Une conversation téléphonique, plan serré. Florence parle d'abord, puis Julien. La caméra s'écarte, les plans s'allongent et les premières notes de trompette éclatent, aussitôt contenues par la contrebasse de Pierre Michelot et les rythmes lents de Kenny Clarke. Le morceau commence, le film se met en place...
Dans Ascenseur pour l'échafaud la musique de Miles Davis se fond dans l'ambiance voulue par Louis Malle, faite de tension retenue et de doutes. Les morceaux, en grande partie improvisés et enregistrés en trois heures lors d'une projection privée accentuent la portée dramatique du film sans chercher à coller à l'action. Au lieu d'appuyer les moments clés de l'intrigue, elle se superpose aux images, au grain de la pellicule. Il faut se figurer le Paris de 1957 partagé entre le jeu des automobiles parmi les immeubles et le clair obscur de la caméra.
Ascenseur pour l'échafaud occupe une place de choix dans la discographie de Miles, juste avant les sommets que seront "Milestones" et "Kind of Blue." Cet enregistrement est même considéré par certains comme fondateur du jazz modal, une variante dépouillée des structures complexes du bop et représenté avant 1960 par Charlie Parker. Davis et ses musiciens improvisent autour de phrases harmoniques simples qui correspondent à seulement trois ou quatre accords. Autant dire que sur ce format, le style délié et mélodique du trompettiste fait des merveilles. On retrouvera par la suite beaucoup de réitérations de cette démarche dans des compositions telles que le classique So What sur "Kind of Blue".
L'imaginaire particulier qu'inspirent les bandes originales de cinéma par la juxtaposition du son et de l'image modifie évidement l'écoute. De même qu'une pochette de disque fait parfois partie intégrante de la perception de la musique qui y est inscrite (que serait "London Calling" sans Paul Simonon explosant sa basse contre la scène ?), la démarche angoissée de Jeanne Moreau contamine le morceau autant que celui-ci imprègne le souvenir de ce film marquant des débuts de la Nouvelle Vague. Une troisième dimension apparait enfin dans la bande originale d'Ascenseur pour l'échafaud : ce sont les quelques images que l'on a fantasmées autour de cet enregistrement mythique et toute la légende qui entoure Miles Davis, avec notamment les fabulations de Boris Vian décrivant l'enregistrement dans Jazz Hot (alors qu'il n'y était pas présent). La musique n'est pas seulement un ensemble de sons, elle est également une représentation, un imaginaire né de la superposition des éléments les plus divers. Une insulte au concept fallacieux d'objectivité.
... un piano vient soutenir la section rythmique sur laquelle s'écrasent les assauts répétés de la trompette de Miles. Et c'est sur un status quo que Julien pose le combiné et saisit son arme.
Arthur Graffard
vous n'avez plus de petite vignette qui annonce le thème des semaines ? Parce que là il semblerait qu'on est dans une semaine avec un thème bien précis, mais je trouve pas l'indicateur quelque part... help!!
RépondreSupprimerBird n'a jamais rien fait de modal, il est plutôt un des modernisateurs du bebop (il le complexifie, l'accélère), de plus il est mort en 1955. Remplace le par George Russell et t'as tout bon.
RépondreSupprimeroui tu as entierement raison!
RépondreSupprimerMa phrase est mal tournée je lie Charlie Parker au Be-Bop, pas au Jazz Modal. Pour 1960 c'est juste une date arbitraire pour situer à peu près la transition entre ces deux courants.
Puisque tu semble t'y connaitre est-ce que tu pourrai m'indiquer des bons enregistrements de la période 1945/1947 avec Davis et Parker?
oui tu as entierement raison!
RépondreSupprimerMa phrase est mal tournée je lie Charlie Parker au Beop, pas au Jazz Modal. Pour 1960 c'est juste une date arbitraire pour situer à peu près la transition entre ces deux courants.
Puisque tu semble t'y connaitre, est-ce que tu peux me conseiller des bons enregistrements de la période 1945/1947 avec Davis et Parker?
Je viens d'écouter le morceau pour la première fois sans avoir le film sous les yeux. Et je l'ai bizarrement plus apprécié sans le film. Je l'ai même trouvé génial. Alors qu'en regardant le film il participait d'une certaine langueur d'un LONG métrage pas SI géant que ça. C'est un chouette film hein, mais pas SI géant que ça. Louis Malle n'a de toute façon jamais été un si grand cinéaste.
RépondreSupprimerTrès bon article au demeurant !
Graffard, c'est ton vrai nom ? Si c'est le cas je suis ultra envieux !
RépondreSupprimerQue serait "London Calling" sans Paul Simonon explosant sa basse contre la scène ? Juste un skeud !
RépondreSupprimer@Arthur : question difficile parce que j'ai toujours orienté mes écoutes de Bird par qualité sonore, on parle quand même d'un mec qui accélère le bebop et d'enregistrements pre-1950, ca peut vite devenir une bouillie incompréhensible à mes pauvres oreilles, aussi grand soit son talent.
RépondreSupprimerSachant qu'il n'y a pas tout Bird + Miles sur un seul label (moitié Dial, moitié Savoy), je pense que tu devrais t'orienter vers "The Legendary Dial Masters, Vols. 1-2" et si vraiment ca te botte vers un coffret "Complete Savoy Sessions". Il y a même un "Complete Savoy and Dial Studio Recordings" qui semble parfaitement répondre à ta question, sauf que c'est beaucoup trop exhaustif.
Ok merci pour les conseils!
RépondreSupprimer@Tank: oui Graffard c'est mon vrai nom. j'avais jamais pensé qu'il pouvait être cool mais si tu le dis peu être... Nan en fait je vois pas, pourquoi tu le trouve bien?
Ben chais pas, je le trouve méga cool. Ça fait nom de poscaille, mais d'un poisson ancestral, celui que tu savoures avec toute ta famille autour d'une belle tablée, si par miracle tu as réussi à en venir à bout, suite à un long duel que seul Ernesto Hemingway (je veux ici parler du "Che") serait capable de nous conter. T'es le repas de noël ou de mariage rêvé de tous. Une espèce de poscaille imputrescible, qui ne peut donc pas se putréfier ; dans le style gros poisson d'eau douce qui a toujours rôdé dans les parages ; celui qui était là avant Denver, le dernier dinos, et qui sera là après Menphis Tennessee, le dernier homo.
RépondreSupprimerArthur ne voudra plus rien écrire sur ce blog après un commentaire aussi génial mais aussi flippant sur son blaze. Et ce serait dommage :D
RépondreSupprimer@ Tank: Je crois que c'est un des compliments les plus bizarre et les plus cool qu'on m'ait jamais fait. Merci.
RépondreSupprimer@ Arthur Blaffard (Un double venu d'une dimension parallèle?): Je continuerai d'écrire sur ce blog tant qu'on ne me virera pas à coup de batte. Fallait pas me laisser entrer.
Excellent!!!
RépondreSupprimerL'article comme les commentaires!!
Graffard, le nom de famille qui fait fantasmer les internautes, je suis pas prêt d'oublier!! :D
Léon