Après une attente plus ou moins longue selon le quidam (un siècle au bas mot en ce qui me concerne) et de multiples feintes de la part de son géniteur qui s'est amusé à uploader à de nombreuses reprises des albums de Céline Dion ou d'autres artistes pas possibles sous le titre "Goblin", et qui s'est bien gaussé (via Twitter) des internautes qui ont cru/crié au leak, voilà enfin le tant attendu deuxième marmot de la famille du Créateur.
La formule est presque identique à celle de "Bastard", à savoir quinze morceaux (et trois de plus sur l'édition deluxe). Une quasi-symétrie dans la forme renforcée par une pochette qui s'inscrit dans la droite lignée des précédents artworks du collectif.
(Nightmare)
Et Tyler est toujours au top de sa forme, c'est une certitude. Poussant un peu plus loin ses instrumentations, il ose s'enfoncer dans un rap aux lueurs abstraites, planantes et ténébreuses. À n'en pas douter, "Goblin" est bien plus sombre encore que "Bastard", comme si chaque album était un pas de plus dans la direction opposée à la sérénité. Comme si l'on cherchait à remonter à la source d'un traumatisme, d'un complexe enfoui profondément. Sur Goblin, le morceau d'ouverture, Tyler dialogue avec ce qui semble être sa conscience (le docteur TC, qui servait déjà de psy de fortune sur "Bastard"), et se livre dans toute la profondeur de son être :
"I'm not a fuckin' role model.
(I know this)
I'm a nineteen year old
Fuckin' emotional coaster
With pipe dreams."
Il y a des constantes chez Tyler : quel que soit le ton du morceau, son flow est bouillonnant d’agressivité, sans vergogne, et c'est sa voix grave et rauque et un débit bien à lui qui le distinguent, et puis cette manie de mettre l'accent sur certaines voyelles et de doubler ponctuellement ses parties de chant avec une voix aigüe et noyée dans la reverb', parfois la sienne, parfois celle d'un autre membre d'Odd Future. Aussi anticonformiste, surprenant et innovateur soit-il, Tyler, tout comme d'autres rappeurs du collectif (le duo MellowHype par exemple), commence a avoir assez de passif pour que l'on puisse dégager certains codes de sa musique. En dépit de ces points de repère, il parvient à nous prendre au dépourvu avec un album assez différent de ce que l'on aurait pu attendre.
(Analog feat Hodgy Beats)
En effet, après la mise en ligne de Yonkers et de son clip envoûtant, on pouvait raisonnablement s'attendre à un album enchainant les tubes. Surtout en voyant Tyler déchainé, accompagné du crew, égrenant les plateaux TV avec l'hymne Sandwitches. Il n'en est rien, et c'est tant mieux. Avec la renommée croissante et déjà planétaire que se traîne Tyler (9 771 613 vues pour Yonkers sur YouTube au moment où je vous parle), il aurait pu choper un melon énorme, façon rappeur de L.A. si vous me suivez, pas besoin de vous faire un dessin. Personne n'aurait été étonné de le voir alors balancer du gros beat en veux-tu en voilà, viser l'efficacité pour achever de s'approprier un cercle de fans encore plus balèze. Mais non, plutôt que de profiter de la vague hype qui le porte en ce moment pour renchérir en s'acoquinant les derniers hipsters pas encore convaincus, Tyler a préféré rester fidèle à son dogme, à son moi obscur, torturé, et publier le matériau brut, tel quel. Écoutez Window, qui pourrait faire office de Frankie Teardrop (cf Suicide) made in Odd Future : huit minutes de cafard, une glauque perte de contrôle.
(Window)
Celui qui s'attend à trouver sur "Goblin" peu ou prou la même chose que sur "Bastard" se fourre allègrement le doigt dans l’œil. Pour apprécier cet album, il faut l'appréhender comme il faut ; voyez-y une massive boule noire (celles de l'émission Motus), une tumeur emplie de cris, de violence et de questions laissées sans réponses, et ne décidez de plonger dans cet océan d'amertume que si vous pouvez aller d'un bout à l'autre du grand bassin des douleurs. Si vous osez. Il faut au moins ça pour comprendre de quoi retourne l'artiste Tyler. La force de "Goblin" réside dans le fait que même sans véritable pilier d'efficacité autre que Yonkers (Et encore... On est loin de Sir Mixalot ou même du Wu-Tang), l'album est solide. On a affaire à une espèce de rap hybride, à la frontière d'un style gangsta assumé (bien que relevant du second degré) et d'un lyrisme très puissant, très posé et enténébré à souhait. Vertigineux.
Hugo Tessier
dis donc vous les aimez ses grimaces^^
RépondreSupprimerOn en raffole :)
RépondreSupprimerPeut-être qu'il se livre encore plus sur cet album que sur Bastard, les lignes qui parlent d'Earl sont vraiment poignantes. J'ai hâte de voir la fin de la psychanalyse de Dr TC, avec Wolf.
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