C'est entendu.

jeudi 14 avril 2011

[Fallait que ça sorte] Cabaret Voltaire - Three Mantras

Cabaret Voltaire fait partie de ces noms qui deviennent vite incontournables à partir du moment où l'on s'intéresse un peu à la musique industrielle et/ou au post-punk.

Le groupe de Sheffield, qui tire son nom du fameux lieu de naissance du mouvement Dada à Zürich, a acquis sa renommée grâce à des pistes à la fois dansantes et glauques, répétitives et nihilistes, sublimées par une voix agressive, souvent embourbées dans un son carrément vaseux et des paroles souvent inintelligibles. Selon votre sensibilité, ces morceaux "classiques" du groupe (dont le style a beaucoup évolué par la suite : leur dernier album, "The Conversation", est de l'ambient techno qui n'a plus rien à voir avec les débuts) peuvent être de vrais tubes ou des bouillies informes quasi-inécoutables.

L'un des albums majeurs du groupe est "Red Mecca", une réussite du début à la fin, entre la dissonance déstabilisante d'A Touch of Evil, le rythme accrocheur et presque relaxant de Landslide, la tension irrésolue répétée sur dix minutes d'A Thousand Ways, et les tubes incisifs et rythmés que sont Red Mask et Spread the Virus ; si vous ne connaissez pas encore le Cabaret, c'est sans doute par là qu'il faudrait commencer…


(Red Mask, sur "Red Mecca")

… mais l'EP dont il est question aujourd'hui, s'il est un peu moins représentatif du son "classique" du groupe et reste relativement difficile d'accès, est aussi particulièrement intéressant — et pas seulement au niveau des sons et des chansons, mais aussi vis à vis de la structure du disque et de son concept. Publié en 1980 sur le label Rough Trade, "Three Mantras" est composé de deux pistes de vingt minutes (une sur chacune des faces du vinyle), quasi-opposées, complémentaires, chacune donnant l'impression de pouvoir continuer indéfiniment, et respectivement intitulées Western Mantra et Eastern Mantra. Ou Eastern Mantra et Western Mantra (*)

Western Mantra est basée sur un beat rapide particulièrement entraînant, accompagné d'une basse efficace ; des voix à demi paniquées répètent des mots aussi difficilement intelligibles que d'habitude (on comprend au moins "Signal of a symptom / soon to be exhausted"), d'autres sons voguent presque en roue libre par-dessus, avec une mélodie synthétique au son acide accrocheuse qui rend la piste carrément dansante — si ce n'est que les sons utilisés donnent l'impression d'être dégradés, usés, laissant imaginer une machine effrénée qui tournerait inlassablement, un système qui aurait dégénéré depuis longtemps et serait devenu inarrêtable.

L'Eastern Mantra, quant à lui, est beaucoup plus étrange : des paroles déformées sont répétées inlassablement au premier plan alors que le morceau semble tour à tour enfler puis désenfler, empreint d'une sorte de respiration régulière presque inquiétante — sur lequel se superposent divers instruments (une percussion à l'arrière-plan, beaucoup moins "mécanique" que sur l'autre piste) et des enregistrements de voix et de chants… C'est la face à la fois la plus "humaine" et la plus dérangeante (l'image qui me viendrait en tête à l'écoute de cette "chanson" serait celle d'un homme dans un état second déambulant à travers une ville mais se sentant complètement détaché d'elle, perdu dans ses pensées, incapable de se libérer de ces voix obsédantes, de ce trouble intérieur).

Les deux faces sont aussi ambivalentes que réellement hypnotiques, et peuvent toutes deux amener à une sorte de transe, chacune d'une manière différente (presque opposée). Quant à l'interprétation que l'on peut faire de chaque "mantra", elle est en fin de compte aussi subjective que subvertie par le doute quant au titre des pistes… et par le titre du disque.

"Three Mantras", par certains aspects, est une énigme : y a-t-il une symbolique, un sens à ces morceaux (un monde "occidental" et un monde "oriental", qui fonctionneraient selon différents rythmes et tourneraient selon leurs propres codes à l'infini) ? Où est, ou qu'est le "troisième mantra" annoncé par le titre ? Pourquoi cette confusion au niveau des titres des pistes ? Toujours est-il que ce disque est une belle réussite, troublante, dansante et intéressante à la fois ; l'un de ces EPs qui, s'ils ne sont pas des disques aussi variés et "majeurs" que des albums, sont de petits bijoux parfaits en leur genre.


— lamuya-zimina


(*) : Le disque n'indique pas clairement quelle piste est le Western Mantra ou laquelle est l'Eastern Mantra, ce qui donne lieu à une certaine confusion… Personnellement, je fais plus confiance aux notes qui indiquent la présence d'enregistrements du marché de Jérusalem sur l'Eastern Mantra (que l'on entend sur la seconde piste de l'édition CD) qu'au fait que l'Eastern Mantra soit indiquée en premier au dos de la pochette. La confusion est-elle volontaire ? Allez savoir… À noter que, sur l'édition vinyle, il n'y a aucune indication permettant de distinguer une face de l'autre.

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