C'est entendu.

vendredi 18 décembre 2009

[Fallait que ça sorte] Bill Fay, un Jardinier

Des années 70, on peut tirer un constat déjà bien connu : la mémoire est sélective. Oui, si on se souvient naturellement des Beatles, des Stones, des Who et autres Pink Floyd en tout genre, qu’en est-il des artistes moins célèbres, mais non moins méritants ? Talentueux, brillants, ils enregistrent leurs chefs d’œuvre en toute discrétion, travaux d’orfèvres pratiquement voués à n’être que très peu, trop peu arborés. Ces compositeurs, que le succès a dénigré et qui n’intégrèrent bien sûr jamais le trop étroit champ de vision de la postérité, déjà bien occulté par les succès planétaires précités, ont été avec le temps minutieusement oubliés. C’est le cas de Bill Fay. Entre autres. Entre beaucoup d’autres. Dans l’ombre écrasante des grands classiques de 1970 ("Let It Be" des Beatles, "Led Zeppelin III," mais aussi "Atom Heart Mother" des Floyd ou encore "Band Of Gypsys" d’Hendrix), Bill Fay veut ajouter sa pierre à l’édifice.

«Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver son jardin.»
Bill met indirectement en pratique cette fameuse maxime. Jardinier, il se révèle être un compositeur hors pair. Voilà sans doute pourquoi il ouvre son premier album ("Bill Fay" sur la pochette duquel il marche (assurément) sur l’eau) par Garden Song, un morceau de référence (dans lequel il raconte qu’il se plante lui-même dans un jardin, oui), triste et immensément profond, accompagné d’orchestrations lumineuses et puissantes. C’est d’ailleurs la grande spécialité de Fay, qui amène souvent un lyrisme magistral dans ses œuvres, par le biais de magnifiques violons, et parfois même de saxophones. La gravité commune à tous les morceaux ou presque de l’album est soulignée par de grandes montées instrumentales, plus ou moins denses (The Sun Is Bored) mais jamais lourdes, toujours bien mesurées. La puissance évocatrice de ces passages est subtile, et les violons rejoignent, accompagnent puis couvrent habilement la petite guitare sèche omniprésente, touchante, et l’humble piano. Fay n’en fait jamais trop, il s’en tient proprement à faire ce qu’il faut.


Garden Song

Cependant, si ses compositions possèdent une dimension puissante, c’est parce qu’à l'instrumentation déjà richissime vient s’ajouter une voix des plus maîtrisées, des plus mûres sans doute, de la période.
Le timbre clair et précis fait rêver, rend triste, donne des frissons, et est d’une efficacité rare. Gentle Willie en est sans doute l’exemple le plus parfait, bien que Goodnight Stan ne soit pas en reste. Les orchestrations y sont belles à pleurer, d’une grande finesse, et le chant, magnifiquement triste, conte l’histoire d’un brave homme, Willie, qui navigue, qui apprend à voler, mais qui est à chaque fois victime de l’Homme, qui détourne(par les guerres) ces offices pourtant si purs et agréables de prime abord. La manière dont Fay conclut chacune des trois strophes, l’intonation qu’il utilise, couplée aux brillants violons, est sans doute l’un des plus beaux moments de l’album.

Bill détient aussi le moyen de créer d’édifiants morceaux avec peu de choses, peu d’instruments. C’est le cas de Sing Us One Of Your Songs May, ou encore de Down To The Bridge, merveilles de minimalisme et d’émotions. Sa voix sied aussi bien à des morceaux chargés d'instruments qu’à des choses plus épurées, et cela contribue à enrichir l’album, à lui donner un cachet unique. Cela nous rappelle aussi qu’il n’a jamais connu le succès qu’il méritait…

Par ailleurs, on trouve également des titres tels que We Want You To Stay ou Screams In The Ears qui sonnent d’avantage comme des « tubes » : puissants, rythmés, bien qu’il soit sans doute déplacé de raisonner ici en terme de tubes, chaque morceau étant à lui seul un bijou inestimable. Là encore, Fay offre une dimension supplémentaire à son album, en le pourvoyant aussi de morceaux à la pointe de l’efficacité. Il prouve sa capacité à insuffler de multiples facettes à ses créations, sans renier pour autant la base humblement pop et les orchestrations, qui font désormais sa marque de fabrique. Cerise sur ce gâteau, le choix d’achever l’album sur deux singles, Some Good Advice et Screams In The Ears, a de quoi laisser les auditeurs sur une note (plus ou moins) familière et touchante, une tonalité idéale pour conclure.


Fay réalise ici un exercice de style, il mélange une pop belle et simple avec des orchestrations majestueuses. Le tout est ouvert, très soigneusement travaillé, et évocateur sans jamais devenir orgueilleux. L’album est complet, il est armé d’intimisme, de profondeur, d’efficacité, et l’auditeur s’y retrouve. Malgré son succès quasi inexistant, tous les éléments étaient présents pour lui donner une résonance dans le temps digne de celle d’une œuvre réputée. Tous ? Peut-être pas l’oreille du quidam lambda… Une très grande réussite malgré tout. Mais Bill ne s’arrêtera pas là...

3 commentaires:

  1. Et c'est pas du pipeau, cet album est vraiment génial, merci Hugo, au fait t'es nouveau ici ?

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  2. Nouveau rédacteur oui, mais ce n'est pas la première fois que l'ami apparaît ici vu qu'il a eu le droit à un réveille matin, un vise un peu et une apparition sur le Peu Importe en tant que SunJ.

    Bwavo Hugo !

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  3. Merci, merci bien!
    Oui, c'est un album génial :)

    Hugo

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