Si le dubstep a vraiment dit son dernier mot significatif et underground il y a quelques mois, et si des dérivés ont assez rapidement fait surface, qui ont amené le genre vers une accessibilité nouvelle (que ce soit le brostep de Skrillex, le r&b teinté de future garage de The Weeknd ou bien une quelconque variante pop, comme nous l'avons vu avec SBTRKT et James Blake dans le premier numéro de cette rubrique), qu'en est-il alors de ceux qui en ont été les acteurs pendant ses années de vache maigre et malgré tout bienheureuse ? Jamie Teasdale et Roly Porter se sont rencontré à Londres et ont formé Vex'd à Bristol aux alentours de 2005 et dans la mesure où ils ont écumé (ensemble ou bien sous les alias Jamie et Roly Vex'd) ce que le genre a pu faire comme remous, ils représentent un sujet d'étude particulièrement intéressant dans l'optique de délimiter ce que des vieux de la vieille du dubstep peuvent avoir comme avenir en s'extrayant du genre.
#2 : En finir avec le dubstep, oui, mais pour aller où ?
Vex'd a effectivement accouché de deux écoles. Le duo donnera-t-il suite à "Cloud Seed" (son dernier album, paru en 2010), rien n'est moins sûr. Ce qui était il y a encore quelques mois un duo travaillant activement à rendre le dubstep plus "intelligent" (*) a subi une mitose particulièrement visible en 2011 puisque chacun des deux musiciens s'est engagé dans une voie nouvelle, faisant l'un et l'autre un le choix de publier, sous un patronyme inusité, des albums très différents.
Signé sur le label Planet Mu, Jamie Teasdale est ainsi devenu Kuedo et a publié en Octobre dernier l'album "Severant", une nette prise de distance vis à vis du dubstep. En lieu et place des sursauts intenses et des basses dansantes et futuristes de ses précédents travaux en solitaire, Teasdale/Kuedo s'est ainsi donné pour cahier des charges d'organiser la rencontre entre les rythmes (et sons associés) du footwork et les synthétiseurs des années 70. Un pari risqué tant les deux éléments ont pu être décriés.
(Flight Path)
Le footwork est un sous-genre musical issu de la ghetto-house de Chicago, et qui est surtout reconnaissable à son utilisation massive de riffs et de breaks rythmiques tout en caisses claires, handclaps et autres toms. A ne pas confondre avec le juke (dont le footwork est une variante et qui s'en démarque essentiellement par sa signature rythmique en 4/4), le footwork est aussi marqué par l'utilisation de courts samples vocaux. Ce style a particulièrement connu un gain d'intérêt en 2011, d'ailleurs, et a traversé l'Atlantique grâce notamment à la compilation "Bangs & Works Vol. 1: A Chicago Footwork Compilation", parue en 2010 chez Planet Mu, justement. Mis en avant par quelques DJ's (Machine Drum et DJ Rashad, essentiellement), le footwork n'est pas vraiment devenu en quelques mois un successeur tangible du dubstep (même si le juke tend à se démocratiser Outre-Manche) et il est plutôt à envisager comme une application un brin snob et un maximum poseuse des principes de la ghetto house. On pourrait certes laisser le bénéfice du doute à Teasdale, mais le choix de coupler footwork et synthétiseurs à un moment où les synthétiseurs vintage (et particulièrement ceux de Tangerine Dream, dont semble raffoler Kuedo) sont on ne peut plus tendance, voilà qui a de quoi agacer, même les plus tenaces. Et pourtant, la question n'est pas qu'il s'agisse ou non d'un disque de hipster snobinard pour hipsters snobinards et le problème n'est même pas que la rencontre des deux éléments soit ratée. Il y a quelques idées dans "Severant" et un peu de diversité (Flight Path ressemble à un rip off de Vangelis sous acide, tandis que Onset (Escapism) est tout ce qu'il y a de plus moderne - et laid). Le véritable problème est que rien de véritablement intéressant ne surgit, à aucun moment, de la tambouille rétro-futuriste un peu vaine de Kuedo. Personne ne dansera sur son semi-footwork trop cérébral, tout comme personne ne pourra laisser son esprit divaguer et se perdre entre les notes de ses synthétiseurs parasités par des handclaps assommants. Le courage nécessaire pour fomenter un tel projet est louable mais parfois foncer dans la mêlée vous amène à vous empaler sur un sabre et si Kuedo a le mérite d'avoir surpris son monde (et d'avoir, malgré tout, conquis une certaine frange de la presse musicale et quelques autres), n'était-ce pas là qu'une façon détournée de caresser la tendance dans le sens du poil ?
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Moins tapageur que son confrère, Roly Porter a choisi de conserver son patronyme et de publier, sans trop de remous, son album "Aftertime", sur le label Subtext (celui de Vex'd) en Septembre. Plus réaliste, plus conventionnelle et moins ambitieuse que celle de son (ex) confrère, la musique de Porter est aussi beaucoup moins casse-gueule.
(Tleilax)
En faisant le choix de combiner drone et noise dans un mix dark-ambient, Porter suit la voie de camarades musiciens de plus en plus nombreux et dont la sourde cacophonie est le bruit de fond de la tension pré-21/12/12 qui fait écho celle du pré-millénaire dernier (souvenez-vous de Tricky, Unkle, et tous ces avatars des scènes électroniques et hip hop britanniques à l'aube de l'an 2000 qui ne voyaient pas le futur d'un œil serein) et dont vous avez pu entendre un aperçu effrayant sur le second disque du dernier volume du Peu Importe, la mixtape gratuite de fin d'année de C'est Entendu. Tantôt proche du rapprochement technoise qui a tant convaincu ces derniers mois (Andy Stott, Emptyset, Pete Swanson) comme sur Corrin, où les aléas mécaniques schizophrènes amènent in fine vers une rédemption synthétique, la musique de Porter est majoritairement noire, sourde, striée de samples angoissants et parasitée par des grésillements lourds (Tleilax). Pourtant, on sent la tension prête à se relâcher par moments, comme une volonté de Porter de trouver refuge dans des pensées rassurantes ou en tout cas dans des chimères évacuant la réalité (Caladan, le nom de la planète d'origine de la dynastie des Atréides, dans l'univers de Dune). Je serais le premier ravi d'associer "Aftertime" à cette tendance générale du dark-ambient prophétique et à lui prêter des intentions mystico-sociologiques qui en feraient une pierre supplémentaire apportée à un édifice bien différent du dubstep et bien plus concret que la pose de Kuedo, mais il n'en est rien. En réalité, "Aftertime" est tout entier consacré à l'univers de Dune, créé par Frank Herbert et peut ainsi être pris comme un album-concept ou une bande-son imaginaire. Un objet pop-culturel détaché du réel en quelques sorte. De ce point de vue, c'est un album réussi, d'ailleurs, alors que s'il avait eu des prétentions critiques ou prophétiques, son minimalisme l'aurait peut-être desservi. Je ne peux m'empêcher de penser que Porter pourrait cependant créer un objet plus tangible, quelque chose de plus complet, de plus fort et de plus réel.
Je ne crois pas qu'il y ait de voix royale pour s'extraire du dubstep. Les directions prises par Porter et Teasdale ont le mérite de ne pas trop leur donner la facilité de conserver un pied dans le passé, mais il y en a d'autres. En règle générale, j'imagine que la danse (footwork, juke et dérivés) ou les charts (les dérives populaires de SBTRKT ou même Wiley, même si ce dernier n'a jamais été un dubstepper) seront les solutions les plus prisées par les ex-activistes underground du dubstep, car après une décennie souterraine auront sans doute envie de toucher un plus large public et de gagner un plus important pécule. Les plus intéressants seront cependant les musiciens et DJ's qui chercheront à aller de l'avant et Kuedo et Roly Porter, malgré leurs défauts respectifs, empruntent en effet des chemins dignes d'intérêt.
Joe Gonzalez
(*) : Selon le sens du terme IDM.
"Severant" de Kuedo : Un album original et novateur mais loin du Dubstep je trouve.
RépondreSupprimerJe le définirais plus comme une Electronica où expérimentation rime avec mélodi. Une version "joyeuse" de certaines oeuvres de Leyland Kirby, sa face ensoleillée.
Claviers à la Kraftwerk ou Tangerine Dream, ambiance proche de Eno/Cluster/Deuter, mélodies à tiroir, évolutives et somptueuses.....
Attention Francky, tu n'as pas du me lire correctement. Je n'ai pas dit que l'album de Kuedo était du dubstep. Au contraire, j'explore avec cet article les sons vers lesquels se dirigent des musiciens qui étaient des dubsteppers affirmés. Kuedo ne fait pas de dubstep, il n'en fait plus. J'ai dit que c'était un mélange entre Tangerine Dream et le footwork, justement.
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