C'est entendu.

mercredi 20 octobre 2010

[Fallait que ça sorte] Einstürzende Neubauten — Zeichnungen des Patienten O.T.

Vous connaissez Einstürzende Neubauten (*), ce groupe allemand qui utilise tout ce qui lui tombe sous la main comme instrument, qui débuta lors d'un concert-farce le 1er avril 1980, qui dure depuis trente ans et dont l'un des membres, N.U. Unruh, écrivait, sur la pochette de leur premier single (Für den Untergang), “Krach ist die moderne Melodie” (le bruit est la mélodie moderne) ?

Le groupe est en ce moment même en pleine tournée d'anniversaire (ils passent en France en Novembre) et à cette occasion, je voulais revenir sur ce qui est pour moi l'un de leurs meilleurs albums, et même l’un des albums les plus marquants de son époque : “Zeichnungen des Patienten O.T.”.

Oswald Tschirtner, Zuhörende Menschen (“personnes qui écoutent”), 1972.

Le titre se réfère aux dessins réalisés en hôpital psychiatrique par Oswald Tschirtner, un artiste autrichien atteint de schizophrénie. Ne me demandez pas s'il y a un lien concret entre les dessins et la musique présente sur cet album (la rumeur veut que le bassiste du groupe ait pris des notes sur la mesure des pistes qui auraient fini par ressembler aux dessins de Tschirtner). Mais si Blixa Bargeld, Mark Chung, Alexander Hacke, FM Einheit et N.U. Unruh ne sont pas aliénés, “Zeichnungen des Patienten O.T.” semble être l’œuvre d’un dément : la musique sur ce disque est dérangée et torturée au possible, un véritable cauchemar qui ne laisse pas indemne.

Einstürzende Neubauten, “Zeichnungen des Patienten O.T.”, 1983.

Là où l’album précédent, “Kollaps”, posait les fondations du groupe sur treize vignettes déjà intéressantes et iconoclastes (mais parfois un peu disjointes), “Zeichnungen des Patienten O.T.” forme un tout, aussi sauvage (sinon plus) que les précédents enregistrements des Neubauten mais animé d'une âme, d'un flux, d'une énergie indescriptible qui tient l'album ensemble, énergie dont on ne sait parfois plus trop si elle est habilement maîtrisée ou purement canalisée par le groupe.



(Vanadium-I-Ching)

Dès les premiers sons de Vanadium-I-Ching (fracas de métal et bruits dissonants, puis une pulsation régulière et une voix inquiétante, aussi souvent hurlée que chuchotée), l’auditeur (-trice) est prévenu(e) : on est ici en terrain hostile. Hostile mais fascinant, et empreint malgré tout d'une véritable beauté, aussi monstrueuse soit-elle ; alors que d'autres albums majeurs de l’époque pouvaient donner la nausée par leur froideur et leur horreur, dans le son et/ou au travers des paroles (je pense notamment à l'album éponyme de Suicide et au “Second Annual Report” de Throbbing Gristle), “Zeichnungen des Patienten O.T.” est une vue de l’intérieur d’un esprit dérangé mais bien vivant, et quand Blixa Bargeld s'adresse à nous en tant que “Geliebte” (bien-aimé(e)) dans Vanadium-I-Ching, nous implore dans Armenia, nous raconte un de ses rêves dans DNS Wasserturm (présent sur la réédition) ou un étrange sentiment de perte (peut-être lui aussi onirique) dans Neun Arme, cela n’a rien d’obscène ou de subversif : ces paroles sont, avant tout, malgré tout, quelque chose de poétique et d’intime.

Décrire “Zeichnungen des Patienten O.T.” comme un album de bruits et de hurlements serait donc être carrément sourd(e) à l'âme qui anime ce disque, aussi présente dans les moments bruyants que dans les passages calmes. Armenia et Die genaue Zeit, les pistes basées sur des samples qui clôturent l'album, peuvent paraître presque apaisées, mais la première (basée sur une boucle d’une chanson traditionnelle arménienne intitulée Toun en Kelkhen Imastoun Yes) est presque intenable de noirceur et de désespoir, et la seconde est une conclusion idéale, à la fois manifeste du groupe et sorte de diagnostic post-traumatique. Quant à Neun Arme, elle est empreinte d’une tension aussi palpable que ses paroles sont étranges, et Finger und Zähne réussit à glacer en à peine neuf secondes et deux sources sonores (facile ? oui, mais pertinent et évocateur).


(Armenia)

“Zeichnungen des Patienten O.T.” est peut-être l’album le plus difficile d'Einstürzende Neubauten. Si vous n’avez que peu d’affinités avec le bruit et les œuvres noires, vous préférerez peut-être écouter les excellents “Fünf auf der nach oben offenen Richterskala”, “Haus der Lüge”, ou (peut-être le plus accessible) “Tabula Rasa”. Mais “Zeichnungen des Patienten O.T.” est pour moi l'album le plus intense du groupe, un disque unique et effrayant, l'apogée d'une esthétique de destruction paradoxalement fertile et fascinante.


— lamuya-zimina



N.B. Si vous voulez vous procurer ce disque, ou n'importe lequel des cinq premiers albums d'Einstürzende Neubauten, évitez les éditions de chez Some Bizzare / Thirsty Ear, pour lesquelles le groupe n'est pas payé ! Achetez les éditions Indigo / Potomak, qui sont très bien, en digipak avec pistes bonus, paroles originales et traduites en anglais, et tout et tout.


(*) : Littéralement “nouveaux bâtiments qui s'écroulent”, les “nouveaux bâtiments” se référant spécifiquement à ceux (re)construits à Berlin après la guerre. Ah, et ça se prononce comme ça: ['aɪnˌʃtʏɐʦəndə 'nɔʏˌbaʊtən].

4 commentaires:

  1. "“Zeichnungen des Patienten O.T.” est peut-être l’album le plus difficile d'Einstürzende Neubauten."

    Oui, effectivement mais aussi celui, ou un de ceux, qui est le plus intense comme tu le décris très bien ! Il n'y a pas ou très peu de suites d'accords ni de mélodies et pourtant, l'album possède un souffle lyrique et romantique superbe. C'est le dandy underground, le dandy germanique. La destruction sublime.

    Et je trouve que l'album suivant, Halber Mensch, maintient ce romantisme et cette intensité en incorporant quelques passages plus dansants. Mais ça n'est jamais plus facile et conventionnel. C'est l'étape ultime de l'élégance destruction. Il y a une chanson qui s'appelle Der Tod Ist Ein Dandy où Blixa Bargeld hurle le titre sur un fracas de sons où il n'y a ni mélodie, ni harmonie. C'est magnifique, noir, dangereux et sous tension, doté d'une rare force catharsique.

    Personnellement, j'ai donc une légère préférence pour Halber Mensch qui est, pour moi, ultime. Mais Zeichnung Des Patienten OT est mon second préféré, notamment pour les deux dernières chansons, que tu cites avec raison d'ailleurs, Armenia et Die Genaue Zeit. Ce sont des broyeurs d'âme, ces chansons.

    Duck.

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  2. Comme tu es pénible à lire, Duck..

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  3. Ce qui est pénible à lire c'est surtout tous ces mots polysyllabiques en allemand. Ou alors tu parles d'un truc que je vois pas.

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  4. Tout va bien Cisco Boy, puisque je ne suis pas rédacteur du blog !

    Duck.

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