par Hugo tessier
art par Jarvis Glasses
Avant toute chose, je tiens à apporter une petite rectification à ce que j'ai pu vous raconter en Avril, à la toute fin de la Sunny Roads Session #1. Il ne sera pas question, comme je vous l'avais annoncé alors, d'un groupe en particulier ce mois-ci, ni les mois prochains, d'ailleurs. J'en ai décidé autrement et pour l'heure, il s'agira plutôt d'une étude ciblée sur les bandes-originales de certains films, qui, vous l'aurez peut-être deviné, seront en majorité des road movies américains. Je vous propose en fait une série spéciale pour cet été, en quatre numéros, qui sondera l'utilisation de la musique par les cinéastes des grandes routes ensoleillées et des grands espaces de l'Amérique que j'aime tant. Vous voyez sans doute de quels films je veux parler, ils sont sûrement dans un coin de votre esprit, peut-être rangés dans le tiroir "vieilleries clichées," ou peut-être pas, mais en tout cas, ce mois-ci, on dépoussière.
Autoradio #1 : Two-Lane Blacktop, de Monte Hellman
"Two-Lane Blacktop" ("Macadam à deux voies" par chez nous), sorti en 1971, est représentatif d'une catégorie bien particulière au sein du grand ensemble des road movies. Il met en lumière la route à sa manière propre, comme une nécessité, comme un besoin, et il induit dans la conduite un caractère hautement obsessionnel, tout en entretenant un rapport très particulier avec sa bande son. C'est ce qui fait, entre autres, sa singularité. Replaçons-nous dans le contexte.
(Me and Bobby McGee par Kris Kristofferson)
Le Sud des États-Unis, au début des années 70, deux hommes traversent le pays en voiture sans aucune réelle destination. Tout ce que l'on sait, c'est qu'ils ne sont pas là pour se détendre, non, ils roulent fiévreusement, faisant le moins de pauses possibles, et surtout, provoquant la course dès que faire se peut. Le film n'est pas tout à fait un huit-clos dans la fameuse Chevrolet 55, comme on peut le lire parfois, mais pas loin, il faut le reconnaitre, et l'attention du spectateur (tout comme celle des conducteurs) doit être captée par le bolide, pas par ce qui se passe à l'extérieur. La voiture est un microcosme, une bulle imperméable, et le quidam qui y pose ses yeux se sent comme happé par elle. Par conséquent, la bande son est assez restreinte (cinq morceaux crédités, seulement) et se fait plutôt discrète, mais elle explore tout de même des styles assez divers. Prenez par exemple Me and Bobby Mc Gee, de Kris Kristofferson. On visualise clairement les grands espaces américains et ces routes s'étendant à perte de vue, sans pour autant ressentir l'excitation, le bruit et la fureur. La voix s'éloignant dans la réverbération ainsi que sa prédominance au mixage appellent l'Humain (Kristofferson) et pas la Machine (le bolide), et renvoient à ces plaines à perte de vue, mais c'est un survol sans dynamisme, sans entrain. La batterie arrive alors et marque le rythme, suggérant la pénibilité du voyage, sa monotonie éprouvante. Ce qui est intéressant, c'est que dans un autre contexte, je vous aurais sans-doute attaqué, comme à mon habitude, à coups de "planant," de "cool" et de "reposant." Mais là, non, c'est différent, l'ambiance est à tout autre chose, et malgré le caractère contemplatif du morceau, allié à l'atmosphère plutôt pesante du film, celui-ci se retrouve altéré dans sa narration comme dans sa portée.
(Moonlight Drive par The Doors)
L'une des caractéristiques principales de "Two-Lane Blacktop," par ailleurs, est sa propension à l'immersion. Or, traversant les états du Sud, berceau de la country music, on ne pouvait passer à côté des guitares folk, des banjos, des harmonicas et des bottlenecks plus longtemps. Par conséquent, deux morceaux de John Hammond Jr, des reprises de Chuck Berry, furent stratégiquement choisis pour la bande son. Avec Maybelline et No Money Down, on pioche dans l'Amérique la plus profonde, celle des stetsons, des salopettes et des chemises à carreaux. Rythmique rapide et saccadée, voix rauque, tout l'attirail country est mis à profit. Mais, qui dit Amérique profonde dit également passion pour les courses de drift, de drag, et autres défis automobiles. Ainsi, de manière récurrente, nous nous asseyons aux premières loges de cet univers machiste et brutal. C'est d'ailleurs à l'occasion de la préparation nocturne de la deuxième des courses du film que l'on peut entendre Moonlight Drive, des Doors, alors que la Chevy 55 arrive au beau milieu d'un rassemblement de pilotes et qu'elle tombe nez à nez avec une Ford Coupe. Le morceau est là encore en retrait, et son rôle est d'agrémenter la scène, mais ses petits arrangements à la guitare électrique noyée dans la réverbération et son rythme simple font de lui le meilleur moyen de rapporter l'excitation et la tension qui règnent sur le parking peuplé de chauffards prêts à en découdre.
Pour l'anecdote, puisque l'on est plongé dans les films américains, vous remarquerez que la course entre la Chevrolet 55 et la Ford Coupe fut presque reprise à l'identique dans "American Graffiti" (photo de droite) par Georges Lucas. En effet, la Ford utilisée pour "Two-Lane Blacktop" est celle-là même qui fut réutilisée par John Milner (Paul Le Mat) sur le tournage d' "American Graffiti", deux ans plus tard. Parallèlement, Harrison Ford, lui, conduisait... une Chevy 55 !
Pour l'anecdote, puisque l'on est plongé dans les films américains, vous remarquerez que la course entre la Chevrolet 55 et la Ford Coupe fut presque reprise à l'identique dans "American Graffiti" (photo de droite) par Georges Lucas. En effet, la Ford utilisée pour "Two-Lane Blacktop" est celle-là même qui fut réutilisée par John Milner (Paul Le Mat) sur le tournage d' "American Graffiti", deux ans plus tard. Parallèlement, Harrison Ford, lui, conduisait... une Chevy 55 !
A l'inverse de bon nombres de longs-métrages, jamais une édition vinyle de la bande originale de ce film n'est venue enrichir les bacs de quelque disquaire/surface de grande distribution que ce soit. C'est ainsi que l'atmosphère de cette œuvre cinématographique se construit, Monte Hellman empoigne la vie quotidienne américaine, sa culture et la relègue au second plan, lui offrant un visage éphémère, pour que l'attention du spectateur ne soit pas détournée, tout en lui laissant la possibilité de se rattacher brièvement à certaines références.
Il est intéressant de noter, enfin, que chacun des protagonistes entretient un rapport plus ou moins direct à la musique, comme une projection de sa personnalité. Warren Oates, dit "GTO" ressort comme étant superficiel, dans les formes, lui qui prend des auto-stoppeurs à tours de bras, et apparait accompagné de mélodies intrigantes jouées par son autoradio. Il n'y a qu'à se remémorer sa réplique à l'un de ses multiples compagnons de voyage: "What kind of sound do you like ? Rock ? Soul ? Hillbilly ? Western ?" pour entrevoir son absence totale de choix. James Taylor, "The Driver," est davantage en retrait, réfractaire à la radio, renfermé sur lui-même et concentré sur la route ; "Turn that thing off" ordonnera-t-il à Dennis Wilson, "The Mechanic" qui, prenant tout comme cela vient, s'exécutera en affichant un détachement redoutable. Laurie Bird, enfin, "The Girl," hippie un tantinet plus versée dans la musique et les loisirs, sera prise à fredonner Satisfaction, tandis que Ray Charles trace sa route en fond sonore lors d'une autre scène.
"I mean you just can't stay with the same hat forever."
(W. Oates)
Figurez-vous que ni James Taylor, auteur/compositeur/interprète folk très reconnu aux US, ni Dennis Wilson, batteur des Beach Boys, ne prirent part de près ou de loin à la bande-son, qui sert pourtant le film à merveille malgré sa discrétion.
J'espère vous avoir donné envie de voir ou revoir cette pièce maitresse du cinéma américain et aurai le plaisir de vous retrouver le mois prochain pour un autre film, une autre BO, une autre SRS, bref, pour un autre pèlerinage dans cette Amérique-là.
D'ici là, bonne route!
P.S. : Ne loupez pas le troisième extrait de la bande son du film, par Arlo Guthrie, dans le lecteur vert sur votre gauche.
Chouette idée de séries d'articles !! :D
RépondreSupprimerJ'espère que tu parleras bientôt de Vanishing Point. :D
Tu auras la réponse courant juin, juillet, ou août ahah !
RépondreSupprimerJ'espère aussi ne pas avoir droit à Death Proof de Tarantino. :P
RépondreSupprimerBien que j'ai beaucoup aimé ce film, il n'est pas au programme, c'est bon, tu peux dormir sur tes deux oreilles :) !
RépondreSupprimerLe dessin est le meilleur de C'est Entendu.
RépondreSupprimerDessin géant ouais !
RépondreSupprimerPar contre Death Proof = http://images.doctissimo.fr/private/photo/hd/2443978244/private-category/f_merde1copiem_b779af2-5759601b0.jpg
Fameuse photo ahah.
RépondreSupprimerNon mais plus sérieusement, je suis d'accord, "Death Proof" n'est pas un Tarantino dans les règles, mais, je crois que le but n'était pas du tout là. Il s'est nourri, jeune, de la kilo-tonnes des séries Z américaines de l'après-midi, et à sa manière, il a voulu rendre hommage à ce background qu'il ne peut renier et qui l'amuse même. Ce n'est pas un Tarantino forcément sérieux, mais je dirais que c'est un Tarantino sincère, et moi je trouve ce film vraiment intéressant. Il y a en plus plein de points/lieux communs avec "Planet Terror", de Robert Rodriguez (son poto), sorti la même année. Au début j'avais de gros apriori sur ce film aussi, je m'attendais à de l'action en merde, du jeu d'acteur en merde, mais après l'avoir vu mon opinion a radicalement changé. Comme "Death Proof", on joue sur l'usage de pellicules différentes, sur la grosse BO (que je trouve franchement cool, dans "DP"), etc...
L'important n'est pas dans le scenar, mais dans la manière selon laquelle on réalise, et surtout, dans la manière selon laquelle on retranscrit l'ambiance série Z d'il y a 40 ans!
C'est sûr que si on s'attendait à un Pulp Fiction/Reservoir Dogs, on allait forcément être déçu. Death Proof doit se regarder d'une autre manière, selon moi.
RépondreSupprimerDeath Proof je l'aime pas, je le trouve même moralement chaud, mais je respecte à la limite. Par contre Planet Terror, tu déconnes Hugo, c'est une vraie daube ce movie ! :D
RépondreSupprimerJ'aime bien cette version de Bobby McGee, qui fait penser à Leonard Cohen. Celle de Cash était pas mal non plus. Ceci dit quand on a écouté la version de Janis Joplin, on a du mal à concevoir la chanson autrement. Je pense que c'est elle qui l'a le mieux pigée et le mieux chantée.
RépondreSupprimerPas mal l'idée de l'article. Le dessin est cool mais Warren Oates prend cher là-dessus... Sinon c'est parfois frustrant de voir évoquer un tel film et de ne pas lire ce qu'il y a de vraiment très important à en dire. Mais ça reviendrait à tenir un blog de cinoche. Donc je ferme ma tronche.
Bobby McGee est une chanson à l'origine de Kristofferson -grand ami de feu Johnny cash- d'ailleurs extrait de l'album Me and Bobby McGee, qui est fabuleux.
RépondreSupprimerSinon, je vais essayer de me trouver ce film :)
Hugo> J'ai lu ton truc sur Death Proof, mais je choisis de ne pas y répondre ; ce fil m'a déjà assez fait chier comme ça. Sans parler de Death Proof...
RépondreSupprimerEuh, sans parler de Planet Terror je voulais dire :D
RépondreSupprimerRémusat > Oui, y'a des tonnes de trucs que j'ai pas dit, et qui aurait mérité d'être dans la rubrique, mais ce n'était pas franchement le sujet, le but était plus d'essayer de voir comment le film et sa BO interagissaient, donc forcément, ça laissait de côté certaines choses. Mais comme tu dis, ce n'est pas un blog de cinoche :) !
RépondreSupprimerFélix > Oui, c'est à ce genre de réactions que j'ai été souvent confronté, ahah. Ce film, même 3 ans après, réussit encore à faire parler de lui comme quand on est sorti de la salle la première fois, un peu paumé, et je trouve ça prodigieux. Dans un sens, ça montre clairement que le spectateur peut très facilement avoir le regard qui évolue au fil des visionnages, ou rester buté parce qu'il avait "ses petites attentes". Moi je l'aime bien car je trouve que l'ambiance y est, que le jeu d'acteur est cool, que l'absence de scénario rend le truc linéaire, plat, et qu'on est pas habitué à ça avec Tarantino. Et puis entendre toujours les mêmes reproches dans 70% des bouches m'a fait l'apprécier de plus en plus, je dois dire.
Joe/Félix > On est tous d'accord pour dire que Planet Terror est un film en merde, rien à redire, mais il est à un tel point en merde qu'il sonne comme une blague, et que devant tant de "wtf" (car ce film est "wtf"), je me suis retrouvé désarmé et que je ne me suis pas fait chier.
Wtf:1 / Hugo:0
"et que devant tant de "wtf" (car ce film est "wtf"), je me suis retrouvé désarmé et que je ne me suis pas fait chier."
RépondreSupprimer-_-