C'est entendu.

lundi 8 février 2010

[Vise Un Peu] Scout Niblett - The Calcination of Scout Niblett

Il y a austérité et Austérité. D'un côté, y'a des artistes qui décident de dépouiller leur musique au niveau des instrumentations pour donner un côté intime, ou alors un côté plus simple, ou juste parce qu'ils n'ont pas les moyens d'être maximalistes, que sais-je encore. Et puis y'a des gens qui poussent ça au niveau supérieur, qui se privent de tout parce qu'ils le veulent, et qui balancent des albums secs, avec un dépouillement digne de François d'Assise. A ce niveau là, Emma Louise Niblett, a.k.a. Scout Niblett est devenue, album après album, une maitresse du genre, un ordre mendiant musical à elle toute seule, seule oui, forcément seule. On l'avait laissée en 2007 avec "This Fool Can Die Now" qui, s'il n'était pas non plus un album de pop orchestrale, offrait des sonorités plus riches que sur ses précédents essais, des duos avec Will Oldham, et on aurait pu croire que sa récente signature chez Drag City aurait été synonyme d'un peu plus de moyens. Mais non, avec ce nouvel album, elle décide finalement de tout foutre en l'air en se débarrassant du superflu, un peu comme à ses débuts, et par superflu, Scout entend "tout ce qui n'est pas une guitare ou une batterie".

(The Calcination of Scout Niblett)

Le résultat est morne, sombre, pale, presque désespéré, à l'image de son titre-programme : Scout a brulé sa musique dans un feu intense, l'a dépouillée de tout, et cet album en est le résultat, comme des cendres encore brulantes. Mais cette immolation musicale n'a pas fait de Scout cette espèce de chanteuse post-folk que certains imaginent voir à chacun de ses essais avec des comparaisons pas totalement justes avec une Chan Marshall période très déprimée ("Dear Sir" en 1996). Car finalement, malgré son dépouillement intense et la présence omniprésente du silence, du vide en temps que partie intégrante de sa musique, "The Calcination of Scout Niblett" est avant tout un album de rock, un vrai, un pur, peut-être l'un des albums les plus rock sortis ces dernières années. Mais pas du rock sympa à solo, non, un rock dans son essence la plus rêche, la plus dure, qui vient en même temps du blues et d'un espèce de squelette de grunge totalement 90's avec ses fantômes, un rock complètement désincarné certes, mais qui n'est rien d'autre qu'un double dégraissé de lui-même.

L'instrument clé de "The Calcination...", celui qui le porte en entier, c'est la guitare électrique et distordue, et ces deux adjectifs sont très importants, d'autant plus que cet album a encore été enregistré par le guitar-geek Steve Albini, qui offre un son assez passionnant aux six cordes, un peu étouffant et désespérément spartiate. Oh, elle est parfois très douce, la plupart du temps elle semble être jouée à un volume minimal avec ses cordes frottées très lentement, donnant une fausse impression de calme. Mais elle devient parfois subitement brutale et dure, laissant échapper une espèce de colère qu'on pouvait voir poindre dans certains riffs. Ce n'est pas un hasard si l'album débute sur Just Do It! avec une guitare noyée dans son propre larsen, et si l'album comporte des moments violents et froids comme le final surpuissant de Cherry Cheek Bomb. Même dans leurs passages les plus statiques, tous les morceaux de cet album sentent le rock, dans les accords, dans les parties de guitares, dans les batteries lourdes, tout est terriblement rock jusqu'à la moelle, qui est d'ailleurs tout ce qu'il reste. Il y a une puissance sourde et glaciale qui habite chaque seconde, donnant un ensemble au sein duquel on a du mal à se repérer, à être dans une position confortable, et laissant l'auditeur distrait dans l'incompréhension la plus totale tant qu'il n'a pas fait l'effort d'arrêter de l'écouter à l'envers et en ne voyant que ce qu'il manque.

(Cherry Cheek Bomb)

Tout ce rock sous-entendu accompagne finalement un album terriblement intime, à fleur de peau, presque trop par moment, comme si l'on en entendait plus que l'on ne devrait dans la voix toujours aussi forte et bouleversante de Scout. La manière dont elle lance des "Help me" sur Ripe with Life (l'un des morceaux de bravoure de cet album avec ses guitares sous-mixées presque effrayantes) ou ses appels à tue-tête dans Strip me Pluto, semblent habités, désespérés, mais jamais timides ou dans le doute : bien au contraire, Scout vous regarde droit dans les yeux dans cet album, elle ne fuit face à rien, et cela donne finalement quelque chose d'implacable qui assure la position d'originale qu'occupe Scout depuis maintenant 10 ans avec encore plus de force. Bien sûr, cet album n'est pas pour tout le monde, et son minimalisme tranchant ne se prête pas à toutes les heures et toutes les humeurs. Mais quand on l'écoute au bon moment, dans les bonnes conditions - préférablement au casque et dans le noir sans doute - "The Calcination of Scout Niblett" est une expérience musicale vraiment passionnante. Éprouvante aussi. Mais ce dernier adjectif est ici employé dans son sens le plus positif.




Emilien.

6 commentaires:

  1. j'ajoute ici, parce que je savais pas où en causer ailleurs, que la pochette est absolument parfaite, tellement parfaite que même si l'album avait été moins bien, et bah je crois que je voudrais l'acheter quand même rien que pour la POCHETTE.

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  2. Oh, j'ai reconnu sa voix! C'est elle qui chante sur Peoria Lunch Box Blues de Songs: Ohia. La pochette est effrayante, on se croirait dans esprits criminels. Je ne suis pas surpris que Steve Albini soit dans le coup.

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  3. Effectivement, c'est bien elle qui chante sur l'album de Songs: Ohia. Et, oui, l'ami théophile me l'avait fait remarquer aussi, avec les ombres, le sourire de scout peut faire un peu PEUR quand on le regarde, avec son chalumeau en plus.

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  4. et donc :
    vous mettrez combien à ces autres albums sur /5 pour info ? ^^

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  5. Je ne peux pas répondre pour Emilien (qui est en vacances cette semaine) mais, n'ayant écouté en dehors de "Calcination" que "Kidnapped by Neptune" (2005), je lui mettais 3.5 à lui aussi. Un LEGER 3.5, presque un 3.

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  6. Ayant écouté seulement "Kidnapped By Neptune" et "This Fool Can Die Now" (et encore, j'ai pas assez écouté ce dernier), je met 3,5 au tout. 3,5+ même dans mon coeur, parce que j'aime le personnage Scout Niblett en plus de la musique. Déconnez pas, j'ai fais un rêve qui impliquait Scout Niblett la nuit dernière. (mon subconscient en mousse).

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