J'avoue qu'il est bluffant, Stephin Merritt. Si l'on compte ses albums solo, les projets parallèles The Gothic Archies, The 6ths et (surtout) le très bon projet synth-pop Future Bible Heroes, en plus du travail des Magnetic Fields, le total s'élève à une vingtaine d'albums (dont un triple) en vingt ans.
Pas mal pour un type dont la renommée ne dépasse pas les cercles de connaisseurs, et qui, contrairement à beaucoup de ceux qui vendent encore beaucoup après vingt années de carrière, n'a pas paumé une once de son savoir-faire. J'en connais peu qui peuvent se vanter d'en faire autant.
Comme chaque album de Merritt, "Realism" est une collection de petites étiquettes colorées, rangée dans un cahier portant le titre qui selon le groupe est sensé représenter non seulement le contenu mais aussi l'élément qui a le plus de chance de recueillir la critique des auditeurs. Je vous laisse deviner à quoi ressemblait le précédent album, sorti en 2008, et qui était titré "Distortion"... Les plus studieux parmi vous auront d'ailleurs remarqué une gémellité entre la pochette de "Realism" et celle de son prédécesseur, ça n'est pas innocent puisque les LP's ont été imaginés comme deux faces d'une même pièce, le monolithe bruyant étant naturellement suivi par une collection hétérogène de balades.
Le premier single, We are having a Hootenanny
Le premier single, We are having a Hootenanny
Ce nouvel opus est, de la bouche de Merritt, l'album folk des Magnetic Fields, et pas seulement parce qu'il est essentiellement acoustique mais aussi et surtout parce qu'il fonctionne sur le principe de la réappropriation chère aux artistes folks américains (pensez Woody Guthrie, John Jacob Niles, voire Bob Dylan tant qu'à faire), lorsque le terme avait encore un sens et que l'émulation entre les musiciens faisait avancer les choses de façon naturelle. Le mode d'écriture de Merritt a toujours été plus ou moins le même : ses chansons sont courtes (rarement plus de trois minutes), très proches de la formule indie pop originale (pensez aux courants twee et do it yourself du début des années 80), et les textes naviguent entre un terre-à-terre empreint de cynisme et un humour noir livré sous une enveloppe de naïveté et de tendre mélancolie. C'est plus ou moins toujours la même chose, certes, et il faut donc s'intéresser aux détails pour comprendre ce qui différencie cet album d'un autre et c'est ici que l'aspect folk de "Realism" est intéressant puisque c'est dans les arrangements qu'est toute la subtilité.
Sans dénaturer leur style ni avoir l'air de partir avec la caisse, le groupe chante ainsi la polka (The Dada Polka, en écoute sur votre gauche), introduit une chorale teutonne sur un morceau qui ne s'y attendait vraiment pas (Everything is one big Christmas Tree), barde les compositions de banjos, accordéons, et de très beaux arrangements de cordes (From a sinking boat). Claudia Gonson (pianiste et chanteuse attitrée) va même jusqu'à jouer d'un kinderklavier (piano-jouet) sur une chanson-dinette que l'on imaginerait aisément comme la bande-son idéale pour la lecture d'un recueil de nouvelles de Katherine Mansfield (The Doll's Tea Party). De la culture folk américaine (We are having a Hootenanny) au classicisme européen pré-Révolutionnaire (Seduced and Abandoned) en passant par le bagage colonial ramené jadis par les Beatles (Walk a lonely Road), les Magnetic Fields se réapproprient un large héritage et en profitent pour écrire quelques classiques supplémentaires.
Sans dénaturer leur style ni avoir l'air de partir avec la caisse, le groupe chante ainsi la polka (The Dada Polka, en écoute sur votre gauche), introduit une chorale teutonne sur un morceau qui ne s'y attendait vraiment pas (Everything is one big Christmas Tree), barde les compositions de banjos, accordéons, et de très beaux arrangements de cordes (From a sinking boat). Claudia Gonson (pianiste et chanteuse attitrée) va même jusqu'à jouer d'un kinderklavier (piano-jouet) sur une chanson-dinette que l'on imaginerait aisément comme la bande-son idéale pour la lecture d'un recueil de nouvelles de Katherine Mansfield (The Doll's Tea Party). De la culture folk américaine (We are having a Hootenanny) au classicisme européen pré-Révolutionnaire (Seduced and Abandoned) en passant par le bagage colonial ramené jadis par les Beatles (Walk a lonely Road), les Magnetic Fields se réapproprient un large héritage et en profitent pour écrire quelques classiques supplémentaires.
Sur le refrain de The Dada Polka, Merrit et Gonson chantent "Do something - anything. Do something, please." On peut choisir d'y voir une façon d'exhorter l'auditeur à faire quelque chose, lui aussi, s'il ne daigne pas danser avec eux la polka, plutôt que de s'embourber dans une écoute passive (pourquoi ne pas saisir une guitare par exemple ?), mais cette phrase est avant tout le leitmotiv d'un groupe qui n'a jamais cessé de travailler la musique au corps et qui reviendra très vite avec de nouvelles chansons, pas de doute là-dessus.
Joe
Belle review ! J'écouterai peut-être cet album après avoir réécouté 69 love songs.
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