Face à "Comfortable Problems," on a d'abord envie de dire enfin. Enfin un album de noise pop venu de France qui a droit à un peu d'exposition. Ce n'est pas tant que le genre soit totalement absent de notre pays, mais les groupes qui émergent dans ce genre-là sont bien rares. Plus concrètement, disons plutôt "enfin un très bon album de Clara Clara," groupe semi-dijonnais qui depuis déjà plusieurs années s'était fait une belle réputation en apparaissant en concert avant des groupes plutôt prestigieux (Deerhoof, Liars, etc) et avait sorti déjà quelques cd-r plutôt encourageants et un premier album très sympathique. Ça faisait déjà pas mal de temps qu'on suivait ce trio dans lequel officient François Virot à la batterie (qui est un peu notre Zach Hill à nous - vis à vis du niveau de l'hyperactivité musicale j'entends) et son frère Charles à la basse, accompagnés d'Amélie aux claviers parfois Bontempi (!) et ce deuxième album apparait vraiment comme une concrétisation, non seulement pour eux mais aussi pour ceux qui avaient eu le nez de croire en eux.
Quand on parle de Clara Clara, un peu comme pour tous les groupes dans leur genre, on parle avant tout d'un son avant de s'intéresser aux chansons. Celui du trio est bien évidemment puissant et dense, le genre qui s'écoute à des volumes peu raisonnables sinon rien, toujours stationné dans le rouge, sans pour autant être un amas de saturation, et qui garde un goût de live sans pour autant sonner creux ou trop bordélique. Et il y a ce clavier, clé de voute de l'ensemble, aux sonorités limite 70's par moment, qui habille parfaitement l'ensemble de longues notes tenues. Non seulement "Comfortable Problems" est un album puissant, mais il a une façon d'englober l'auditeur sans l'assourdir qui tient du petit miracle, et il faut louer le travail de mixage qui a été réalisé (par François Virot d'ailleurs) pour ne pas asphyxier une musique pourtant très remplie. Certes c'est un fan de noise rock qui vous dit ça et le commun des mortels sera peut être terrassé au bout de deux morceaux, mais, croyez-le ou pas, cet album est très accessible. Malgré tout, il y a mille et une façons d'utiliser un tel son, et c'est là que Clara Clara tire son épingle du jeu. Face à la batterie remuante ou la basse passée sous distorsion et octaver, on aurait tendance à vouloir rapprocher Clara Clara du duo venu de Providence à qui l'on doit quelques uns des meilleurs albums de noise rock de la décennie précédente, à savoir les maîtres absolus Lightning Bolt. La comparaison ne porte pourtant pas sur ce qu'on pourrait croire. Ce n'est pas tant que Clara Clara réutilise la puissance dévastatrice et l'ardeur qu'abritent chacune des doubles croches de leurs oncles d'Amérique en jouant aussi vite ou aussi fort, au contraire, des morceaux comme l'excellent One on One ralentissent parfaitement le rythme, et avec des syncopes ce qui ne gâte rien. Non, les enseignements qu'ils ont su en tirer se situent plutôt au niveau de deux idées primordiales : d'abord, celle selon laquelle les mélodies doivent être le plus important, et ensuite l'idée que si ces mélodies peuvent être pop à en crever, c'est encore mieux.
(Under The Skirt)
Quand on écoute l'ouverture de l'album, l'immense Paper Crowns, on peut se focaliser sur la lourde batterie ou la basse mastodonte, mais je ne retiens finalement qu'une seule chose pour ma part, toujours présente mais qui explose dans le grand final instrumental : une espèce d'émotion étrange, jouissive, qui met un sourire sur le visage, une espèce de joie de vivre énorme qui explose en quelques accords très majeurs sur lesquels s'envolent des mélodies qui sont presque émouvantes. Un sens de la pop évident qui vient ajouter beaucoup de cœur et de sentiments dans ce qui n'aurait pu être qu'une longue démonstration de force. Il y a presque un caractère victorieux, rempli de joie, dans le chant aigu et semi-hurlé de Virot à la fin de Versus Education of Artistic Peace ou dans les descentes harmoniques lumineuses de l'immense Lovers qui rendent cet album diablement efficace et étonnement positif, de la "feel-good distorsion" teintée d'un peu de mélancolie positive, qui semble par moment avoir du Deerhoof en elle, ce qui est tout à son honneur, d'ailleurs, tant que cela donne des riffs de basse parfaits comme celui de Under The Skirt. Et si certaines compositions sont parfois complexes, avec des variations insensées, il n'empêche que le tout est une véritable succession de tubes.
Finalement, la seule chose que l'on puisse reprocher à "Comfortable Problems," c'est sa tendance à se perdre par moments dans les méandres de son enthousiasme, et de se lancer peut-être un peu en vain dans des passages instrumentaux qui, s'ils ne sont jamais mauvais, sont parfois un tantinet trop longs, oh presque rien, juste quelques secondes de trop qui auraient pu être coupées, même s'il est paradoxal d'oser dire ça à propos d'un album aussi court. Sur le morceau titre par exemple, le groupe s'épanche sur certaines transitions avec une insistance et une répétition qui n'étaient pas forcément nécessaires. Mais ça, c'est exactement le genre de problèmes (confortables au demeurant) qui seront résolus avec le temps. Espérons que Clara Clara sorte bientôt un autre essai, oui, faisons-en la demande dès maintenant, pour confirmer encore plus certainement qu'ils sont en pleine mesure de rivaliser avec leurs cousins américains, et que "Comfortable Problems" permette enfin qu'on reconnaisse ce fait si rare : mesdames, messieurs, nous avons, issu de notre brave Hexagone trop sensible au raffut, un groupe qui sait utiliser avec talent les batteries qui fendent l'air et les décibels qui forment des accords majeurs surpuissants et distordus. Joie. Embrassades. Les gens sont aux fenêtres.
Emilien.
NB : Vous pouvez écouter cet album en entier et gratuitement ici. Et ensuite, achetez-le, soyez des cœurs.
écouté et approuvé !
RépondreSupprimerécouté, acheté, approuvé.
RépondreSupprimerEcouté l'album. Une ferveur,un réel engouement,une belle couleur poppy/post-rock ,de belles ritournelles complexes et entêtantes, des harmonies acidulées comme il faut,une voix haut perchée à la Animal Collective et quelques tubes potentiels dans l'écriture .On peut aimer ou ne pas aimer le côté "tapageur binaire parce qu'on ne sait pas jouer autrement et qu'il faut tout de même envoyer la purée" qui est LE tic français depuis trente ans de 99% des groupes français qui s'essaient à un rock basé sur l'énergie ; personnellement,ce tic me fait souvent souffrir . On peut encore retrouver à de très rares endroits ce défaut,s'il en est un, chez les frenchy Clara Clara mais dans l'ensemble , ils s'en éloignent clairement par cette volonté farouche de vouloir faire swinguer chacun de leurs morceaux, l'une des choses les plus rares dans la musique INDIE hexagonale.
RépondreSupprimerL'utilisation de claviers (bontempi,casio ?) cheaps,d'une basse semi-acoustique distordue improbable peut au départ quelque peu irriter l'auditeur au niveau du son,mais ce choix,c'est ce qui fait aussi leur identité, ce qui les forcent aussi probablement à ne pas aller vers la facilité et à progresser en termes d'écriture,à être plus authentiques dans leur rapport à l'instrument et ceci l'auditeur finit par le ressentir et plutôt trouver la chose poignante .
Vendu !
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