Le choc. PJ Harvey l'a fait. Elle a réussi un album. Je sais ce que vous allez me dire : et "Dry", et "To Bring You My Love" ? Aussi cools que peuvent être ces deux albums, et les autres LPs de PJ, d'ailleurs, ils sont tous "inconsistants" (*), ils ont tous leurs vilains petits canards (souvent des chansons un peu trop faciles à défaut d'être vraiment mauvaises). La seule exception serait peut-être "White Chalk", le dernier en date, mais les chansons qui y figurent sont jolies, juste jolies : seule The Mountain apporte un peu de folie à l'ensemble.
Alors que cette fois-ci, ça y est, on l'a. Il fallait à PJ un bon vieux trip pour pondre quelque chose qui se tienne de bout en bout : ça sera le réveil de la suprématie anglaise. Du coup, libérée de tout sens commun, un peu à l'instar de Kanye West sur son dernier album, PJ Harvey est parvenue à trouver un certain équilibre dans le déséquilibre. Moi-même, j'ai honte d'avoir écrit cette phrase, mais c'est vraiment ça : l'England shake, et PJ surfe sur le tsunami.
(The Words That Maketh Murder)
Après avoir montré l'étendue de ses capacités vocales et la pureté de son timbre sur "White Chalk", PJ a décidé d'exploiter tout ce qui pouvait être énervant dans sa voix. Elle imite Pingu sur England, rend hommage aux enrhumés de tous les pays sur Written on the Forehead, et laisse même le micro à Mick Harvey sur The Colour of The Earth ; mais ce n'est pas tout. Non seulement elle se fout de savoir comment elle chante, mais elle s'est aussi mis en tête de jouer de tout sur son album, y compris d'instruments qu'elle ne maîtrise visiblement pas.
(The Glorious Land)
On savait déjà que PJ n'était pas la guitariste du siècle, mais vus les gémissements qu'elle parvient à extraire de son saxophone, en comparaison, le solo de Dress (sur "Dry", sorti en 1993, ndlr) serait presque l'égal de celui de Jimmy Page sur Heartbreaker (là ça date de 1969, ndlr). John Parish ne fait pas mieux avec son trombone qui semble murmurer "achevez-moi" chaque fois qu'il souffle dedans (le trombone). Car oui, John Parish est bien sur cet album. Vous avez remarqué comme je vous ai épargné l'évocation du disque furieusement banal commis il y a deux ans par ces deux tourtereaux platoniques ? Croyez-moi, à la manière d'Aïcha passant devant Khaled, il vaut mieux faire comme s'il n'existait pas.
(Bitter Branches)
Tout n'est pas qu'instruments analogiques sur "Let England Shake", il y a aussi, attention nouveauté, du sample ! Et alors là, c'est comme pour le reste : une boucherie. Ça avait commencé très fort avec la performance de PJ au Andrew Marr Show , où son autoharpe n'était tout simplement pas accordée sur le sample, créant (volontairement ?) un léger malaise, alors que la chanson en question (Let England Shake) est peut-être la plus radio-friendly. Mais PJ ne s'est pas arrêtée là, et propose aussi un clairon militaire qui se répète plus que de raison sur l'intro de The Glorious Land, ainsi qu'un chant très Rough Guide To [Pays Pas Civilisé] sur England.
Déjà cinq paragraphes et je n'ai toujours pas dit de bien de cet album que j'adore. "Qui aime bien châtie bien" dit le dicton complètement con. Ça serait plutôt "Qui aime bien châtie mal" : plus on aime quelqu'un, plus on est maladroit, et pourtant on veut trop en faire. Alors on va trop loin et on le blesse. Pardon Polly Jean si je t'ai fait mal. Pardon si, au delà de la cohérence de l'album, je n'ai pas évoque les paroles très belles et très musicales ; la jubilation que l'on ressent dans ton interprétation, communicative comme c'est pas permis ; la beauté des résonances de ton autoharpe qui invoque les meilleurs riffs des 80's sans la laideur kitsch ; ou la pochette que je ne me lasse pas de contempler. Pardonne-moi, Polly.
Flute, l'article est terminé et je n'ai pas fait de jeu de mots sur le nom de John Pasriche ni parlé de sa tête bizarre. Tant pis, ça attendra le prochain PJ.
Joseph Karloff
(*) je mets des guillemets car le mot existe en français, mais a-t-il la même signification que l'anglais "inconsistent" ?
Bel article et note méritée, pour ce qui est le premier album de PJ Harvey que j'écoute autant !
RépondreSupprimerJ'ai eu beaucoup de mal à y rentrer pour ma part, et puis les paroles m'ont convaincu de l'écouter davantage et finalement, je commence à l'aimer, notamment In the dark places que je trouve très belle. Il y a des choses que je regrette, comme par exemple la toute fin de la sinon-fort-chouette The words that maketh murder, lorsque ça part sur "I could take my problem to the United Nations" qui sonne aussi ironique dans le texte que faux dans la mélodie (faux dans le sens "pas à sa place").
RépondreSupprimerJe pense que je l'aimerai de plus en plus.
C'est ma première écoute d'un album de PJ, et sans avoir fait attention aux paroles, il m'a tout de suite accroché, pour devenir l'album que j'ai le plus écouté cette année. Peut etre le meilleur album des '10s pour moi so far.
RépondreSupprimerPersonnellement je l'aime beaucoup, beaucoup. Un peu surpris d'ailleurs parce que j'ai toujours trouvé PJ mi bien mi bof. Par contre expliquez moi les trompettes/clairon/whatever sur The Glorious Land. Je comprends pas. Après 50 écoutes je cherche toujours quelle popup est en train de me jouer cet affreux son.
RépondreSupprimerAh je trouve ce détail fameux moi, au contraire. :)
RépondreSupprimerMoi ça dépend des écoutes. J'ai peur que sur la durée ça me saoule, parce qu'en dehors de ce détail tellement pas détail j'adore cette chanson.
RépondreSupprimercomment ça "tellement pas détail" ?
RépondreSupprimerBah, j'imagine que ce n'est pas que le LSD qui a dit à PJ de mettre trois ou quatre fois et de manière totalement random un sample de clairon de guerre pas du tout ni dans le rythme ni dans la clé d'une chanson par ailleurs très bien structurée et joliment composée.
RépondreSupprimerJe veux dire que c'est un truc dont on ne peut pas faire abstraction quand on écoute le morceau.
Ce sample de clairon ne m'a jamais dérangé. Alors que le sample de Written on the forehead (un africain qui chante des mots que je n'arrive pas à comprendre)...
RépondreSupprimerTu parles pas l'africain, Joe ?
RépondreSupprimerJe parle le langage du zouk et j'écoute un peu de musique congolaise mais les types y chantent souvent en français !
RépondreSupprimer"Blood, blood, blood, blood and fire" : http://www.youtube.com/watch?v=p66j7R8c0FY
RépondreSupprimerLa Jamaïque, l'autre pays de l'africain.
RépondreSupprimerKarloff ->>> oui t'as raison, on peut pas l'ignorer ! c'est plus qu'un détail. C'est le sel de cette chanson.
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