Ah, ce thème. Cette mélodie. Ce piano. Il lui suffit de quelques secondes, et soudain, le film qui joue dans la tête, chaque image indéfiniment liée à chaque note. Ce soleil qui disparait lentement pendant que les voix venues de nulle part se répondent. Puis les longs plans sur les robes. Delphine Seyrig et ses cheveux châtains, en robe de soirée dans un salon suranné. Michael Lonsdale qui marche près des terrains de tennis, dans le grand parc avec son smoking blanc. Les silences interminables, étouffants dans cette grande maison fantomatique. "India Song." 1974. On a beaucoup ri des films de Marguerite Duras. Il y a sans doute de la matière. Mais ce sont finalement, avec toutes leurs maladresses, de très beaux moments de cinéma, très libres. Les images y sont aussi vaporeuses et hors du temps que peuvent l'être les mots, imprimés sur le papier lourd et doux des Éditions de Minuit dans des romans comme Détruire Dit-Elle ou Le Vice-Consul. Et c'est l'oublié Carlos D'Alessio qui s'est chargé de lier le tout avec sa musique omniprésente, mélancolique, plus qu'une simple bande originale, une émanation sonore mélancolique. Il fera la musique de tous ses films ensuite, avec toujours cette même manière de se lier de façon unique à la réalisation, comme dans "Baxter, Vera Baxter," avec sa fanfare de flutes primitives jamais interrompues. Mais c'est le thème d'India Song qui reste le plus envoutant, le plus fort.
"Je lui ai demandé de faire la musique pour un film, il a dit oui, j’ai dit sans argent, et il a dit oui, et moi j’ai fait les images et les paroles en raison du blanc que je lui laissais pour sa musique à lui et je lui ai expliqué que ce film se passait dans un pays qui nous était inconnu, aussi bien à lui qu’à moi, les Indes coloniales, l’étendue crépusculaire, de lèpre et de faim des amants de Calcutta, et que nous devions les inventer tous les deux en entier. Nous l’avons fait."
- Marguerite Duras
Un peu plus tard, Duras a mis des mots sur cette mélodie. Et c'est Jeanne Moreau, celle qui avait joué dans l'adaptation de "Moderato Cantabile" en 1960 et avait déjà tourné dans "Natalie Granger" de Duras en 1973, qui a chanté ces mots. C'est ce que je vous propose d'écouter ce matin. Sa voix déjà grave qui lance "Chanson/De ma terre lointaine/Toi qui parleras d'elle/Maintenant disparue" sur des violons à pleurer. Ce pont, plus léger, "toi qui me parle d'elle," presque rêveur, mais dont la timide douceur vient se perdre dans une descente harmonique tragique s'achevant inéluctablement par la dureté du ton de Moreau lorsqu'elle chante le mot "mort," presque faux. Et puis finalement la manière sensuelle et froide qu'elle a de conclure le morceau avec son "et toi qui me dit tout" pendant que le piano s'éteint sur un dernier accord mineur, une flute solitaire achevant lentement une dernière note.
Emilien Villeroy
Délicatessen ! \o/
RépondreSupprimertu m'as foutu les larmes!
RépondreSupprimerforcément! forcément!
RépondreSupprimerJ'aimerais écouter le morceau mais le lecteur a disparu.
RépondreSupprimerJ'ai pas encore vu India Song (juste le début), ni Nathalie Granger (juste le début), mais je compte bientôt les voir, et sans les interrompre, on n'interrompt ces films-là.
Concernant le lecteur vert, il revient bientôt. Grooveshark est en maintenance.
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