Un an après la sortie remarquée d’"Asper Clouds", l’album de Christopher Rau, le label hambourgeois Smallville Records vient à nouveau nourrir nos oreilles en deep-house avec le premier long format du berlinois Sebastian Genz, alias Moomin. Un album qui rejoint ainsi les sorties rares mais de haute volée du label créé en 2006 et par ailleurs désormais ancré à Paris dans les sous-sols du disquaire GroundZero. A l’écoute de "The Story About You", on pense inévitablement à John Roberts et à son chef d’œuvre de l’an passé, "Glass Eights". C’est dire. Il s’agit d’une œuvre qui réclame du temps. Du temps pour mieux percevoir sa limpidité étourdissante, du temps pour que prenne l’obsession. Et la conclusion s’impose : cet album se hisse au sommet de ce qui s’est fait en deep-house cette année.
(You)
Après une introduction maritime au son des cris de mouettes, Moomin nous conduit avec une aisance déroutante dans la chaleur et la rondeur des boucles qui se plaisent à dilater le temps. Les délicates notes de piano, les beats et les carillons s’entremêlent et encerclent le corps porté par la grâce lascive et mélancolique des pulsations. La danse naît alors du sortilège de la répétition. Les morceaux s’enchainent sans accrocs, et étirent imperceptiblement leur matière sur près de 7 minutes chacun. Parmi les plus remarquables, citons The Story About You, l’hypnotique You ou encore Sundaymoon venant clore l’album avec profondeur. Une invitation à relancer le cycle.
Est-ce de la musique ? C’est en tout cas un chef d’œuvre de montage sonore que nous livre Chris Watson, ex-Cabaret Voltaire, pour son quatrième album solo. A partir d’enregistrements réalisés il y a une dizaine d’années pour le compte de la BBC, cet album dédié à l’œuvre de Pierre Schaeffer et notamment à son "Étude aux chemins de fer" constitue un voyage stupéfiant. Un parcours sur une ligne ferroviaire qui n’existe plus depuis 1999, et qui traversait le Mexique d’Ouest en Est, de Los Mochis à Veracruz. "Last Call for the Ghost Train" peut-on entendre sur La Anunciante, premier titre de ce voyage fantasmé à bord du train fantôme. Le train, cet étranger à travers le paysage mexicain, figure la volonté civilisatrice de l’homme. Les crissements de frein prennent ainsi le dessus sur les aboiements, le chant du coq et autres bruits de la ferme dans Los Mochis.
(El devisadero)
L’immersion est absolue et chaque son d’une précision époustouflante. Le vent, l’aridité, les broussailles, les cris d’animaux ou les bruits d’insectes sont quasiment palpables. Les dix pistes de l’album subissent les changements de vitesse du train, ses cliquetis, grondements, claquements. L’atmosphère est souvent angoissante, comme dans la cacophonie d’une jungle nocturne (El Tajin), voire apocalyptique. L’apogée vient avec le morceau El divisadero. Avec les bruits du géant métallique lancé sur les rails, le rythme se mue en une cadence hypnotique et trouve une résonnance unique dans une enveloppe d’ambient.
Pour peu que l’on accepte de s’immerger totalement dans cette œuvre, l’expérience en sera physique et édifiante. Le travail d’orfèvre accompli sur la matière sonore au plus près du réel réussit l’exploit de nous faire côtoyer les fantômes du pays de Murcof. Rappelons que Pierre Schaeffer avait posé comme première règle en parlant de la musique concrète "d’apprendre un nouveau solfège par des écoutes systématiques d'objets sonores de toute espèce".
Aurélie Scouarnec
J'aime bien la voix du chanteur, surtout sur la deuxième piste.
RépondreSupprimerBon, mais blague à part, j'adore le coup du train, c'est vraiment trèèèèèès beau.
Vachement bien aussi le premier morceau. C'est de saison.
Excellent, je prends les deux illico ! Merci : )
RépondreSupprimer(Et l'article est très bien écrit !)
Mes 2 albums de l'année (avec le Robag Wruhme).
RépondreSupprimerBien que diamétralement opposé, ces deux albums se retrouvent sur la lancinance.
Reconnaissons aussi à Moomin sa science du sampling. Le mec puise avec parcimonie dans pas mal de "classiques" électro.
Le Chris Watson est, quant à lui, vertigineux. Une écoute au casque, à fort volume, peut procurer des séquelles tant l'album ravive les souvenirs enfouis. On est à la limite de l'album psychanalytique.
Chouette article Aurélie.
Merci beaucoup pour vos retours positifs.
RépondreSupprimerB2B : Exact, on peut relier ces albums sur certains traits finalement, dont celui de la lancinance.
Exact encore pour les samples, Air et son "Modular Mix" par exemple.
Et le Chris Watson va m'accompagner longtemps c'est certain, j'aime assez cette idée d'album "psychanalytique", tant les sensations à l'écoute peuvent être profondes.
L'album de Robag Wruhme est fantastique par ailleurs, je comprends aisément qu'il soit dans tes tops de l'année. "Prognosen Bomm" m'a hantée pendant un moment.
Merci en tout cas :-)