Aussi unique soit-elle, aucune musique n'est entièrement dénuée d'influences extérieures — et quand plusieurs artistes semblent suivre les mêmes traces, il peut être intéressant de voir là où ils divergent, voir comment ils interprètent une même source d'inspiration ou un même matériau. Cette nouvelle rubrique, intitulée [Parallèles], est donc consacrée à l'étude comparative de plusieurs pistes ou albums ayant à chaque fois un point commun — que ce soit un thème, un son, une même composition ou autre chose encore ! Ce premier numéro est consacré au sampling, avec pour source sonore commune un film que vous connaissez tous (au moins de nom)…
“What's wrong?”
L'univers clinique, aseptisé et immaculé de THX 1138 reste à ce jour (quarante ans après la sortie du film) non seulement une référence, mais une vision qui n'a rien perdu de son actualité. Sans vouloir tomber dans la paranoïa classique qui consiste à considérer comme prophétiques toutes les œuvres majeures présentant des futurs dystopiques (même s'il est vrai que les designs blancs et minimalistes, les numéros ou codes associés à chaque personne, les voix électroniques aimables qui nous assistent, sont de plus en plus nombreuses ces dernières années), sans vouloir insinuer qu'on s'approcherait d'un tel univers aujourd'hui à moins de rentrer dans un Apple Store, le futur de THX 1138 paraît toujours, quelque part, en partie crédible (*). Et nous parle toujours autant, si ce n'est de plus en plus.
Le minimalisme de ce long métrage en rend chaque détail signifiant — et certains éléments ont acquis un statut culte, renvoyant immanquablement au film et à ce qu'il (re)présente. Ainsi, dès l'ouverture du film, le fameux "What's wrong?" synthétique, faussement aimable et inquisiteur, de l'armoire à pharmacie est une fantastique métonymie pour son univers — ou tout futur dystopique, ou tout monde où nous serions assistés par des machines pour masquer la solitude et le mal-être que ce même monde nous inflige. Une mine d'or pour les musiciens amateurs de sampling.
Je n'ai pas cherché volontairement les utilisations de ce sample en musique à l'origine : je suis tombé dessus par hasard, sur une piste, puis deux, puis trois… La curiosité s'installant, j'ai commencé à vouloir toutes les dénicher et à en faire un petit inventaire afin de comparer l'effet obtenu à chaque fois. Voici le résultat (merci au bon vieux site ésotérico-informatif techno-psychédélique fUSION Anomaly, qui contenait pour le coup plus de références que Wikipedia ou même que les sites spécialisés !). Sept pistes, sept artistes, sept sens différents, et toujours la même voix qui hante. Peut-être pas de quoi en tirer une thèse ou une conclusion irrévocable sur l'évolution du sens de cette voix (même si on peut dégager certaines tendances), mais au moins de quoi entendre à quel point un matériau sonore aussi lourd de sens peut être remodelé, réutilisé et réinterprété par les artistes…
(*) Si l'on excepte le fait que le sexe puisse devenir illégal, peut-être.
Le minimalisme de ce long métrage en rend chaque détail signifiant — et certains éléments ont acquis un statut culte, renvoyant immanquablement au film et à ce qu'il (re)présente. Ainsi, dès l'ouverture du film, le fameux "What's wrong?" synthétique, faussement aimable et inquisiteur, de l'armoire à pharmacie est une fantastique métonymie pour son univers — ou tout futur dystopique, ou tout monde où nous serions assistés par des machines pour masquer la solitude et le mal-être que ce même monde nous inflige. Une mine d'or pour les musiciens amateurs de sampling.
Je n'ai pas cherché volontairement les utilisations de ce sample en musique à l'origine : je suis tombé dessus par hasard, sur une piste, puis deux, puis trois… La curiosité s'installant, j'ai commencé à vouloir toutes les dénicher et à en faire un petit inventaire afin de comparer l'effet obtenu à chaque fois. Voici le résultat (merci au bon vieux site ésotérico-informatif techno-psychédélique fUSION Anomaly, qui contenait pour le coup plus de références que Wikipedia ou même que les sites spécialisés !). Sept pistes, sept artistes, sept sens différents, et toujours la même voix qui hante. Peut-être pas de quoi en tirer une thèse ou une conclusion irrévocable sur l'évolution du sens de cette voix (même si on peut dégager certaines tendances), mais au moins de quoi entendre à quel point un matériau sonore aussi lourd de sens peut être remodelé, réutilisé et réinterprété par les artistes…
(*) Si l'on excepte le fait que le sexe puisse devenir illégal, peut-être.
Sur ce premier album des pionniers de l'EBM (Electronic Body Music : un genre basé sur un croisement de dance music et d'industriel, on vous en a parlé il y a quelques jours), la fameuse phrase était utilisée de manière presque ironique : le groove frénétique et les sons presque amusants de cette piste subvertissent le sens du sample. Ici, on se réapproprie tout ce qui est mécanique et froid, on danse dessus, on se gausse presque. Il paraît d'ailleurs que la chanson fut inspirée, tout bêtement, par l'attente interminable d'un journaliste qui devait interviewer le groupe et qui n'arrivait pas ! Même si la froideur du son et la référence au film peuvent faire poindre quelque humour noir (l'influence de la musique industrielle est bien là, après tout), c'est presque un tube léger que l'on a là…
Artiste : Ryoji Ikeda
Piste : What's Wrong?
Album : "Channel X" ; "1000 Fragments"
Date : Inconnue (entre 1985 et 1995)
Piste : What's Wrong?
Album : "Channel X" ; "1000 Fragments"
Date : Inconnue (entre 1985 et 1995)
Les univers cliniques, Ikeda connaît. C'est même un spécialiste du genre. Les pochettes de ses disques sont toutes blanches et ultra-minimalistes, avec des règles, des croix, des code-barres disposés de façon parfaitement régulière (les deux photos présentes sur celle-ci ont disparu lors de la réédition de l'album) — et les sons que contiennent sa musique sont "parfaits", méticuleusement disposés de manière à produire le maximum d'effet avec le minimum de sons et une présence humaine proche de zéro. Des travaux impressionnants sur l'espace, des fréquences glaciales qui forment des espaces abstraits… ou bien qui — contre toute attente— peuvent être follement dansants dans certains cas. Mais sa première série d'enregistrements, "Channel X" (incluse sur l'album "1000 Fragments"), était bien plus frénétique et chaotique, juxtaposition de courtes pistes présentant de nombreux instantanés de diverses visions de la famille d'univers dans lequel il entrera par la suite. Une piste très peu représentative de l'esthétique de l'artiste, mais un document intéressant. Ce sample introduit le premier rythme réellement techno de la série…
L'un des tous meilleurs disques que j'ai pu entendre de la part du cercle des membres de Skinny Puppy (Download, ohGr, The Tear Garden…), "The Infidel" de Doubting Thomas (soit cEvin Key et Dwayne Goettel) est un album instrumental aux sonorités sombres mais chaudes, travaillé comme une cathédrale à la beauté complexe et inquiétante, construite sur des ruines industrielles. F862 semble décrire une scène d'une histoire qui se passerait justement dans un monde dystopique, un monde dont une certaine héroïne tenterait de s'échapper — il ne faut pas grand chose pour évoquer cela, juste quelques samples qui décrivent la situation (le "What's wrong?" lointain, que l'on pourrait presque rater, évoque la fuite) et une progression qui la fait ressentir, en progressant d'un début plutôt froid et hostile à une montée en puissance de plus en plus chaude, mélancolique et de plus en plus humaine…
Laibach, groupe slovène lui aussi axé industriel (il semble que seuls des groupes électroniques ou industriels aient fait usage du sample — à moins que quelqu'un ne connaisse un exemple de son utilisation dans un autre genre ?), est surtout connu pour ses reprises de chansons pop (genre Life is Life ou The Final Countdown), plutôt comiques et aussi subtiles qu'un bulldozer… Il est ici aussi question d'humour, mais d'un humour grinçant. La pochette de l'album, le nom, le titre de la piste et surtout les sonorités sont sans appel : c'est un monde futuriste martial et totalitaire que Laibach nous présente, et son caractère grandiloquent et grotesque (avec la superposition de certains sons) ne le rend pas moins inquiétant. Pas plus que sa fin abrupte, qui conclut d'ailleurs l'oeuvre, et que l'on pourra interpréter de diverses manières.
Cette piste de F.U.S.E. (= Further Underground Sound Experiments), premier alias de Richard Michael Hawtin avant qu'il ne prenne le nom Plastikman, présente une utilisation sensiblement différente et d'autant plus mémorable du sample. Étonnamment apaisante et agréable, Theychx est une piste d'(ambient) techno à progression très lente, qui s'étale sur treize minutes presque hypnotiques… Qu'est-ce qui ne va pas ici ? Rien, tout va bien, tout est immuable, identique à lui-même, peut-être engourdissant mais si rassurant. On se croirait dans un univers technologique futuriste parfait, dans un hôpital qui fait réellement du bien. L'image de ce monde (version idéale de THX 1138 ?) est du coup immanquablement présente à l'esprit de l'auditeur — plus que dans n'importe quelle autre piste présentée ici. Et si vous ressentez malgré tout un certain malaise, une envie de vous échapper de cet univers sonore (ça n'est pas mon cas), cela ne viendrait-il pas que de vous ?
Orbital, fameux groupe de musique électronique des années 90, aura enregistré son chef-d'œuvre sans l'avoir entièrement voulu. "In Sides" était censé être un album de dance music, mais l'humeur des membres n'étant pas au rendez-vous lors des sessions d'enregistrement, le disque a fini par devenir un album à thèmes, aux pistes longues et remplies de tensions et d'une tristesse sous-jacente… Out There Somewhere?, final de l'album en deux parties (24 minutes au total et pas une de trop), est la partie la plus personnelle de l'album, les moments où ces sentiments se ressentent le plus. L'angoisse transparaît, tout semble tourner de travers, et la piste ne se "libère" qu'au bout de longues minutes… Rarement une musique électronique aura été aussi humaine.
Ah, UNKLE… Beaucoup penseront que le projet aurait dû s'arrêter après le superbe "Psyence Fiction" et le départ de DJ Shadow, tant il est vrai que James Lavelle n'aura jamais atteint les sommets touchés par ce premier album. "Never, Never, Land" sort ainsi après l'un des disques qui exprimait le mieux l'angoisse de fin de siècle qui imprégnait tout le genre ; mais avec un membre important en moins, cinq ans après, autant dire considérablement affaibli. "Never, Never, Land", c'est presque l'équivalent de retourner voir le prédicateur défait qui avait annoncé la fin du monde il y a trois ans — et que plus personne n'écoute. C'est un disque imparfait, larmoyant, parfois maladroit, sans doute dispensable pour qui n'est pas fan du genre… et pourtant, il reste touchant. I Need Something Stronger se repose presque entièrement sur le sample de THX 1138 (dont plus personne ne semble avoir envie de rire aujourd'hui). C'est une piste mineure de l'album, mais elle reste représentative et symptomatique : inquiétante au début, elle devient douce quelques moments puis repart dans cette angoisse de début de millénaire digital, aseptisé, qui n'a à offrir qu'une voix synthétique pour s'occuper du mal-être. Un sédatif, une pilule pour se sentir bien, pendant une courte durée. Et qui ne guérit rien des causes profondes.
— lamuya-zimina
— lamuya-zimina
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