C'est entendu.

lundi 26 septembre 2011

[Vise un peu] Rain Drinkers — Springtide ; Dwelling ; Bore Upon the Breath of Dawn

Les Rain Drinkers sont une perle cachée dans le paysage musical actuel. Cachée et quasi-insaisissable, tant leur musique, pourtant évidente à l'écoute, déjoue les classifications aisées… On pourrait parler d'"ambient folk", mais seulement si on adopte une définition très large de ce genre, qui prendrait en compte toutes les musiques d'inspiration traditionnelle avec un fort accent sur l'atmosphère. Ce que joue ce duo du Wisconsin, toujours dans des tenues surannées au milieu de paysages qui pourraient dater d'aujourd'hui comme d'il y a un siècle, emprunte aussi bien à la musique de chambre contemporaine, au krautrock/kosmische ou au post-rock ; Joe Taylor et Zavier Kraal, qui se disent accompagnés de l'"Esprit Créatif" (crédité en tant que troisième membre du duo) jouent tantôt d'instruments traditionnels (piano, cordes, parfois cuivres et beaucoup d'autres), tantôt de synthés réminiscents de certains passages de Tangerine Dream, et ne répugnent pas à utiliser des effets et textures sonores que l'on trouve d'habitude dans certaines musiques expérimentales.

Les noms de Godspeed You! Black Emperor ou de Leyland Kirby (The Caretaker) ont été cités comme inspirations possibles par plusieurs critiques, ce qui peut effectivement s'entendre sur certains passages ; je citerais aussi Tarentel, mais si l'on devait trouver un point de comparaison pour la musique des Rain Drinkers dans son ensemble, le nom qui viendrait le plus facilement à l'esprit serait celui de Popol Vuh à leurs débuts…


Un Popol Vuh moins synthétique cependant, beaucoup plus mélancolique et qui, plutôt que d'essayer d'atteindre une musique "cosmique", chercherait plutôt à sublimer quelque chose de déjà connu ; à retrouver des racines présentes dans notre passé collectif et les faire entendre d'une nouvelle manière, par le biais d'un peu d'expérimentation. Je pense surtout aux échos de musiques folkloriques que l'on semble entendre sur de nombreuses pistes — et ce, de plus en plus sur les derniers albums —, mais Zavier Kraal décrit les inspirations du groupe comme quelque chose de plus personnel et de plus ésotérique :
“Before attempting to achieve a certain affect via sound, we discuss the visual impact of particular memories and/or childhood dreams that have greatly influenced our lives. We like to think of the sounds that emanate as channeled, rather than performed. As Raindrinkers, each song/experience is significant in its own right, but also progresses towards some kind of distant finality. We welcome that finality with open arms. We hope that our recordings will document this process, as well as evoke equally powerful colors and lucidity in the mind of the listener. The recordings usually include varying combinations of drums and percussion, guitars, vocals, synthesizers, piano, organs, violin, cello, flutes, hand-made electronics, sound sculpture, field recordings, horns, woodwinds, sticks, rocks, stones, angels, and demons. Our music is almost always improvised. We prefer field recording in locations such as barns, caves, or pastures, over recording in a studio.” (*)



Les compositions du duo se basent donc non sur l'expérimentation mais sur des mélodies contemplatives et évocatrices, les effets électroniques et autres superpositions de field recordings étant là pour ajouter une autre dimension à ces airs sans les dénaturer. "Bore Upon the Breath of Dawn", sorti en 2010, fait largement usage de sons électroniques, lo-fi et synthétiques ; parfois presque oppressants quand ils sont juxtaposés à des field recordings (sur Hollow Moon) ou à une pulsation rythmique sur un piano et une voix très proches (sur Sands) ; parfois aussi remplis d'une tension, qui peut se révéler apaisante, comme sur la très belle Nemuri où une mélodie au piano s'imprime sur l'enregistrement d'une foule en mouvement ininterrompu (idée simple mais particulièrement réussie). "Dwelling" est une toute autre histoire : une seule piste de trente-trois minutes, en plusieurs mouvements, où une mélodie au violon tient le devant de la scène (même si textures et superpositions sont toujours là, ainsi qu'une certaine dissonance par moments). Les différents cycles de la piste peuvent rappeler le cycle des saisons dans leurs sonorités et les impressions qu'elles évoquent (mais il s'agit là d'une impression toute personnelle).


"Springtide" est le cinquième album du duo, et est tout aussi beau que les précédents si ce n'est plus : divisé en trois pistes, il se base encore plus que les précédents sur des sons traditionnels ; Springtide et Breach usent d'instruments et de tempos différents mais partent toutes deux du même principe, à savoir des compositions classiques qui guident le début des pistes puis une fin toute en suggestion, qui pourrait paraître inquiétante si on n'y entendait pas le même arrière-plan sonore en train d'achever son développement. Enfin, Hyacinth retrouve l'usage d'instruments synthétiques sur un final plus minimaliste, plus gai et apaisé aussi.

Les Rain Drinkers ont sorti cinq albums à ce jour : "The Healing Begins Now" et "Urthen Web I" sont encore disponibles sur cassette, respectivement chez Earjerk et Brave Mysteries ; les trois albums dont j'ai parlé plus haut sont sortis sur CD-R chez Reverb Worship et désormais épuisés, mais vous pouvez vous procurer les mp3s pour une somme modique ($2 par disque, ou plus si vous voulez) sur Bandcamp. Il y a peu de choses aussi belles que l'on peut s'acheter pour ce prix.


— lamuya-zimina


(*) “Avant d'essayer de parvenir à un effet [lit. "affect"] particulier par le son, nous discutons de l'impact visuel de certains souvenirs et/ou rêves d'enfance qui ont eu une grande influence sur nos vies. Nous aimons penser que les sons qui émanent sont canalisés plutôt que joués consciemment. Chaque chanson/expérience des Rain Drinkers possède sa propre signification, mais progresse également vers une finalité distante ; nous accueillons cette finalité à bras ouverts. Nous espérons que nos enregistrements témoignent de ce processus et évoquent couleurs et lucidité avec une même vivacité dans l'esprit de l'auditeur. [Nos] enregistrements incluent habituellement diverses combinaisons de batteries et percussions, guitares, voix, synthétiseurs, pianos, orgues, violons, violoncelles, flûtes, instruments électroniques faits main, sculptures sonores, field recordings, cors, bois, bâtons, pierres, anges et démons. Notre musique est presque toujours improvisée. Nous préférons enregistrer directement dans des granges, des grottes ou des pâturages plutôt que dans un studio.”

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