C'est entendu.

mardi 20 avril 2010

[They Live] Times New Viking au Point Ephémère ou les périples du Lo-Fi en milieu fermé

Cette semaine-là je m'étais promis de ne plus claquer ma tune, de ne pas boire et de bosser un peu. Et puis j'ai découvert que le groupe qui avait sorti l'an passé "Born Again Revisited," le meilleur album de 2009 selon moi (et également bien reçu par mes collègues de CE) jouait au Point FMR le mardi 13 avril à 20 heures. J'ai donc sacrifié mes 13 derniers euros contre un bout de papier.

Times New Viking pour beaucoup de gens - et notamment pour les deux charmantes jeunes filles qui avaient promis de m'accompagner et ont finalement préféré la TV - c'est avant tout un son pourri, de la saturation jusque sur les synthés et au final un truc qui sert surtout à faire chier les voisins. OK, c'est exactement ça, mais pas seulement : bienvenue dans le monde merveilleux du shitgaze ! Et dès à présent il faut aborder un détail : Times New Viking en la personne de son guitariste Jared Phillips ne supporte pas d'être assimilé à ce mouvement au nom pourtant si flatteur dont les figures tutélaires sont Psychedelic Horseshit, Best Coast et Wavves. Il est vrai que leur premier album "Dig Yourself" sort en 2005, soit 4 ans avant la propagation du terme : « We have nothing to do with that. We don't really have anything to do with any... scene or anything, it's just a made-of word. Shitgaze doesn't really exist (On n'a rien à voir avec ce truc. On n'est lié à aucun genre, aucune scène, c'est juste un mot tout fait. Le shitgaze n'existe pas vraiment)». Il faut imaginer ici Jared tirant sur sa troisième clope depuis le début de l'interview, les yeux fixés au sol et la main crispée sur sa bière : jouer tous les soirs, ça fatigue. Si ce débat sur le shitgaze vous passionne, vous pouvez vous faire votre propre opinion en (ré)écoutant l'extrait suivant :


(Martin Luther King Day)

Alors, nouveau mouvement musical ? Simple mutation du lo-fi ? Du bruit commis par une bande de frimeurs qui refusent d'investir dans un matériel d'enregistrement décent ? Qu'importe au final puisque ce soir-là tout le monde s'en foutait, à commencer par le public qui de toute façon n'était pas venu pour eux mais pour voir jouer les Crystal Antlers.

De gauche à droite : Adam Elliot (batterie & voix), Beth Murphy (synthé & voix), Jared Phillips (guitare).

20h30 : Nous voilà donc dans la salle en compagnie d'une petite soixantaine de personnes dont la plupart semble attendre poliment la suite. Times New Viking attaque à peine montés sur scène. Pas de poses ou de tentatives lourdes d'aller chercher le public qui reste scotché par le groupe durant tout son (court) set. En concert TNV est fascinant, les trois membres donnent l'impression de lutter corps et âme contre leurs instruments, leurs morceaux, leur public. Pas de scènes d'allégresse pourtant dans la fosse: « Sometimes the crowd is really into it and sometimes they just stand there and watch, that's fine. It's not my job. My job is to go play my songs as good as I could play them, and try to make it interesting, you know... The audience is a sort of enemy. Like...You're there to make them realize you're the best band in the world. And if you can do that, you come back and do it again. Or quit. (Parfois le public est vraiment dedans et parfois ils restent plantés là et regardent, c'est cool. C'est pas mon boulot. Mon boulot c'est d'aller jouer mes chansons aussi bien que possible et essayer de les rendre intéressantes, tu sais... Le public est une sorte d'ennemi. Disons... Tu es là pour leur faire réaliser que tu es le meilleur groupe du monde. Et même si tu y arrives, tu dois recommencer la fois suivante. Ou laisser tomber)». Le concert fait la part belle aux morceaux phares de "Born Again Revisited" mais n'oublie pas les précédents albums du groupe, ce qui occasionne beaucoup de titres que ni moi ni la plupart de la salle ne connaissons. Plus encore que sur leurs enregistrements, le trio de Columbus impressionne par l'ampleur qu'il parvient à donner à des chansons désespérées et tendues.


(No time, no hope)

On ressent bien sûr les influences revendiquées en se forçant un peu (Le Velvet Underground, Captain Beefheart) mais ce qui fait surtout ressortir TNV du lot, c'est une configuration dans les canons du purisme rock parfaitement adaptée à la scène mais qui, par l'absence de basse remplacée par un synthé aux tonalités très proches permet au groupe de créer des atmosphères denses, radicales. "White Light/White Heat" n'est jamais très loin. TNV fait partie des très rares groupes actuels pour lesquels la présence d'un synthé me semble... pertinente. Le fait que la musicienne en question soit talentueuse, belle, avenante et ose le combo imparable Caterpillars/collants filés/minishort tout en gardant une certaine classe doit aider. Beth, si tu nous lis, appelle-moi.

Pour tous ceux qui supportent le son - et je suis certain que ça concerne beaucoup plus de gens qu'on ne le croit - courrez les voir à leur prochain passage en France. Car c'est le seul reproche à faire à cette soirée : trop, beaucoup trop peu de gens sont venus. Cette musique doit absolument dépasser les seuls initiés, le rock n'existe pas que pour des happy few privilégiés. TNV mérite bien plus que ça. Il mérite des fans et des passants*.
Enfin pour tous ceux qui en attendent la confirmation depuis le début de l'article : OUI, Times New Viking est bien un jeu de mot sur la police Times New Roman.


Arthur Graffard

P.S. : Le groupe va enregistrer de nouveaux morceaux à la mi-juin pour un album à paraitre en fin d'année, toujours chez Matador Records. On en reparlera certainement.



* Passant, n. m. : individu pas spécialement connaisseur mais qui a la chance de tomber par hasard sur un groupe excellent et qui peut le bluffer. Ex : "Je suis toujours content d'entendre Lou Reed à la radio des supermarchés même si c'est à chaque fois Walk on the wild side parce qu'on ne sait jamais, ça peux changer la vie d'un gosse."

10 commentaires:

  1. Excellent article qui me fait regretter amèrement de les avoir raté l'autre jour - même si la présence ensuite des fatiguants Crystal Antlers m'avait un peu découragé de venir. LA PROCHAINE FOIS, JE SUIS LÀ, AU PREMIER RANG.

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  2. Si Times New Viking a bonne presse ici, c'est parce que de tous les groupes shitgaze ils sont les plus indies (les plus Sonic Youth). Plus concernés par les années 90 que par les sixties. Les autres, à commencer par les meilleurs, les Smith Westerns, sont dans le fond des groupes de garage rock à l'ancienne.

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  3. Les lecteurs ne marchent pas :'(

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  4. c'est réparé!

    matador : oui, c'est tout à fait vrai. c'est ce qui fait leur force pour moi, sachant que les groupes d'influence garage 60's sont un peu ennuyeux.

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  5. J'allais dire "mais ça ne sont pas les seuls shitgazeurs à avoir bonne presse chez nous, Best Coast est devenue une amie de la famille, par exemple" et je me suis rappelé que MTV (le dernier clip de Best Coast y passe maintenant, cf le dernier vidéosamedi) avait parlé de Bethany Cosentino comme d'un artiste chillwave.

    Vous en pensez quoi ?

    (je pense que MTV n'a rien compris si vous voulez tout savoir)

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  6. Best Coast c'est pas non plus du shitgaze pour moi. Ni du chillwave. Du lo-fi !

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  7. Best Coast c'est de la surf music, voilà.

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  8. "Enfin pour tous ceux qui en attendent la confirmation depuis le début de l'article : OUI, Times New Viking est bien un jeu de mot sur la police Times New Roman." Merci de m'avoir conforté dans mon idée, Graffard !

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