C'est entendu.

samedi 2 avril 2011

Swing Spleen #-8

par Bertrand Bruche
art par Jarvis Glasses


Miles Davis - Kind of Blue


Que les choses soient bien claires ! Il ne sera ici aucunement question d’objectivité, d’arguments intrinsèques ou de preuves en béton visant à conforter ou démentir le statut de "Kind of Blue" en tant que meilleur album de jazz de tous les temps.

L’épique session d’enregistrement a lieu en mars 1959. Miles s’est à cette époque entouré de la crème de la crème : John Coltrane, Cannonball Adderley, Wynton Kelly, Bill Evans, Jimmy Cobb et Paul Chambers. Que des grands parmi les grands. Cela pourrait facilement expliquer la qualité de l’album, mais je pense qu’il faut rendre à Miles Davis ce qui lui appartient…

Un brin insatisfait par le bebop dans lequel il ne s’épanouit pas complètement, Miles est à la recherche de nouvelles idées musicales. Les travaux de Georges Russel sur l’improvisation modale vont nettement influencer l’album. L’idée offre en effet des possibilités musicales infinies. Auparavant, les compositions de jazz étaient basées sur une grille d’accords, sur lesquels les musiciens improvisaient tour à tour. Pour Miles, la fidélité accordée à cette grille enfermait les musiciens dans une sorte de canevas rébarbatif. C’est pour cette raison qu’il décide d’exploiter le concept d’improvisation modale qui consiste en des partitions indiquant un nombre d’accords réduit, chacun d’entre eux étant tenu plus longtemps. Sur ces accords, les musiciens utilisent une succession de différentes gammes (les modes) comme réservoirs de notes dans lesquels ils puisent pour construire leurs improvisations, lesquelles permettent de mettre en évidence les différentes couleurs et ambiances qui peuvent s’installer sur un même accord. Cette technique offre ainsi aux musiciens une liberté et une spontanéité nouvelles.


(So what)

Malgré sa complexité et sa richesse, "Kind Of Blue" reste un album simple, agréable et facile à écouter. Le solo de trompette de Miles sur So What, qui est devenu un standard incontournable, est considéré par tous comme un exemple et a inspiré un nombre incommensurable de jazzmen de renom. La prise de parole est brève, pourtant elle dit tout. Elle annonce merveilleusement ce qui va suivre et donne le ton, si particulier, de l’album tout entier. Le clavier ponctue de manière impeccable l’improvisation avec des accords, tantôt brefs, tantôt plus longs, offrant de ce fait un relief impressionnant à l’improvisation du maître.


Cet album mythique était voué à en influencer bien d’autres et le concept d’improvisation modale devait se voir exploité jusqu’au maximum de ses possibilités par Miles. C’est d’ailleurs avec un plaisir non dissimulé que je vous invite à écouter ou à réécouter cette œuvre riche et sensuelle.

Julien Masure m’expliquait hier soir le concept de synesthésie. Pour faire court si vous n'êtes pas familiers du terme, il s'agit d'un phénomène neurologique au cours duquel plusieurs sens sont associés et qui s’illustre notamment au travers de la relation qui lie Proust à sa savoureuse madeleine. Eh bien "Kind of Blue" est ma madeleine à moi, dont une seule bouchée, une seule note, suffit à me faire voyager dans les plus hautes sphères de l'imaginaire. Puisse-t-il avoir le même effet sur vous…

4 commentaires:

  1. Je l'ai chopé en vinyl récemment !
    Je m'y mets doucement, j'aime beaucoup, à part que la batterie derrière me donne parfois des envie de meurtre, comme dans la plupart des albums de jazz que j'ai écouté. Mais sinon c'est cool !

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  2. Bertrand Bruche3 avril 2011 à 11:45

    Je peux tout à fait concevoir que son omni-présence puisse irriter à la longue... Je la trouve personnellement très vivante (les variations d'intensité qu'elle apporte au début et a la fin de chaque solo me rendent tout chose...), mais cela n'engage que moi!
    Cela dit, Blue In Green, 3e piste de l'album est entièrement jouée aux balais... (on ne pourra ainsi pas m'attaquer pour complicité de meurtre..)
    Belle journée !

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  3. Johnny the Left Nose3 avril 2011 à 15:28

    Un des disques jazz les plus accessibles au monde et c'est loin d'être un défaut.

    J'avoue avoir une préférence pour la période électrique de Miles.

    Matt, si tu n'aimes pas la batterie, tu devrais écouter Paris d'Eric Truffaz LOL.

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  4. Étonnamment, je n'ai pas cet album. Je l'ai déjà écouté quelques fois et je connaissais bien So What mais je l'avais oubliée et elle est tellement bien qu'il va falloir que je me procure Kind of Blue (tout comme On the corner, que je n'ai toujours pas écouté).

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