C'est entendu.

vendredi 15 avril 2011

[Alors quoi ?] Interview d'anbb, Qwartz 7 - Deuxième

Le concert d'ouverture de la 7ème édition des Qwartz avait non seulement ébloui nos mirettes et nos feuilles de choux, mais il avait surtout laissé en suspens un certain nombre de questions. Quid des paroles de "Mimikry" ? Et les propos tenus par Blixa Bargeld lors du concert ? Plus largement, nous tenions à savoir quelles positions le duo teuton anbb occupait face à la production musicale actuelle et à la cérémonie elle-même.




C’est Entendu : Comment avez-vous procédé pour créer cet album, et dans quelle mesure avez vous improvisé ?

Blixa Bargeld : Notre approche du concert parisien et celle de l'album relèvent d'un même projet global : tout provient de la performance. Nous avons travaillé sur des morceaux pour des performances particulières, nous les avons joués à de nombreuses reprises, et à chaque fois différemment, et ce que vous pouvez entendre sur le disque est en réalité le résidu d'un an et demi de pratique, bien plus que des créations qui auraient été développées essentiellement en studio d'enregistrement dans le but d'aboutir à un album. De ce fait, il y a automatiquement quelques... portes laissées ouvertes un peu partout. Aucune de ces performances, aucun de ces morceaux ne sera jamais répété à l'identique.
Carsten Nicolai : Parfois, il nous est arrivé d'inclure un nouveau morceau qui n'avait absolument jamais été joué auparavant et qui du coup était testé sur scène, sans avoir été répété.
BB : Nous faisons ça à chaque concert, en vérité.
CN : Oui, chaque concert implique d'une façon ou d'une autre un nouveau morceau.



CE : Vous l'avez donc fait hier soir ?

BB : Oui, (s’adressant à Carsten), tu as eu l'étrange idée de démarrer sur la note wüst (Ndlr : une traduction approximative serait primale, Wüst est une chanson de "Mimikry") qui s'est soudainement éteinte, ce qui laissait penser que tu jouais une intro supplémentaire avant Wüst, mais ça m'allait très bien !



CE : Les artistes noise ou électro ne sont en général pas des habitués de la ré-interprétation de chansons traditionnelles ou de standards populaires. De tous les classiques que vous auriez pu reprendre, nous avons été surpris d'entendre le One de Harry Nilsson. Qu'est ce qui vous y a conduit ?

BB : Lorsque l'on reprend une chanson, c'est habituellement que j'avais ça en moi depuis un moment. S'il me vient l'envie de jouer un jour une chanson en particulier, je n'ai qu'à attendre le bon contexte dans lequel le faire et pour One, ça s'est passé comme ça. Je me suis simplement dit qu'avec ses paroles mathématiques, elle serait probablement parfaite pour ce contexte précis.



(One telle qu'elle est sur "Aerial Ballet")



CE : Concernant cette chanson, justement, dans quelle mesure les paroles “One is the loneliest number, worse than two” ("Un est le nombre le plus solitaire, pire que deux") ont un lien avec votre collaboration ?

BB : Les paroles de Harry Nilsson ? Je ne pense pas qu'elles soient associées à quoi que ce soit de personnel.
CN : Je trouve que la chanson commence d'une belle façon, avec ce très simple “Bip, bip, bip”.
BB : Oui j'ai trouvé en l'entendant que ça serait parfait dans ce contexte.
CN : Et d'une certaine façon, refaire la chanson fut très facile pour moi du fait de ce type de pulsation. Cette chanson a une structure plutôt simple, d'une certaine façon.
BB : Hmm, non. La structure n'est pas si simple. C'est du A B A B C A B, ce qui est assez habituel pour une chanson. Ce qui est drôle c'est qu'elle est incroyablement courte. Je crois que l'originale ne dure pas plus d'une minute et cinquante secondes.
CN : Vraiment ?
BB : Oui ! Il l'a en fait enregistrée deux fois. Il a fait une première version, l'originale, qui dure 1:50 et ensuite pour une raison x ou y il a ralenti tout l'album pour donner une impression de lenteur et il a ré-enregistré par-dessus les anciennes bandes et sorti cette version-là. Très étrange (rires) ! Je ne sais pas ce qui l'a amené à effacer un album pré-existant en enregistrant par-dessus au lieu de simplement ralentir le tout. Sur la nouvelle version, le morceau doit probablement durer deux minutes dix (Ndlr : sur "Aerial Ballet", tel qu'il fut publié en 1968, One dure deux minutes et cinquante sept secondes).



CE : En vous voyant hier soir, nous n'avons pu nous empêcher de penser à Kraftwerk, spécialement lorsque vous avez joué le morceau Electricy is Fiction. C'était comme voir Ralf Hutter possédé par le fantôme de Captain Beefheart.

CN : (rires) En fait, vous avez totalement raison !
BB : C'était intentionnel, une plaisanterie pour les gens qui connaissent le disque "Safe as Milk" (Ndlr : le premier album de Captain Beefheart, sorti en 1967)


(Electricity, sur le premier album de Captain Beefheart)



CE : Ces artistes ont-ils influencé votre collaboration ?

CN : Nous aimons tous les deux Captain Beefheart, évidemment.
BB : Mais vous n'avez pas eu toutes les références.
CN : Oui il y en a beaucoup d'autres.
BB : Une en particulier est très amusante : dans une chronique, quelqu'un a écrit que la chanson débutait sur le sample de la voix de quelqu'un en train de parler, mais en fait c'est moi qui suis en train d'imiter un discours qu'Erwin Schrödinger a donné devant le public Américain. Je crois que ça donne "Do electrons think ?" ("Les électrons pensent-ils ?"). Electricity is Fiction est pleine de références comme celle-ci : Schrödinger au début, Beefheart à la fin, et entre les deux, quelques autres sont à déchiffrer.
CN : C'est très super-post-moderne d'une certaine façon...
BB : C'est une plaisanterie post-moderne. Je veux dire, à la fin de I Wish I Was a Mole in the Ground je fais soudain référence à Hendrix (rires). Pas sur le disque, mais je l'ai fait hier soir.
CN : Il y a aussi de drôles de personnalités dans Once Again.
BB : J'y cite Edith Piaf (rires). Hier j'ai raconté cette histoire selon laquelle j'avais dit des bétises au téléphone lorsque l'on m'avait laissé seul dans un bureau de Virgin Records en France. Évidemment, j'ai tout inventé.



CE : Hier, juste avant de faire Mimikry, tu as dit que nous n'avions plus d'ennemis et qu'ils avaient tous disparus quand nous avions appris à les imiter si bien.

BB : J'essayais de proposer une thèse. Dans la nature, le mimétisme (Ndlr : en anglais, mimicry) existe et il y en a deux différentes sortes : celui qui consiste à se camoufler pour mieux attraper une proie et celui qui implique de prendre une apparence effrayante pour éloigner les prédateurs. Ce sont deux choses différentes. Maintenant imaginez les êtres humains en tant qu'imitations, ça n'est qu'une idée mais imaginez que votre apparence physique actuelle n'est qu'une contrefaçon mimétique : l'est-elle pour effrayer quelqu'un ? Et si c'est le cas, c'est que cette imitation a du être si effective dans son but d'épouvante que le prédateur a fini par disparaitre. C'est la thèse que j'essayais de défendre devant le public en vingt secondes chrono. Mais maintenant j'ai un blog musical où je peux dire tout ça et ça y sera développé.



CE : Blixa, tu es une sorte de popstar depuis des années, maintenant...

BB : Depuis de nombreuses, nombreuses décennies, oui. Je suppose que je suis une vieille popstar maintenant (rires).



CE : As-tu souvent envie d'être une taupe sous la terre (traduction de : "a mole in the ground") ?

BB : Non, mon passage favori dans celle-là ça n'est pas vraiment celui sur la taupe ; je préfère celui qui concerne le lézard : "I wish I was a lizard in the spring and I could hear my baby sing" (J'aimerais être un lézard au Printemps qui entendrait ma chérie chanter"). Ca vient de la version des Animals, que je préfère en fait (Ndlr : à l'originale, par Bascom Lamar Lunsford, enregistrée en 1924 et reprise par beaucoup d'autres depuis).


(La version originale)



CE : Comment interprétez-vous le vers qui fait "If I was a mole in the ground, I’d root the mountain down" (Si j'étais une taupe dans la terre, je ferais s'écrouler la montagne) ?

BB : Quand nous avons enregistré ça, j'ai demandé à notre ingénieur du son de quoi il pensait que cela parlait, parce que je n'arrive pas à comprendre moi-même de quoi il s'agit - c'est probablement pourquoi c'est si fascinant - et il a trouvé toute une histoire comme quoi c'est en réalité un prisonnier qui essaie de creuser pour s'échapper de la prison, qu'il compare à une montagne, comme Alcatraz ou quelque chose du genre. C'est un rocher. Voilà l'interprétation de l'ingénieur du son. Cependant, ça n'est pas quelque chose de très utile que de perdre son temps à essayer d'interpréter les chansons, et particulièrement celles des autres. C'est aussi inutile que d'interpréter des poèmes.
CN : Ce qui est vraiment chouette avec ces paroles c'est qu'à chaque fois qu'elles sont prononcées, on peut y découvrir des histoires différentes.
BB : Il y a eu de nombreuses versions de la chanson et celle dont je me suis le plus inspiré est celle de Bascom Lamar Lunsford, qui était un chanteur de folk des Appalaches, et je vous parie qu'à chaque fois qu'il la chantait, il le faisait de façon différente en changeant probablement les paroles. Il est question de se laisser aller à des associations d'idées. Parfois je suis capable de le faire et parfois non.



CE : Qu'est-ce que cela représente pour vous deux de jouer en ouverture des Qwartz cette année ?

CN : En fait, je ne savais pas que nous serions en ouverture, je ne l'ai appris que hier (rires).
BB : Pour ma part j'étais au courant et j'ai trouvé amusant que le concert soit gratuit.
CN : Ça c'était géant.
BB : Nous nous sommes dit que beaucoup de gens ne seraient probablement pas venus s'il avait fallu payer. Le public était du coup très réceptif et c'était parfait.
CN : Après coup quelqu'un m'a dit n'avoir jamais entendu un public aussi calme et particulièrement dans le cadre d'un concert gratuit. Ils écoutaient vraiment.
BB : C'était géant, j'ai vraiment aimé le public.
CN : Et nous avons eu droit à des moments incroyablement excitants. Tout le monde parle du volume élevé auquel nous avons joué mais en vérité les passages silencieux étaient réellement fantastiques. Un très bon esprit.




CE : Carsten, comment envisagez-vous votre rôle de Président d'Honneur de la cérémonie ?

CN : C'est amusant, bien sûr et quand j'ai reçu l'invitation je me suis dit "woah, c'est un peu comme les Oscars et je suis le Président". Il y a tous ces termes "président" et "honneur" et euh, va-t-il falloir porter un smoking ?
BB : Ce serait bien.
CN : Eh bien j'ai envoyé mon meilleur costume au pressing tout à l'heure alors soit. Mais ce que j'aime avec cette idée c'est que l'on commence à célébrer un minimum la scène électronique parce qu'il y a encore bon nombre de ses acteurs qui continuent d'influencer à tour de bras. Blixa a reçu l'un de ces prix et je crois que Gudrun Gut, une autre membre de Neubauten, a aussi été Présidente d'Honneur avant moi.
BB : Oh ! Je ne savais pas qu'elle avait aussi été Présidente d'Honneur, je croyais que tu l'étais pour toujours. Président à vie !
CN : Pourquoi pas ! Il me faudrait une nouvelle carte de visite. Ceux qui vont recevoir les prix sont des gens intéressants, qui tentent toujours d'amener la musique un peu plus loin. Je dois donner un petit discours d'introduction, je ne sais pas ce que je vais dire, je ne parle pas Français...



CE : Enfin, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de l'état actuel de la production musicale ?

CN : Blixa a certainement une approche différente de la mienne mais je trouve que les producteurs les plus intéressants du moment viennent tous du hip hop, comme Timbaland ou Pharell, avec The Neptunes, Missy Elliott, ce genre de choses.
BB : Je ne connais aucun de ces noms.


(Hot, par Rosco P. Coldchain, produite par les Neptunes)


CN : Selon moi, il y a eu de très bons producteurs au sens classique du terme mais il n'y a pas eu de grand changement dans la manière. Pour expliquer les choses à Blixa, le travail de The Neptunes consistait en des références minimales et super radicales, ce qui donnait des chansons reposant essentiellement sur un bip et une boite à rythme, avec des voix magnifiquement travaillées. Des choses très simples et parfois aussi assez sombres en un sens. Là tout de suite, disons qu'il n'y a personne qui collerait pour moi avec l'étiquette de grand producteur. Enfin, vous en avez en France, comme Mirwais. On est potes.
BB : Quand j'ai enregistré mon premier album – pas mon premier enregistrement – la maison de disques n'avait pas d'argent pour un ingénieur du son alors le type du studio nous a juste montré sur quel bouton appuyer pour enregistrer et où brancher le microphone. Et puis il est parti en nous disant de l'appeler chez lui en cas de problème. J'ai donc été directement jeté dans l'eau froide et j'ai du tout apprendre moi-même. Ce fut un apprentissage très très utile parce que, plus tard, quand j'ai eu à faire des trucs comme, disons, les Sessions chez John Peel, à la BBC, on nous octroyait d'office un producteur. Un producteur, c'est un type qui s'assied dans un coin et pionce littéralement pendant la séance. Les ingénieurs disent à tout le monde – et je le sais parce que je suis allé chez Peel avec plusieurs groupes – la même chose : "Tu devrais installer ton ampli ici, fais-ci, fais-ça..." et du fait de ma connaissance d'un studio, personne n'avait rien à me dire car je savais quoi faire. Si quelqu'un me disait "c'est impossible, tu ne peux pas faire ça" – parce qu'ils ont en général des saloperies électroniques de branchées – je sais que c'est des conneries parce que je l'ai déjà fait et je sais que c'est possible. Jusque là je n'avais donc toujours pas compris quel était le job d'un producteur. Et puis un jour, j'ai rencontré Gareth Johns, qui au même moment – dans le même studio en fait – travaillait avec Depeche Mode et j'ai alors commencé à comprendre ce qu'un BON producteur pouvait faire.
CN : Tu n'as pas travaillé avec Conny Plank (Ndlr : le producteur allemand qui a le plus contribué au krautrock) ?
BB : Non, il était déjà mort. Il est venu nous voir une fois et nous avons travaillé dans son studio mais il est mort soudainement.
CN : Je vois.
BB : Nous avons bossé dans son studio mais le producteur y était John Caffery, qui a travaillé avec Joy Division et d'autres groupes du genre. Un bon producteur est en fait quelqu'un qui t'aide à mettre en pratique tes idées en te montrant comment le faire.
CN : Voilà.
BB : C'est le mieux que je puisse en dire, mais la plupart d'entre eux sont complètement inutiles.
CN : Il m'arrive de produire les albums d'autres artistes mais ce que je fais se limite à appuyer sur les boutons d'enregistrement en disant : "C'est parti". (rires)
BB : "Ce serait bien d'enregistrer ça avec un micro de plus" ou des trucs comme ça, tu sais, ça aide beaucoup ! Le meilleur producteur est quelqu'un qui comprend la technologie et l'idée.
CN : Ouais et qui pousse vers l'avant.
BB : Eh bien nous n'avions pas de producteur sur notre album.



Propos recueillis par Nina Strebelle. Interview préparée par Nina Strebelle et Joe Gonzalez.

2 commentaires:

  1. merci pour cette interview je cherchais justement des infos sur eux!

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  2. Merci beaucoup pour le partage de cet article. C'est un article génial. J'ai apprécié le lot article lors de la lecture. Merci pour ce partage un magnifique article.

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