Si les musiques religieuses ne font pas partie de celles qui nous intéressent le plus sur C'est Entendu, il reste mine de rien courant de tomber sur des références diverses à Jésus, Marie, Joseph et leurs amis au détour d'un disque de rock, folk ou autre ; les musiques juives jouissent également d'une représentation assez importante (ne me dites pas que vous n'avez jamais entendu de klezmer), et le genre est d'ailleurs loin de stagner ou de rester cloisonné (allez fouiner par exemple du côté du label Tzadik de John Zorn !) ; les références au bouddhisme ou à des croyances plus ou moins obscures, elles, sont relativement courantes chez nombre d'artistes "new age"/ambient/expérimentaux… mais avouez que ça n'est pas tous les jours que l'on tombe sur une œuvre musicale discordianiste !
Le discordianisme, popularisé par la trilogie Illuminatus! de Robert Shea et Robert Anton Wilson, est une religion qui possède la particularité amusante d'être "à la fois un canular déguisé en religion et une religion déguisée en canular" ; il s'agit d'un ensemble décousu et insensé de préceptes absurdes et volontiers contradictoires, réinterprétables à volonté par n'importe quel pape ou n'importe quelle mame (le féminin de "pape") discordianiste — soit n'importe qui sur la planète qui "n'est pas sous l'autorité des autorités" et veut bien croire en Eris, la déesse de la discorde (encore que ces conditions ne soient pas nécessairement obligatoires, ou peut-être que si, ça dépend de vous). Je ne vais pas vous faire tout un laïus sur le discordianisme, vous avez Wikipédia à votre disposition et vous pouvez lire Principia Discordia, l'ouvrage fondateur, ici (ça n'est pas très long et il y a beaucoup d'illustrations) ; mais sachez que c'est sans doute la croyance la plus drôle, la plus absurde et la plus inoffensive (a priori) que je connaisse. De plus, elle explique pourquoi les hommes ont des mamelons, ce qui est un argument de poids (de poids plutôt léger, certes, mais de poids quand même).
Toujours est-il que Rothbard, musicien marqué (comme beaucoup de gens) par Syd Barrett et la marijuana à l'âge de 13 ans mais qui trouvait les Beatles effrayants étant gosse, a décidé un beau jour de se baser sur la Loi des Cinq (qui dicte que toutes choses arrivent par groupe de cinq, sont divisibles par ou des multiples de cinq, ou sont directement ou indirectement liées au chiffre cinq d'une manière ou d'une autre) pour créer une pentalogie d'albums suivant les principes respectifs de Thèse, d'Antithèse, de Synthèse, de Parenthèse et de Paracentèse (ou Paralysie en version originale, mais ça ne rime pas en français). (*) Le premier disque résultant de ce noble projet fut "Abandoned Meander", sorti en 2006 et dont l'origine se trouve dans des enregistrements sur un vieux magnétophone à bobines défectueux qui superposait une face inversée de la bobine sur l'autre ; il s'agissait d'un disque de freak folk tout à fait intéressant et surtout très psychédélique.
Pour le second volume de la pentalogie, Rothbard, qui décrit sa musique comme "unprogressive" sans plus de précisions, décide de couper tout lien reliant sa musique au folk. Le style de Rothbard reste pourtant parfaitement reconnaissable, à la fois dans la continuité d'"Abandoned Meander" (Rothbard semble de toute façon trop parti dans son trip pour redescendre vraiment et faire de la musique "normale") et en pleine exploration de différents genres (rock, influences orientales comme il se doit, divers genres électroniques, mais aussi des sons que ne renierait sans doute pas Tobacco de Black Moth Super Rainbow et même un ou deux rythmes que l'on pourrait imaginer sur du hip-hop, sur Street Acid), à moins qu'il ne s'agisse d'un affranchissement de tout genre défini tant qu'on n'oublie pas d'y ajouter l'adjectif "psychédélique" en grandes lettres colorées.
La musique de Rothbard donne parfois l'impression d'être constituée de couches sonores translucides innombrables évoluant de manière indépendante les unes des autres (illusion en partie due au mixage, qui met en valeur des sons habituellement entendus en arrière-plan sans pour autant qu'ils ne paraissent artificiels), et il n'y a plus beaucoup de chansons servant de guides sur "Exodusarabesque" comme il pouvait y en avoir sur "Abandoned Meander" (la mélancolique Ragadivinus et l'excellente Wisely Wasted exceptées) ; si bien que l'album ressemble finalement à son titre, départ du genre originel adopté par l'artiste ("exodus") et œuvre à la fois libre et tortueuse, remplie de nappes, volutes et distortions électroniques ("arabesque") qui s'ajoutent aux guitares et aux chants, voix qui se muent en chœurs kaléidoscopiques en arrière-plan, et je crois que j'ai perdu déjà trop de monde avec ce paragraphe encore plus tarabiscoté que le reste de l'article donc mieux vaut l'arrêter ici.
Au final, peu importe que l'on puisse avoir du mal à comprendre les concepts de l'album (Rothbard lui-même a mentionné dans une interview qu'un des samples de la piste-titre finale comprenait un guichet automatique débitant des billets à l'infini, pour symboliser l'état du monde actuel avec ses excès et l'économie hors de contrôle — je n'aurais jamais reconnu le son ni pensé à l'interpréter en écoutant l'album par moi-même, pas plus que je n'aurais reconnu l'influence discordianiste) : "Exodusarabesque" est un album à la fois épique et improbable, une curiosité joliment barrée et parfaitement bienvenue à l'approche des beaux jours (ou à l'approche de n'importe quel autre moment propice à l'absorption de musiques psychotropes) !
Les trois derniers albums de la pentalogie sont prévus pour fin 2011 ; en attendant, vous pouvez écouter et vous procurer les deux premiers ici.
— lamuya-zimina
(*) Ne me demandez pas d'expliciter en quoi chaque album correspond à chaque ensemble de principes, mais si vous voulez la description officielle :
La musique de Rothbard donne parfois l'impression d'être constituée de couches sonores translucides innombrables évoluant de manière indépendante les unes des autres (illusion en partie due au mixage, qui met en valeur des sons habituellement entendus en arrière-plan sans pour autant qu'ils ne paraissent artificiels), et il n'y a plus beaucoup de chansons servant de guides sur "Exodusarabesque" comme il pouvait y en avoir sur "Abandoned Meander" (la mélancolique Ragadivinus et l'excellente Wisely Wasted exceptées) ; si bien que l'album ressemble finalement à son titre, départ du genre originel adopté par l'artiste ("exodus") et œuvre à la fois libre et tortueuse, remplie de nappes, volutes et distortions électroniques ("arabesque") qui s'ajoutent aux guitares et aux chants, voix qui se muent en chœurs kaléidoscopiques en arrière-plan, et je crois que j'ai perdu déjà trop de monde avec ce paragraphe encore plus tarabiscoté que le reste de l'article donc mieux vaut l'arrêter ici.
Au final, peu importe que l'on puisse avoir du mal à comprendre les concepts de l'album (Rothbard lui-même a mentionné dans une interview qu'un des samples de la piste-titre finale comprenait un guichet automatique débitant des billets à l'infini, pour symboliser l'état du monde actuel avec ses excès et l'économie hors de contrôle — je n'aurais jamais reconnu le son ni pensé à l'interpréter en écoutant l'album par moi-même, pas plus que je n'aurais reconnu l'influence discordianiste) : "Exodusarabesque" est un album à la fois épique et improbable, une curiosité joliment barrée et parfaitement bienvenue à l'approche des beaux jours (ou à l'approche de n'importe quel autre moment propice à l'absorption de musiques psychotropes) !
Les trois derniers albums de la pentalogie sont prévus pour fin 2011 ; en attendant, vous pouvez écouter et vous procurer les deux premiers ici.
— lamuya-zimina
(*) Ne me demandez pas d'expliciter en quoi chaque album correspond à chaque ensemble de principes, mais si vous voulez la description officielle :
"In 2006, Andrew Douglas Rothbard released his first solo record, Abandoned Meander. The Abandoned Meander album was the first in a proposed five-record series attempting to outline the Discordiant concept of the "law of fives", composed of the themes Thesis, Antithesis, Synthesis, Parenthesis, and Paralysis. Abandoned Meander, representing the first stage, found Thesis manifesting chaos, yet protected by Goddess Eris, codified by Hexagram 2 of the I-Ching, and directed entirely toward Yin energies. Eris lived on the planet Venus, and her Tarot card appeared as the High Priestess Trump II. The follow-up to Abandoned Meander, Exodusarabesque, represents the battle of an astrological bi-polarity: Aquarius; Leo rising. The album is also inspired by the Illuminati's second stage of life, Antithesis, also known as Discord, which is overseen by the God Osiris. Hexagram 1 of the I-Ching, the planet Mars, the zodiac sign Pisces, and the Tarot card 'The Hanged Man' all play prominent and distinctive roles within the new album. The 13 tracks for 'Exodusarabesque' were recorded at Drop City 2 Studios, in San Francisco California. As with the first album of the series, all music was composed, performed, engineered, and produced by Andrew Douglas Rothbard."
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