La pop française sans Philippe Katerine, ce serait aussi absurde qu'un poisson sans bicyclette. Permettez moi ainsi de paraphraser Pierre Desproges pour expliciter ce qu'est et ce qu'apporte ce personnage absurdo-comique à la musique. Philippe Katerine a réussi à se donner cette importance atypique, celle d'une nécessité dérisoire. Son dernier album, sorti en 2010, est un chef d'œuvre contingent et c'est précisément sa grande qualité. Car on écoute pas du Philippe Katerine comme on écoute son (presque-) homonyme, un jazzman renomé. C'est peut-être pourquoi tant de personnes le mécomprennent et le dénigrent. Katerine, c'est un créateur d'art naïf boursoufflé d'imagination infantile.
Pour comprendre l'album, la première chanson suffit. Je M'Eloigne D'Autant Que Je M'Approche résume à elle-seule toute sa musique et ne dure, pourtant, que 33 secondes. Katerine y répète, tout en se rapprochant du micro, le titre de la chanson. De ce morceau génial/ridicule, deux interprétations sont possibles.
Tout d'abord, on pourrait choisir de faire prévaloir une approche intellectuelle voire intellectualisante. Katerine intègre dans cette chanson une dimension nouvelle : la notion d'espace, celui du studio d'enregistrement. Il donne à voir ce qui est souvent caché à nos oreilles. On l'imagine dans sa pièce insonorisée, devant le micro. Cette vision est par ailleurs renforcée lorsque le micro sature à la fin du morceau. Voilà qui offre une vision particulière puisque c'est précisément celle-là que l'enveloppe du travail en studio tâche de faire disparaître. Le son doit être pur, les moyens ne doivent pas influer sur la fin sinon pourquoi insonoriserions-nous les studios ? Cette chanson est une méta-chanson qui chante des conditions physiques de la création musicale (le studio, le micro) et démystifie la notion de musique de studio, lui rendant le physique qui lui manque habituellement, transformant le transcendant au profit de l'immanent. Il s'éloigne de la musique, d'autant qu'il s'approche du micro.
La seconde approche est, elle, beaucoup plus naïve. Il s'agit bien sûr d'envisager cette musique à travers l'humour et l'aspect "jouet" qu'elle trimballe. Offrez un micro à un enfant et il entamera ses propres expériences. Or, Katerine a intégré cette notion de jeu tout au long de sa carrière (ou du moins de la deuxième partie de celle-ci) : c'est un amusement, une expérimentation sans aucune autre prétention que celle de se distraire et de rire un peu.
(La Musique, métalangage ou simple jeu ?)
Ces deux lectures sont constantes dans l'œuvre du chanteur. Louxor j'adore portait, à titre d'exemple, elle aussi ce dualisme intellectuelo-stupide, une sorte d'absurdité méta-langagière face à laquelle on peut se poser la question : qui est finalement Philippe Katerine ? Un artiste (post-)post-moderne ? Un enfant sans retenue ? Un clown grotesque ? La beauté de son oeuvre s'opère justement dans cette obscurité, dans ce flou, cette faculté d'aller à l'encontre des codes et de parvenir, pourtant, à les assimiler entièrement. Car Philippe Katerine est un artiste capable aussi bien de chanter sur la scène de la Star Ac' (TF1) que d'offrir 52 chansons françaises remodelées par ses soins. C'est un artiste apte à aller sur le plateau du Grand Journal de CANAL + tout en prenant le temps de réaliser un film à la limite de l'expérimental mindfuck. Il est hors des codes et pourtant il les intègre. Le fait est que Katerine joue sa musique, comme un enfant le fait si on lui donne un micro. Il crée une musique qui n'a pas d'autre prétention sinon celle d'en être, pour le plaisir de jouer et parce qu'il a besoin de le faire. Libre à vous de l'interpréter comme vous l'entendez.
Julien Masure
Peut-on encore appeler ce très bon article une chronique d'album dans la mesure où il n'est question que de la première chanson ?
RépondreSupprimerCe disque mérite d'être abordé dans sa globalité et qu'on parle, malgré tout, de sa musicalité.
Pourquoi pas, l'argumentation se tient, on pourrait même dire que Katerine fais de la merde et qu'il nous emmerde ... mais qu'on aime ça en qu'on en redemande ... Même si cette tendance a intellectualiser les crétins m'agace un peu ...
RépondreSupprimerLucien > Je ne suis d'accord dans la mesure où selon moi la thèse de Julien, cette ambivalence de la musique de Katerine, ça définit TOUTE son œuvre et pas seulement la première chanson. Et je ne suis pas d'accord non plus pour dire qu'il faut absolument parler de TOUT l'album, de sa musicalité (on aurait vite fait, finalement). C'est à vous de l'écouter, on ne va pas vous faire un track by track :D
RépondreSupprimerDjeep > Intellectualiser les crétins, ça n'est pas vraiment ce que fait Julien, puisqu'il expose une dualité et vous laisse plus ou moins le choix de votre interprétation !
@ Lucien : J'ai concentré l'article sur la première chanson car elle est représentative de l'idée que je me fais de Katerine. J'ai choisi celle-là car c'est la plus flagrante (avec "La musique" que je propose en écoute dans l'article également) mais je pense qu'on peut décliner l'analyse avec presque toutes les chansons de l'album (et de "Robot après Tout").
RépondreSupprimer@ Djeep : intellectualiser les crétins ou infantiliser les génies, c'est selon. : )
Joli ! Il m'a fallu un moment pour me rendre compte que la note était un 5/5 avec le dessin du 0/5 : )
RépondreSupprimerEt j'avais envie de voir quelqu'un trouver des arguments pour défendre cet album, donc merci.
(Pour ma part je lui ai mis 2/5 sur RYM, soit un point de plus (pour l'humour) que les albums que je considère "pas insupportables mais sans intérêt" — parce que j'ai quand même trouvé qu'il était lourd et avec de grosses longueurs par moments, parce que les idées dedans ne sont quand même pas toutes du génie, et parce que des idées et de l'humour ne suffisent pas à faire un album qui tienne la route à mon avis. Mais ça me fait quand même plaisir que cet album existe.)
Vous avez tout pigé je pense. Il est detestable, mais tellement aimable.
RépondreSupprimerL'article cite Desproges pour finir par dire, c'est un album qui n'a pas d'autre prétention que celle de nous faire rire. BRAVO Abruti ! : http://www.youtube.com/watch?v=cBcGuFZVsFM
RépondreSupprimerÇa n'est pas ce que dit l'article, non.
RépondreSupprimerCher Herman, tu auras compris que la prétention de distraire et de rire concerne bien Katerine et non pas l'auditeur. Il a la simple prétention de SE faire rire. Je présume que ton commentaire était une boutade mal dosée.
RépondreSupprimerAprès tout, tu cites Desproges, tu ne peux donc pas être foncièrement mauvais.