C'est entendu.

mardi 6 décembre 2011

[Fallait que ça sorte] La complainte du Roi Bourdon, Première Partie

Début des années 90. Boris n’est que le prénom du premier président de la Fédération de Russie. Et accessoirement le titre d’un morceau des Melvins. Sunn o))) n’est que le logo d’une célèbre marque d’amplificateur. Des secousses majeures proviennent de la région de Seattle, où une bande de groupes tous plus ou moins nés de la même scène sont signés par des majors. Retour d’un rock lourd et sombre, hérité du vieux métal anglais des années 70, passé au mix agressif et ironique du hardcore américain de la côte Ouest. Soundgarden, Alice in Chains, Screaming Trees... Puis Nirvana, mené par un petit blondinet. L’explosion grunge va mettre au pilori toute la musique des années 80 et faire rentrer l’alternative dans le grand public. Pour le meilleur et le pire. Bientôt plus personne n’aura peur ni des distorsions (au supermarché) ni des riffs plombés.

Pendant ce temps, chez Sub Pop, où est né le "son de Seattle", un drôle d’individu s’active. Dylan Carlson, meilleur ami de Kurt Cobain (c’est dit), décide de nommer son groupe Earth. Comme le premier nom de Black Sabbath, l’influence majeure de toute cette scène. Dans la droite lignée des autres, Carlson ? Non. Earth, la terre nourricière, une force gravitationnelle, qui tourne sur elle même à une vitesse phénoménale mais qui donne à ses minuscules habitants une impression de lenteur, voire d’immobilité. Carlson va prier pour le dieu du riff lourd et pesant, sans jamais accélérer la cadence. Et loin du hardcore que ses amis révèrent, Carlson préfère le minimalisme. Et si Terry Riley riffait, ça donnerait quoi ?
Lenteur et répétitions.


1991 : "Extra-Capsular Extraction" (EP)


Carlson prend de suite le parti du groupe le plus étrange de la scène de Seattle, celui qu’admire son pote Cobain plus que tout, les Melvins de Buzz Osbourne. Du riff gras et lourd, mais du riff lent. Et répété à l’infini. A Bureaucratic Desire For Revenge (Part1) creuse le sillon, à coup de masse, relativement rapide encore par rapport à ce qui va suivre. Des percussions qui martèlent le rythme, implacables, au dessous de ces frappes de guitare qui semblent enfoncer un clou, puis un autre, puis un autre, puis un autre… Une dynamique de la lourdeur. Si la structure des riffs change de façon régulière, rien ne prend jamais de vitesse. Seconde partie du même morceau, le son semble enflé, peut-être parce que la basse de Joe Preston vibre de plus en plus, à la façon d’un bourdon. Les percussions évoquent le travail d’un forgeron gigantesque, Héphaïstos au cœur de son volcan. D’ailleurs les riffs s’interrompent pour laisser la place aux seules vibrations migraineuses, alors que des invocations inquiétantes résonnent dans la grotte, entre litanie religieuse et rugissements de bête fantastique, ni plus ni moins que la voix de Kurt Cobain passé donner un coup de main à son pote. Puis le travail au corps reprend après cet intermède de fin du monde, l’explosion n’aura jamais lieu, mais de la guitare de Carlson semblent maintenant s’écouler des traînées de lave en fusion qui s’immobilisent lentement à l’air libre.



(A Bureaucratic Desire For Revenge (Part2))


Ouroboros is Broken commence de la même façon, en plus sinistre, les riffs sont encore plus collants et bouillants, les percussions plus sombres, à coups de gong. Et puis rien ne semble évoluer cette fois-ci. Ouroboros, le serpent mythologique qui se mord la queue, une certaine idée de l’infini. La guitare de Carlson tend de plus en plus vers le drone, ses riffs se délitent petit à petit, s’étalent dans le temps. De moins en moins de notes, de plus en plus de son dans chaque note, accompagné par celui des basses en arrière. Il ne subsiste bientôt plus qu’un seul riff simplissime qui ne cesse de revenir à la charge, accompagné pendant un moment par les percussions qui ne tarderont pas à se perdre dans la distance. Et que restera-t-il alors ? Un riff bourdonnant, seul avec lui-même, qui ne change plus, ne bouge plus, reproduit à l’infini le même mouvement sur son tapis de drones, s’empile sur lui-même, s’enroule sur lui-même sans jamais changer de forme, toujours identique mais jamais tout à fait le même, tel les vaguelettes qui caressent une plage sans marée. Cela pourrait durer indéfiniment, jusqu’à perdre la notion du temps, répétition du même jusqu’à épuisement. Avec ce morceau fascinant, Dylan Carlson marque la naissance du drone en tant que style dans le rock. Tout peut commencer, et ne pas finir, ne pas finir, ne pas finir, ne pas finir, ne pas finir…


(Ouroboros is Broken)


D.E.L.

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