J'ai longtemps hésité avant de vous parler de :zoviet*france:. Pas à cause de la graphie variable et bizarre de leur nom de groupe, mais parce que j'ai mis quelque temps à trouver ce qui me prenait à ce point dans leur musique, ce qui faisait que je n'avais jamais assez de leurs albums, tous un peu similaires mais dotés d'une fascinante étrangeté malgré leur simplicité apparente.
Et puis un vieil enregistrement des années 90 a fait surface sur Youtube, comprenant une interview du groupe, quelques brefs extraits live, une présentation des boîtes et pochettes spéciales de leurs premiers disques ainsi qu'une vidéo (à partir de 5:42) présentant leur musique et leurs visuels caractéristiques — bref, un document précieux sur ce groupe d'habitude discret :
Et puis un vieil enregistrement des années 90 a fait surface sur Youtube, comprenant une interview du groupe, quelques brefs extraits live, une présentation des boîtes et pochettes spéciales de leurs premiers disques ainsi qu'une vidéo (à partir de 5:42) présentant leur musique et leurs visuels caractéristiques — bref, un document précieux sur ce groupe d'habitude discret :
Plus tard encore, j'ai voulu décrire le dernier disque de Cyclobe, "Wounded Galaxies Tap at the Window", à quelqu'un — et je me suis mis à trouver des similitudes entre ces deux musiques, que l'on dirait toutes deux sorties d'un folklore imaginaire (étrange et déformé dans le cas de Cyclobe, étrangement familier dans celui de :zoviet*france:). J'ai aussi réécouté "My Life in the Bush of Ghosts" de Brian Eno et David Byrne, et en lisant le livret (notamment l'excellent texte de Byrne), j'ai trouvé d'autres parallèles encore — le projet qu'avaient fomenté Eno, Byrne et Jon Hassell (mais également Holger Czukay et Can) de créer, de manière anonyme, une "fausse musique traditionnelle" qui viendrait d'une culture imaginaire ; ainsi que, quelques pages plus loin, des commentaires sur l'utilisation des voix samplées et sur le fait que, parfois, un sample basse fidélité pouvait avoir plus de caractère qu'un enregistrement hi-fi.
(Gris, sur l'EP du même nom)
Cela fait depuis 1980 que :zoviet*france: crée une musique à la fois expérimentale et primitive ; une musique atemporelle, qui semble venir de nulle part en particulier et de partout à la fois, et qui ressemble par de nombreux aspects (structures répétitives, instruments rudimentaires, voix répétées et qui semblent parfois ne plus être tout à fait humaines) à une musique "rituelle" — sans qu'il n'y ait de rite pour l'accompagner. Ces pistes font résonner quelque chose d'inconscient et de viscéral en l'auditeur, que ce soit une certaine peur, un confort, ou une sorte de transe — et l'impression que tout cela a un sens, lequel serait à fois ancré dans nos racines et tombé dans l'oubli…
(East Taunts West, Scacen et Notochord, sur "Loh Land")
L'effet vient en partie des sons utilisés par le groupe : enregistrements et objets trouvés ça et là, instruments sommaires bricolés (cf. à partir de 03:22 dans la vidéo ci-dessus)… Cet assortiment de sources sonores disparates, entre extraits dont on ignore la provenance et sons de tous les jours que l'on a tendance à ignorer, fait que la musique semble à la fois commune et inconnue ; l'"exotique" est non localisé, non identifié, et le "familier" est rendu étrange par sa mise en valeur dans des situations inhabituelles. Le fait que la qualité sonore des sons utilisés soit variable brouille encore plus les pistes, et le groupe parfait l'illusion en donnant à ses morceaux des titres tantôt en anglais, tantôt en d'autres langues ou encore en utilisant des mots rares d'origine étrangère ("Dybbuk", "Nachtmaal") ou d'autres qui semblent tirés de langues inventées ou très obscures ("Cahl-yn-yan", "Mohnomishe", "Shteirlel" ?) — à tel point qu'il devient difficile de savoir quels titres sont inventés et lesquels ne le sont pas.
Pourtant ce n'est pas l'imitation ou la récupération de "musiques du monde" rituelles existantes qui semble intéresser le groupe, mais bien la création de pistes qui touchent les auditeurs d'une manière similaire à l'aide des sons (inaperçus ou mis au rebut) de notre propre culture. :zoviet*france: décrit sa propre musique comme "du Nord-Ouest de l'Europe", une appellation à la fois simple et quelque part ambiguë qui a de quoi faire réfléchir…
Pourtant ce n'est pas l'imitation ou la récupération de "musiques du monde" rituelles existantes qui semble intéresser le groupe, mais bien la création de pistes qui touchent les auditeurs d'une manière similaire à l'aide des sons (inaperçus ou mis au rebut) de notre propre culture. :zoviet*france: décrit sa propre musique comme "du Nord-Ouest de l'Europe", une appellation à la fois simple et quelque part ambiguë qui a de quoi faire réfléchir…
(Nature But Not, sur "Just an Illusion")
La manière dont les sons sont utilisés laisse également imaginer des objets sonores tombés dans les mains d'un peuple qui les aurait utilisés selon ses propres codes ; ce sont souvent des boucles qui reviennent, provoquent des effets hypnotiques, mais également des associations étonnantes qui créent des rythmes et cycles plus ou moins déstabilisants. Parfois, un sample de voix se répète par intermittence sur tout un album, au fil des pistes, comme un mantra ou un leitmotiv (c'est le cas sur "Just an Illusion" ou "Look Into Me"). Quelques pistes gardent leur étrangeté tout le long et paraissent indéchiffrables, insaisissables même après plusieurs écoutes, comme Cair Camouflet sur "Look Into Me", White Dusk sur "Collusion" — ou encore Carole the Breedbate sur "Shouting at the Ground", qui évoque un rêve déjà étrange qui deviendrait brusquement incroyablement insolite (la musique de :zoviet*france: a aussi, très souvent, une qualité hypnagogique importante). D'autres pistes sont intensément apaisantes, véritables cocons sonores, comme la quatrième piste de "Mohnomishe" ou Ascend a Fall et Caught in the Square sur "Just an Illusion"…
(la deuxième piste de Mohnomishe)
Si le groupe est toujours actif aujourd'hui, il a perdu bon nombre de ses membres au cours des années (Mark Spybey et Robin Storey, deux anciens membres, ont d'ailleurs formé leur propre duo intitulé Reformed Faction — je vous en reparlerai prochainement) ; :zoviet*france: est actuellement un duo composé de Ben Ponton et Mark Warren. Leur style a aussi changé progressivement ces quinze dernières années, avec l'incorporation de sons plus électroniques sur l'excellent "Digilogue" — et un disque inattendu, "The Decriminalisation of Country Music", qui "documente" la construction du centre culturel Tramway à Glasgow en utilisant des sons enregistrés à cette occasion — en plus d'une guitare jouée au bottleneck ( ! ). Pourtant, même là, le groupe ne perd pas de son identité sonore et reste aussi intéressant qu'à ses débuts.
(Melangell sur "Look Into Me")
La discographie de :zoviet*france: est assez vaste et je n'en connais pas l'intégralité, mais si vous voulez des recommandations, ces disques-ci font partie de mes favoris :
Le groupe est resté discret et peu productif dernièrement, leur dernier album complet datant de… 2000 (si l'on excepte les sorties en 2005 d'un disque de leur ancienne période, jusque-là inédit, et en 2008 de l'EP "Shteirlel", plutôt anecdotique). Cela dit, le groupe (qui n'a pas de site officiel mais tient une page Facebook) est en train de masteriser un nouveau disque ; pas de titre ni de date de sortie, mais on pourrait s'attendre à un nouvel album dans les mois qui viennent…
— lamuya-zimina
- "Shouting at the Ground" et "Just an Illusion", deux très bons albums, variés et accessibles, qui présentent chacun toutes les facettes du groupe ;
- "Mohnomishe", plus difficile d'accès, basé sur des sons très lo-fi et des boucles parfois quasi-industrielles sur les pistes courtes — mais aussi deux pistes longues superbes, oniriques et souterraines ;
- "Digilogue", qui incorpore des sons électroniques dans la formule sans dénaturer l'esthétique du groupe ;
- "Collusion", à la fois excellent, très varié et différent des autres disques du groupe, qui regroupe des pistes créées pour des compilations ; beaucoup de samples d'autres musiques et des structures presque bruitistes ou effrayantes, moins hypnotiques que d'habitude mais tout aussi intenses.
Le groupe est resté discret et peu productif dernièrement, leur dernier album complet datant de… 2000 (si l'on excepte les sorties en 2005 d'un disque de leur ancienne période, jusque-là inédit, et en 2008 de l'EP "Shteirlel", plutôt anecdotique). Cela dit, le groupe (qui n'a pas de site officiel mais tient une page Facebook) est en train de masteriser un nouveau disque ; pas de titre ni de date de sortie, mais on pourrait s'attendre à un nouvel album dans les mois qui viennent…
— lamuya-zimina
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