etc, etc, ad lib, sans fin jusqu'à ce qu'il y en ait une.
Emilien & Joe
P.S. : En guise de bonus, vous pouvez élargir votre opinion en allant voir le groupe le 5 Octobre chez Bernard Lenoir ou au Truskel pour une Sans Piles Session organisée par le magazine MagicRPM (inscription ici) et le 6 Octobre au Point Éphémère. Profitez aussi de l'intégralité du Don't Look Down consacré au groupe par Pitchfork.TV (vous y trouverez d'ailleurs une inédite, Substance), et enfin, voici un autre live de Laura, parce qu'on n'en a jamais trop :
Même s'il n'est pas aussi "décevant" à la réécoute qu'à la première fois, je n'ai hélas pas envie d'y revenir, j'y retombe par plaisir, mais jamais par envie.
RépondreSupprimerC'est drôle - "Girls", "The Girls", "The Girls" (autre groupe du même nom), "Some Girls" et "The Beautiful Girls" sont tous des groupes d'hommes.
RépondreSupprimer...
C'est plus très original, du coup.
Très bon album, oui, même si je serai un peu moins élogieux que les deux auteurs de cette review. Darling est de loin ma préférée !
RépondreSupprimersinon la video laura jouée sur un toit me parait quelque peu obsolète....il s'agit du groupe "the termals"
RépondreSupprimermerci quand même pour ce blog que je trouve fort intéressant