C'est entendu.

jeudi 2 septembre 2010

Sunny Roads Session # 3

par Hugo Tessier
art par Jarvis Glasses


Les mois de Juin, Juillet et Août ne furent pas accompagnés de la parution de cette rubrique qui vit dans le passé. Il me tardait donc de revenir vers vous, mes amis, avec la suite de la série "Autoradio," consacrée aux bandes originales des road movies hippies américains de la fin des années 60 et du début des 70's.

Comme vous le savez sûrement, 2010 fut témoin de la mort d'un grand monsieur. Si en 1969, Dennis Hopper chevauchait son chopper entre L.A. et la Nouvelle Orléans, aux côtés de Peter Fonda et de quelques compagnons de route rencontrés fortuitement, sur fond de Steppenwolf, clamant "I never wanna die," un cancer de la prostate eut raison du vieux pilier de la révolution d'Hollywood le 29 mai dernier. Sans surprise, ma Sunny Roads Session sera consacrée ce mois-ci à la BO d'Easy Rider.

Autoradio # 2 : Easy Rider, de Dennis Hopper
Il fallait bien passer par cet incontournable, pourtant déjà fouillé de fond en comble et quelque fois déconsidéré. À l'inverse de Two-Lane Blacktop, l'utilisation de la musique est prépondérante dans Easy Rider. Le film fonctionne autant sur les scènes de dialogues envolés entre Hopper, Fonda et Jack Nicholson, ou Luke Askew que sur les longues séquences musicales et contemplatives, où l'on suit les pérégrinations du petit groupe de bikers "peace" à travers les immensités américaines.

D'entrée de jeu, on comprend avec le générique que la bande son aura pour rôle d'appuyer fortement la narration du film. Pourtant, avant cela, soulignons la séquence de l'aéroport, sans aucun autre bruit que ceux des avions se posant à intervalles réguliers sur le tarmac, qui propose une utilisation alternative du son. On est en plein cœur du deal de coke que Fonda et Hopper réalisent avec un Phill Spector aux airs de jeune dandy fortuné et trendy. Avoir évité l'utilisation d'une musique stéréotypée, façon "moment douteux inconfortable," se révèle être un choix judicieux. Il n'y a que les bruits ambiants, et l'échange se fait par l'intermédiaire de silences, de regards et de gestes. Argent en poche, le tandem se procure les choppers emblématiques que l'on connait, et, avec The Pusher de Steppenwolf en agrément, Fonda cache astucieusement les gains dans son réservoir aux couleurs du Stars and Stripes. The Pusher, tout comme Born To Be Wild qui suivra, durant le générique, donnent le ton. Le voyage sera volontairement long, et son but sera autant la Nouvelle Orléans que l'éloignement de tout.

(Steppenwolf - The Pusher)

Avec leurs lueurs agressives, et leurs fondations laid back, les deux morceaux des canadiens de Steppenwolf apportent au film ce côté machiste qui lui est propre, ainsi que son visage brut. D'un côté, un rock excité, Born To Be Wild, véritable hymne d'Easy Rider, puissant et évocateur, et de l'autre, The Pusher, plus souple, prenant de la hauteur. Tandis que le premier avale les kilomètres tel un bolide à plein régime ("heavy metal thunder / racing with the wind"), le second est plus lent et semble comme entouré d'une aura de sagesse, reposant sur d'agréables volutes de fumée ("you know I smoked a lot of grass"). Oui, car ce road-trip là, vous le savez bien, se déroule sur fond de marijuana. Cette influence "high" se sent clairement sur d'autres morceaux de la BO, comme par exemple If Six Was Nine, d'Hendrix, que l'on ne présente plus. Le morceau accompagne une séquence présentant les discriminations entre Blancs et Noirs, où l'on voit les riches demeures des premiers contraster avec les taudis des seconds. Le contraste est l'un des atouts de style majeur du film. On peut lire quasiment en permanence le contraste de l'Amérique profonde, conservatrice, catholique, et de loin prépondérante, avec l'Amérique alternative, décalée, en marge, aux avants-postes du concept de liberté. Ainsi, pour plonger le spectateur dans le folklore américain, on trouve divers morceaux plus typés. Roger McGuinn se prête au jeu, et bien qu'apparaissant déjà avec les Byrds sur Wasn't Born To Follow, il interprète également deux morceaux : la reprise du It's Alright, Ma (I'm Only Bleeding) de Bob Dylan et un autre composé de son côté, Ballad of Easy Rider. Parmi les guitares et les harmonicas, McGuinn frappe juste, avec une folk tempérée, bourrée de sentiments et d'émotions...

(Smith - The Weight)

Bien que le long métrage se dote d'autres morceaux phares comme The Weight, de Smith, on y trouve tout de même quelques raretés, quelques perles oubliées, trop déconstruites, trop jemenfoutistes ou trop ancrées dans leur style pour être parvenues jusqu'aux oreilles du grand public. Prenez Don't Bogart Me (Fraternity of Man). Exemplaire de fainéantise, une voix amicale vous parle d'herbe, de joints, et tout cela le plus joyeusement du monde. D'autres viennent alors s'ajouter sur le final, et malgré sa structure pas furieusement recherchée, le morceau fait son bonhomme de chemin, son effet, et l'on est vite transporté autour d'un feu de camp, entouré de visage rieurs que l'on ne connait pas mais que l'on sait déjà amis. Alors que certains trouvent leur compagnon pour la nuit et font connaissance aux yeux de tous, d'autres agitent fébrilement leurs doigts sur des guitares décorées de manière improbable, observés par les yeux mis-clos où se lisent aisément les évènements de la soirée de ceux qui tiennent encore assis. Voilà pour le côté "les hippies forment une grande famille et vous accueillent à bras ouverts."

(Fraternity of Man - Don't Bogart Me)


Ce qui suit est tout autre. Là, on s'attaque à l'étrange. Plus bizarre qu'Hendrix et son final bourré d'effets sur If Six Was Nine et à la fois plus stéréotypé que McGuinn et ses ballades folk ; The Holy Modal Rounders débarquent, menés par Peter Stampfel (un ex des Fugs). Le temps d' If You Want To Be A Bird, avec ce chant si accentué, à la limite du malsain, et ce piano froid et lointain, le voyage prend d'un coup une tournure plus glauque, sans qu'aucun évènement ne vienne toutefois le justifier. C'est une énigme, et pourtant, la voix suraigüe portée par la réverbération semble glisser à merveille sur les canyons et les grands espaces, et s'avère narrer habilement la scène et le voyage à moto du trio, Nicholson ayant rejoint le groupe et oscillant entre contemplation du paysage et pitreries dans le dos de Peter Fonda.

Enfin, pour clore le triptyque, revenons sur l'arrivée à New Orleans de la (toute) petite équipe. La première chose à faire, c'est se payer un repas digne de ce nom. Normal, après des jours de route, nourri sur le pouce et fatigué par les nuits à la belle étoile, rien de tel que de se poser dans un bon restaurant et de prendre le temps d'un déjeuner mérité. Oui mais même là, l'esprit décalé qui anime le film de bout en bout se fait entendre, et à la place de la petite musique d'ambiance qui s'impose à tout restaurant voulant rompre la monotonie des bruits de couverts, The Electric Prunes bouleverse les codes, et attaque à coups de chants grégoriens, de structure lacunaire et de solos saturés. Cette agression porte un nom: Kyrie Eleison/Mardi gras (When The Saints). Mardi Gras étant un enregistrement de rue opéré spécialement pour le film...



Easy Rider demeure un classique du genre, dans le fond, dans le message que le film véhicule, comme dans la forme, et s'arme d'une BO touche à tout, exploratrice. L'éventail est large, et le succès viendra couronner le travail du trio Hopper - Fonda - Nicholson, amis à l'écran comme dans la vie. Les trois n'en étaient pas à leur première collaboration, ils avaient déjà travaillé ensemble sur The Trip, de Roger Corman, sorti en 1967. Allez, dernière petite anecdote, on retrouve le morceau Flash, Bam, Pow, présent sur la BO de The Trip vers la fin d'Easy Rider, comme un clin d'œil au travail précédent qui n'avait pas rencontré le succès espéré. Il ne me reste qu'à vous dire que j'ai déjà fort hâte de vous retrouver le mois prochain (sans retard cette fois) autour d'une nouvelle Sunny Roads Session !

D'ici là, bonne route!

Hugo Tessier

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