Fin août 2011, Kristin Hersh, meneuse des Throwing Muses, entamait une mini tournée solo, passant d’abord par Édimbourg pour quatre dates puis débarquant en Irlande pour quatre autres.
Kristin Hersh a fondé le groupe Throwing Muses en 1981 (alors qu’elle n’a que 14 ans) avec sa demi-sœur Tanya Donelly (qui formera Belly en 1991). Premier groupe américain à être signé sur le label british 4AD, le groupe sort son premier album "Throwing Muses" en 1986. Leur musique, une sorte de mélange inédit de punk surréaliste et de pop malsaine, comme une berceuse pour des enfants neurasthéniques, avec des changements de rythme imprévisibles, influencera entre autres les Pixies (frères de label et de tournée), Kurt Cobain et toute la scène indie rock des 90's. Le groupe existe toujours et sort une "Anthology" début octobre (suivie d’une tournée) où l'on pourra notamment entendre la contagieuse Hate My Way tout droit sortie de la tête de la jeune Kristin :
En 1995, Kristin Hersh sort son premier album solo , "Hips & Makers", énorme succès grâce à l’implacable Your Ghost (avec Michael Stipe aux chœurs). Elle enchaîne les albums de grande qualité (à tendance folk) sur 4AD jusqu’en 2007 et gagne ensuite son indépendance en créant CASH Music, un système permettant aux auditeurs de subventionner l’artiste en échange de titres, démos en avant-première, leurs noms sur les guestlists de chaque concert, etc. Résultat de tout ce travail : "Crooked", son dernier album sorti en 2010, y est en vente et en streaming.
Pour ma part, j’ai découvert la musique de Kristin Hersh en 2004 après avoir lu une interview de Thom Yorke dans laquelle il la décrivait comme quelqu’un qui "met toute sa merde dans ses chansons, pour éviter que ça n’empoisonne sa vie". J’ai écouté "Hips&Makers" et "Sunny Border Blue" (2001) pendant des années. Il y a quelques mois j’ai découvert sur son site web que "Kristin Hersh announces some gig in Ireland". La dame se faisant plutôt rare en France, il était hors de question que je loupe ces concerts (Dundalk, Kilkenny et Cork). Déçu qu’elle ne joue pas à Dublin (où je devais résider pour quelques mois), je pris sur moi de me décroiser les bras et j'envoyai quelques mails à une dizaine de salles dublinoises… Quelques réponses plutôt positives et trois jours plus tard, une date à Dublin était ajoutée et par là-même mon nom sur la guestlist. Que cela serve de leçon même aux plus timides d’entre nous : rien n’est impossible aux hommes de bonne volonté. Amen.
Samedi 20 Août, Dundalk (Spirit Store) :
Près d’un mois et demi d’impatience et enfin ma copine et moi prenons place à deux mètres de la scène du charmant Spirit Store de Dundalk. L’endroit est assez inhabituel : la salle est située à l'étage d’un pub situé sur un port presque désaffecté, sept cygnes sur la rade et d’énormes montagnes irlandaises en fond. Les 70 places sont prises. La première-partie, Pugwash (des dublinois), avec ses mélodies Jeff Lyne/Beatles-que (Neil Hannon a collaboré sur quelques titres de leur dernier album) et ses blagues dans un anglais incompréhensible nous fait agréablement patienter. L’atmosphère est très intime et détendue (la Guinness aidant).
Billy O’Connell (ou comment gagner la sympathie des Irlandais avec son nom), le mari/manager de Kristin Hersh, prépare la scène et déballe son speech d’introduction en concluant par un très attendu "Here’s Kristin !" Souriante et visiblement heureuse d’être là, Hersh empoigne sa Xtone noire et entame en chantant "Mississippi Kite, you paint your own TV on the wall"… Elle regarde au loin, les pupilles fixes, sans cligner des yeux une seule fois durant chaque morceau, son cou ondule lors des accalmies comme pour si cela participait au son de la chanson. Les morceaux joués ce soir relèvent le défi de ne se ressembler en rien bien que tous soient joués sur la même guitare. Le blues délicat de Sno-Cat est encore meilleur en live, laissant plus de place aux silences, aux respirations, un peu comme un cousin éloigné du Paris Texas de Ry Cooder. C’est à ce moment qu’un délicat spectateur en profite pour rompre ce moment magique en ouvrant son paquet de chips, ce qui n’affecte en rien Kristin qui chante prophétiquement "I decide to forgive and forget".
(Quelques souvenirs de la soirée)
Toutes les deux ou trois chansons, Kristin lit des extraits de son autobiographie ("Paradoxical Undressing", sortie début 2011) basée sur son journal intime qu’elle tenait en 1985, bourré d’anecdotes pleines d’humour (noir) sur les Throwing Muses, sur la découverte de sa bipolarité, l’enregistrement de son premier album alors qu’elle était enceinte… Et puis Teeth conclut le set intense et généreux que nous a donné Kristin Hersh à Dundalk. Pour couronner le tout, j’ai même eu la chance d’échanger quelques mots avec la principale intéressée.
Dimanche 21 Août 2011 – Kilkenny (The Set) :
Kilkenny est une très jolie petite ville, parmi mes préférées en Irlande avec son château, ses rues médiévales, sa rivière… Une carte postale. Kristin joue au Set, un luxueux petit théâtre, avec balcon et grands rideaux rouges.
Pugwash ouvre une nouvelle fois la soirée, mais cette fois le guitariste porte un gant blanc à sa main gauche. La raison étant qu’il est allergique… aux cordes de guitare, sérieusement. La setlist de Kristin sera à peu près la même que la veille (quelques changements dans l’ordre des titres), mais le son est bien meilleur, sa guitare produisant des notes profondes, amples et précises. L’éclairage est simple mais parfait pour l’occasion, créant de sombres vagues de lumière bleutées. Les accords mêlés à la voix de Kristin sur Caffeine flottent dans le théâtre et c'est l'occasion pour moi de subir une révélation instantanée : une première partie désabusée ("The best of us puking / The rest of us, not doing so well") qui s’envole vers la moitié de la chanson grâce à ses amples accords salvateurs joués en boucle, puis le "I can soothe you soon" de Kristin qui me ramène doucement sur mon siège, au Set, à Kilkenny. Une perle parmi les perles jouées ce soir, tout comme la bien-nommée Pearl, des Muses, plus dépouillée que sa version originale… Sur ce titre, la voix de Kristin se fait d’abord compatissante puis totalement abrasive et démente au fur et à mesure que le rythme s’accélère. Ses yeux bleus toujours aussi fixes, comme possédée. Un brouhaha murmuré s'éveille dans le public lorsque résonnent les premiers accords de Your Ghost et je ne peux m’empêcher d’entendre Vic Chesnutt chanter les chœurs sur cette chanson comme il le faisait durant leurs apparitions communes en 2000.
(Your Ghost, avec Michael Stipe)
Une fois le set terminé, je tentai de "convaincre" Billy de faire jouer les Throwing Muses en France lors de leur tournée européenne de novembre prochain. Rien n’est impossible…
The (bad) luck of the Irish :
Malheureusement, le lendemain du concert à Kilkenny, Kristin est victime d’une extinction de voix. La poisse. Obligée d’annuler le concert à Cork et malgré mes prières répétées aux dieux vaudous, le tweet tant redouté tombera le jour du concert prévu à Dublin, à 16h23 exactement :
C’est sans espoir. Le concert a depuis été reporté au 11 novembre, date à laquelle je ne serai malheureusement plus à Dublin. Une déception qu'un tweet de réconfort à Kristin et le bootleg du concert dublinois de 2010 m'ont aidé à surmonter. En attendant, peut-être, un passage des Throwing Muses en France dans les mois qui viennent !
Aquabonist
Formidable témoignage. Mireille Dumas would be proud.
RépondreSupprimerJ'avoue n'avoir jamais écouté les disques solo de Kristin ! Ca m'a donné envie de ressortie "The Real Ramona", aussi.
RépondreSupprimersuper ! ça fait plaisir d'avoir des news de K. Hersh. j'ai eu le plaisir de la voir à paris il y a deux ou trois ans au nouveau casino. hâte de la revoir en France !
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