C'est entendu.

mardi 1 novembre 2011

[Vise un peu] Circle of Ouroborus — Eleven Fingers

Nitsuh Abebe (*) posait une question toute simple et apparemment sans grande conséquence à la fin de l'une de ses critiques : « Préférez-vous écouter quelque chose d'"intéressant" ou quelque chose de "bon" ? ». À choisir, comme on ne trouve pas des chefs d'œuvre tous les jours, préférez-vous écouter des "valeurs sûres", des groupes qui fournissent des albums de qualité même s'ils ne brillent pas toujours par leur originalité, ou explorer des bizarreries qui recèlent d'idées à creuser et ouvrent des territoires inconnus malgré une qualité parfois plus inégale ?

Posez-vous maintenant une autre question : qu'est-ce qui fait qu'un disque mérite d'être discuté ? Tout bon disque classique dans la forme est-il forcément intéressant au point de mériter de longues dissertations ? Tout disque original n'est-il pas, en quelque mesure, bon à présenter ?

Aussi le disque dont je vais vous parler a du mal à me convaincre, et pourtant il mérite mon attention. "Eleven Fingers" est un disque hybride, un mélange de black metal et de post-punk… dont l'agressivité semble diluée dans une production non pas brute de décoffrage et/ou bruitiste (comme souvent dans le black metal), mais floue au possible : la voix et tous les instruments semblent lointains, noyés dans un effet qui résulte en un magma sonore à évolution aussi lente que la batterie est léthargique. C'est un peu comme comater sur son lit après avoir pris des analgésiques puissants tout en entendant un concert lointain ou des voisins qui écoutent un disque, sans arriver à discerner précisément le genre musical en question.


(Warpath)

Pour cette raison, les pistes sont difficiles à appréhender aux premières écoutes : on n'y distingue rien clairement, au point qu'on peut écouter tout l'album sans n'en retenir rien à part une vague impression. Ça n'est pas ça qui m'arrête en principe : j'aime les productions qui présentent une résistance à l'auditeur, du moins quand elles sont justifiées ou intéressantes — le noise rock, le shoegaze, le black metal ont la plupart du temps toute mon approbation avec leurs bruitismes rugueux auxquels il faut se frotter pour en dégager les chansons, leurs jungles sonores surabondantes, dans les meilleurs des cas écrasantes et sublimes. Mais sur "Eleven Fingers", l'effet est à l'opposé et semble aller directement à l'encontre des compositions : le nihilisme et le désespoir se mettraient presque à ressembler à de la douce paresse, l'agressivité est enfouie sous une impression de langueur. Ce qui peut être carrément frustrant (je ne vais pas vous le cacher, j'ai parfois eu l'impression que la production gâchait tout et j'aurais bien aimé écouter les pistes avec un autre son — soit plus clair, soit plus agressif), mais fait indéniablement partie de l'esthétique du disque… et finit par faire sens.

Du moins en partie. Lors des premières pistes, on se rend compte que les deux genres mélangés par les Finlandais ont plus de points communs qu'on ne pourrait le croire, et seules certaines mélodies évidentes ne semblent appartenir qu'à l'un des deux genres. (À vrai dire, le seul passage qui fait réellement metal est le solo sur Shadows Lead.) Mais ces pistes-là n'ont quasiment aucune cohérence avec le son du disque, deviennent lourdingues au fil des écoutes et ce n'est qu'à partir de la quatrième piste qu'"Eleven Fingers" dépasse le stade de la simple curiosité : Staining the Paper to Create pourrait se décrire comme du black metal/post-punk qui serait isolationniste à la manière d'un sous-genre de l'ambient, le mal-être du chanteur émane tout droit d'un son d'outre-tombe que l'on imagine provenir d'un Styx embrumé, le son est distant et pourtant enveloppe l'auditeur. C'est la piste la plus courte de l'album mais c'est aussi celle qui m'a donné envie de persévérer (si elle avait été comme les trois premières, j'aurais jeté l'éponge). La deuxième moitié de l'album a des tempos plus lents, des allures plus mélancoliques, moins agressives malgré la voix du chanteur, et acquiert une certaine beauté sur Magenta Chambers. L'osmose commence à se faire, le sentiment de brouillard sonore, narcotique et doucement toxique que diffuse ce disque finit presque par convaincre… presque.

Car le disque reste trop inégal, trop poussif, les mélodies et les voix se ressemblent un peu trop souvent — et on peut trop souvent voir dans le son inhabituel du groupe un gimmick superficiel, un écran de fumée (qui a poussé certains critiques à crier au génie, d'ailleurs) voire un cache-misère sur la première moitié du disque. Une seconde moitié plus réussie ne suffit pas à faire un bon album. Dommage : il y avait de l'idée… juste assez pour que j'aie peut-être envie d'y revenir, une fois de temps en temps. Sans me repasser l'album en entier. Reste à voir maintenant si quelqu'un d'autre n'avait pas eu une idée similaire mais mieux réalisée…


— lamuya-zimina



(*) : Nistuh Abebe est critique musical au sein d'un webzine américain tellement connu qu'on ne le présente plus (oui, ce webzine-là)

9 commentaires:

  1. Je lis CE principalement pour tes articles, après lesquels je me sens intelligent, underground, et fier d'arriver à comprendre 1/4 de la musique que tu écoutes (estimation approximative), Lamu, mais une question me turlupine : EST CE QUE TU TE DROGUES ? Nan parce que, sincèrement, écouter un album bruitiste et obscur de temps à autre, d'accord (et encore, je préfère être sous influence quand je le fais, sinon je suis "fermé" et je loupe la moitié du truc), mais pour n'écouter QUE CA, la sobriété ne doit pas vraiment aider.

    Non ?

    RépondreSupprimer
  2. Il est foncedé, il est pété au mountain dew le lamu !

    RépondreSupprimer
  3. Non il se drogue pas, et il est surement pas foncedé. C'est ca qui est fort.

    Respect à Lamu, comme toujours.

    RépondreSupprimer
  4. Sinon c'est Ouroboros pas Ouroborus, c'est des crétins les types de ce groupe.

    RépondreSupprimer
  5. J'ai pensé pareil. Quand on utilise des mots aussi référentiels, autant le copier correctement !

    RépondreSupprimer
  6. DEL nous fait une référence à strider / doom ou je rêve ?

    RépondreSupprimer
  7. Jamais joué à Strider. A Doom si. Mais je ne me souviens d'aucun nom.
    Mais une référence *au* doom, sans aucun doute.

    RépondreSupprimer
  8. Haha : )
    Merci pour vos commentaires !

    Non, je ne me drogue pas (j'ai juste essayé le cannabis trois ou quatre fois mais ça ne m'a jamais rien fait)... et j'écoute aussi des albums plus classiques, mais en général ils m'inspirent moins pour écrire des articles.

    J'écoute des musiques bizarres et expérimentales tout simplement parce que j'aime découvrir des univers sonores différents ; je crois que je m'ennuierais si je devais me limiter à des sons et à des formes traditionnelles. Après, le fait que je me retrouve plus souvent dans les trucs post-industriels psychédéliques et électro-acoustiques sans mélodies que dans la pop... c'est sans doute juste une question de goût !

    (Sinon oui, ça me gêne aussi "Ouroborus" à la place d'"Ouroboros". Mais il y a plusieurs transcriptions et donc plusieurs orthographes possibles apparemment...)

    RépondreSupprimer