Il y a deux choses qui valent de l'or à mes yeux et vers lesquelles tout mon être se tend lorsque la maladie atteint ce stade vicelard, ce climax terrible, ce moment où les symptômes sont à leur comble, où le corps est si croulant que la Direction InterCorporelle des Ponts et Chaussées recrute sa main d'œuvre en Europe de l'Est afin de faire gravir à votre carcasse la pente dévalée durant les heures précédentes jusqu'à atteindre le sommet de votre forme. La première de ces deux choses consiste en un gros paquet de bonbecs. Des schtroumpfs, des rouleaux de réglisse, quelques crocos fluos, des dragibus, tout ce qui est bon en somme. Ça n'a pas de prix dans ces moments-là. Comme de s'envoyer son repas préféré puissance mille à chaque bouchée. La seconde chose, c'est le "retour de la musique", le retour à la musique. En effet, si ma consommation quotidienne de décibels mélodiques est proprement gargantuesque en temps normal, lorsque je suis souffrant, mon cerveau ne peut encaisser aucune sorte de rythme, aucun genre de larsen et mes oreilles en profitent alors pour siffler leurs acouphènes adolescentes perpétuelles. Jusqu'à ce que, de façon totalement imprévisible, le déclic ne se fasse et que tout mon être ne réclame DU SON. Ce qui une minute auparavant relevait du supplice devient alors instantanément une ambroisie et l'heureux élu dont la musique sera la première à me contenter se verra accordée une place spéciale dans le cœur qui bat derrière ces lignes.

Je me souviens, il y a quelques années, avoir entendu à mon "réveil" post-traumatique la chanson Pledging my time de Bob Dylan. Comprenons-nous bien : j'adorais déjà Dylan à ce moment-là, mais j'ai l'impression de pouvoir dater mon obsession (qui aura bien duré deux ans) pour Bob à cet instant précis. C'est ce qui vient de m'arriver à nouveau mais cette fois, c'est différent : je n'ai rien découvert que je ne connaissais déjà ni n'ai ajouté une cerise sur le gâteau d'un amour préalable. J'ai réécouté un disque que je n'aimais pas beaucoup et dont je vous avais parlé brièvement lors de la critique de "Beat the Devil's Tattoo" (*), le dernier album en date du Black Rebel Motorcycle Club. Je parle de leur LP précédent, "Baby 81", sorti en 2007 et auquel j'ai dès sa sortie reproché une production plan-plan et un son étouffé. Je l'avais mis au placard, vraiment, et ne lui avais pas donné de seconde chance depuis trois ans... Rude. Les étranges lubies qui s'abattent sur les âmes tourmentées par la maladie (ou la grossesse parait-il, mais, espérons-le, je n'aurai jamais à connaitre celles-ci, en tout cas pas directement) étant ce qu'elles sont, le seul disque que mes méninges migrainés daignaient entendre fut celui-ci.
(Berlin)

Il n'y a pas grand chose de plus à dire sur "Baby 81", c'est un album du Club, il ressemble donc à tous les autres albums du Club (excepté "Howl" bien entendu, qui était une exception notable) et alterne d'épiques moments de rock'n roll gras, noir et mouvementé avec quelques ballades folk d'inspiration divine. Il s'étire (American X dure plus de neuf minutes), s'étale de tout son long et se fout un peu de l'époque à laquelle il parait. Les guitares y grondent, les voix y sont nasillardes, rien de neuf à l'horizon mais que ferait-on d'un autre Club ?
(American X)
C'est un peu dommage de se priver d'une demi douzaine de chansons lorsque l'on aime un groupe, et pour des raisons discutables en plus. Je ne vous dis pas de ne pas le faire, mais si, comme moi, vous aimez vraiment la musique de ce groupe, saisissez la première occasion qui se présente et changez d'avis, ouvrez vos bras à ces chansons qui n'attendent que ça pour vous guincher comme de vieilles amies, ne laissez pas un stupide entêtement vous priver de bonne musique.
Joe Gonzalez
P.S. : Si l'expérience de la "première écoute post-traumatique" ne vous est pas étrangère, racontez-moi vos propres anecdotes en commentaire.