C'est entendu.

vendredi 23 avril 2010

[Vise un peu] Under Byen - Alt Er Tabt

Les pays du Nord ont le droit à une place de choix sur la scène indépendante, on aura fini par le comprendre après (dans l'ordre) l'Islande, le Canada, la Norvège et évidemment la Suède. Il faut croire qu'on n'a pas fini d'épuiser le sujet car ce matin on s'attaque a un album des danois de Under Byen. Jadis, ce collectif de huit membres composait minutieusement une musique sombre et puissante parcourue de sons hantés et d'arrangements de cordes inspirés et qui n'hésitait pas à passer par des chemins de traverse pour nous arracher des frissons. Sauf que depuis leur excellent "Samme Stof Som Stof" en 2006, le groupe a du essuyer le départ de leur pianiste Thorbjørn Krogshede qui composait la majeure partie de leur musique... Sans se laisser démonter, les sept membres restants décident de mettre la main à la pâte, travaillent à écrire un nouvel album tous ensemble et accouchent de ce "Alt Er Tabt" ("Tout est perdu", quels petits rigolos tout de même) en faisant bien comprendre qu'il n'est pas question de faire la moindre concession.


Ceux que les précédents albums des danois ont laissés de marbre peuvent passer leur chemin : la musique d'Under Byen reste opaque, dangereuse, et, plus encore que le reste de leur discographie, "Alt Er Tabt" a de quoi rebuter l'auditeur. Aux premières écoutes, on est d'abord heurté par la recherche sonore dont le groupe fait preuve. Chaque morceau est comme une vignette abstraite et les instruments y sont traités comme des textures assemblées avec une cohérence minimaliste où s'entrechoquent les clapotis de percussions diverses, de synthétiseurs organiques, de cordes rêches, de piano calcaire et où domine la voix de Henriette Sennevaldt dont les remous imprévisibles s'étendent en nappes fatiguées, s'élèvent parfois doucement, et s'éloignent du modèle "Björkien" auxquel on les a un peu trop comparés par le passé. L'annonce de l'album par le label Paper Bag Records l'explique très bien : "Les instruments ont été enregistrés en cherchant à préserver leur pure matérialité brute, là où la musique se confond avec les sons. Un violoncelle sonne comme du bois. Une guitare sonne comme du métal." Et lorsqu'au milieu de tous ces éléments utilisés avec parcimonie et minutie le groupe fait intervenir un bruissement arythmique et atonal, comme le son d'un objet métallique sur Unoder, il s'intègre parfaitement aux textures de l'ensemble.


(Unoder)

Mais là où Under Byen évolue, c'est principalement dans l'écriture, et on remarque d'abord que les chansons sur "Alt Er Tabt" sont en grande partie construits autour de la basse, dont le son direct et sec est nettement mis en avant. Elle répète inlassablement des riffs obsessionnels au groove étrange et sur lesquels viennent bourgeonner des arrangements dissonants élégants et délicats, qui parfois l'engloutissent pour la laisser ressurgir d'elle-même peu après, comme sur 8, qui ouvre l'album. Ce type de construction n'est ni une recette, ni une facilité d'écriture, mais permet à Under Byen de faire sourdre une certaine puissance là où on ne l'attend pas, sans pour autant passer par une explosion convenue comme ils avaient pu se le permettre auparavant. La tension est contenue, s'insinue dans les morceaux à travers des détours : les silences (la transe de Kapitel 1 qui s'anime et retombe successivement), les structures imprévisibles (Territorium, trip désertique tordu), la manière dont les arrangements semblent parfois lutter les uns contre les autres (l'entrée laborieuse du piano de Unoder qui petit à petit ourdit un putsch et prend la chanson depuis l'intérieur) sont autant de moyens pour le groupe de laisser s'installer un danger sourd. Même les passages les plus apaisés de l'album (Saledes en écoute sur votre gauche) semblent être construits de travers, et il possèdent cette beauté étrange qu'on a du mal à saisir. On comprend rarement comment ça marche, comment le groupe est parvenu à déconstruire à ce point sa musique jusqu'à ce résultat austère et envoûtant, et pourtant ça marche.

Proposant une recherche sonore exigeante, des structures bizarroïdes et une production minimaliste, "Alt Er Tabt" pourrait être un album cérébral et abscons mais se révèle pourtant être une musique émotionnellement très crue malgré son autisme extrême. Oh certes, certains morceaux se laissent apprivoiser beaucoup moins facilement que d'autres, mais on ne peut pas s'empêcher de se laisser fasciner et transporter par le mystère qui s'en dégage. En fait, de par son impressionnante inventivité, sa richesse et le malaise sourd qu'il propage, "Alt Er Tabt" ressemble à un cousin éloigné du "Sisterworld" que les Liars ont sorti il y a quelques semaines, et en tout cas suffit à faire d'Under Byen l'un des groupes expérimentaux les plus passionnants du moment.


Thelonius H.

13 commentaires:

  1. Je les ai découverts sur scène, il y a quelques années : énorme claque ! Ils sont impressionnants de maîtrise. Dommage qu'ils ne passent pas plus souvent en France !

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  2. Ils étaient pourtant le 15 mars dernier à la maroquinerie ! Mais je les ai loupés...

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  3. Je les ai vu trois fois depuis 2006, donc les Parisiens ne sont pas forcément à plaindre.

    Sinon, très bonne review ! et je ne savais pas que le pianiste qui est parti était le principal compositeur et que du coup, ce revirement stylistique était en réponse à cela, waouh!
    Par contre, je trouve étrange le choix des morceaux pour présenter l'album :V parce qu'on n'y retrouve pas le groove incroyable de bon nombre de morceaux (Territorium est immanquablement mon préféré <3).
    Saledes est sûrement le morceau le plus bizarre avec ses synthés débiles complétement improbables.

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  4. comment expliquez vous que personne ne parle de cet album?

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  5. Il faut dire que leur musique est assez en dehors des modes. Elle est plutôt aride, sans vrai tube et très sombre. Bref elle ne suit pas trop les modes. On parle certes un peu plus des Liars mais c'est également moins la folie qu'il y a quatre ans. C'est dommage en tout cas, vu le niveau incroyable de l'album. Il me fait penser à Prince Of Truth d'Evangelista (dont tout le monde se fiche aussi).

    Et puis il est assez mal distribué. C'est un tout petit label danois qui s'en occupe sans aucune promotion, l'album est censé être sorti en février au Danemark et début avril en France mais il est introuvable sur Amazon. Le seul moyen de l'acheter, c'est en import à la Fnac ou directement en concert sur la table de merchandising du groupe.

    Duck Feeling.

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  6. C'est vrai qu'ils n'ont jamais fait beaucoup de promotion. Ils ne misent absolument rien sur l'esthétique (rien qu'à voir les pochettes des quatre albums, elles sont toutes plus moches les unes que les autres), alors qu'ils ont le potentiel pour, sans même parler des physiques de Henriette et de la bassiste hum, leur musique me semble très "évocatrice". Même au niveau des clips, il doit y en avoir 3 et ils sont tous assez "autistes" et mal foutus(sauf celui de Plantage), alors que ça ne me semble pas être la seule composante de leur musique.

    Au Danemark, je ne sais pas si c'est différent au niveau de la promo, mais leur précédent opus Samme Stof Som Stof était resté premier des ventes pendant plusieurs semaines, ce qui me paraissait d'ailleurs complétement fou :O

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  7. Rémi dit:

    J'ai beaucoup aimé Samme Stof Som Stof à sa sortie, au point d'acheter l'album et de l'écouter régulièrement. Y'avait quand même quelques "tubes" potentiels là-dessus, comme les deux premières chansons (Pilot et Den her sang handler om at fa det bedste ud af det), et une autre dont j'ai oublié le nom, faut dire qu'on a pas fait plus con comme langue que le Danois. A part pour les blazes. Par exemple au toof ils ont souvent des noms rentre-dedans: Sorensen, Kolldrup, Silberbauer, Gronkjaer, Bendtner, Rommedahl, Raanstaad etc. Bref donc je me souviens plus du titre de la chanson, et le seul moyen que j'aurais pour retrouver laquelle avait un air de "tube", ce serait de parcourir rapidement le skeud pour mettre un nom sur cette chanson. Impossible. Et c'est là que je veux en venir. Ce groupe, j'en suis revenu assez vite et violemment. Au début je refusais l'assimilation à Bjork (que je méprise), mais au final il faut admettre cette ressemblance, et de là à ne plus pouvoir pifrer la musique d'Under Byen (prononcez Huntelaar), il n'y a qu'un pas, que j'ai qwasiment franchi de tout mon long. Nonobstant, même si au bout d'un certain temps on commence à ressentir le même type de lassitude à l'écoute de ces râles miauleurs, sirupeux et froids, sur une musique basse, lancinante et sourde, il faut dire à quel point cette musique demeure largement plus appréciable que celle de la bien-nommée Bjeurk.

    Bref, pour revenir à Under Byen, je ne sais pas si l'on peut parler de "recette", mais tous ces morceaux sont quand même bricolés exactement de la même façon, et d'une façon qui peut lourdement peser à force de sollicitation. Alors c'est vrai que ça reste plus intéressant que toute la compote qu'on nous sert le plus régulièrement, et que les membres du groupe sont marrants avec leurs histoires de guitare calcaire et de violons minéraux, et qu'au final leurs "expérimentations" (peut-on employer le terme ?), c'est toujours ça de mieux, mais personnellement je ne peux plus.

    Nota bene: La pochette de Samme Stof Som Stof je la trouvais plutôt jolie moi.

    Nota Bueno: Les remarques sur les chanteuses bandantes ça peut exclure une partie du lectorat féminin qui, à juste titre, a du mal à blairer ce genre de propos, mais je crois que c'est un commentateur qui a dit ça, donc ma remarque ne vaut pour rien.

    Nota Valbuena: C'est vrai que la chanteuse fait bander.

    Nota Valderama: Pire comz.


    Rémi.

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  8. Rémi, tu sembles dire que tu es "revenu" d'Under Byen, car tu n'écoutes plus ce groupe, et du coup tu revois leur musique à la baisse, en disant que finalement ça n'est pas si terrible que ça.
    Mais ne doit-on pas plutôt surtout retenir tout le bien qu'on a pensé d'un groupe, d'un disque, etc, au moment justement où on l'écoutait le plus, où on en était le plus fan ?
    Parce que dans le cas contraire, faut-il attendre la fin de sa vie pour dresser un bilan de ce qu'on a finalement réellement aimé et des autres trucs qui ne furent que passager ? A quoi bon ? Et, si ça n'est pas que purement subjectif, à quel moment estime t-on que l'on connaît suffisamment de chose, que l'on est assez mature, etc, pour se dire que telle chose est ou n'est pas réellement de qualité ? Enfin bref.
    Ce que je voulais que l'on se demande, c'est : revoir à la baisse un groupe que l'on écoute plus (ou plus trop) ne revient-il pas à renier le moment où on a véritablement apprécié sa musique ?

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  9. C'est bien joli Anonyme mais, sérieusement, y'a aucun groupe/chanson que tu as kiffé et que tu pourris gentillement aujourd'hui?
    Moi si, et un paquet.
    Pas qu'il faille attendre la fin de sa vie pour avoir un avis définitif - qu'on aura jamais, sauf pour dire que Arcade Fire est un groupe mineur-, mais autant donner son avis du moment sur cette musique, plutôt que celui de l'instant t - 3ans.

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  10. La réponse de Vincent est pas mal.

    On peut aussi dire que même si l'on ne sera jamais absolument sage, à un âge avancé de moribond, pour savoir empiriquement et définitivement ce qui est bon et ce qui ne l'est pas, toujours est-il que l'on grandit, que l'on vieillit, que nos connaissances sont plus grandes, nos attentes aussi, notre sensibilité plus complète et plus raffinée, et c'est une forme de sagesse qui fait voir avec peut-être plus d'acuité ce que l'on ne pouvait que moins bien voir avec des yeux moins aiguisés. Et je ne pense pas qu'il faille voir d'un mauvais œil le fait de renier, en tout cas de relativiser, tel plaisir éphémère et passager, factice et finalement de bien courte portée, pour se concentrer sur les joies éternelles des choses de beauté.

    Par ailleurs, je pense personnellement que les plus belles œuvres sont celles qui vieillissent bien, pas seulement à la réécoute, ou à la revoyure, mais en nous.

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  11. Attention, commentaire argumenté:
    Aaaaaaaaaaaaaah Under Byen, le meilleur groupe du monde, rien de moins!

    Fin du commentaire puissamment constructif. Ceci dit et sans blague, je suis fou amoureux de leur 4 albums (et notamment ce merveilleux "alt er tabt") et je les ai vus une douzaine de fois en live sans jamais me lasser. Ça reste mon groupe favori et de loin

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  12. Il est cool cet album (2 ans après :D).

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