C'était il y a un mois, au concert des Pastels et des Tenniscoats au Point Éphémère à Paris. Aucune première partie annoncée, mais tout de même un petit trio guitare électrique-contrebasse-batterie qui monte sur scène et se lance dans un morceau tout simple, un peu folk, un peu rock, un peu groovy. Ça ne paie pas de mine, c'est tout simple, 3 accords en tout peut-être, un petit "pa pa palapapa pala" qui revient plusieurs fois. Rien qui ne déplaît à première vue, mais rien qui ne renverse non plus. Et puis au fur et à mesure, on se rend compte que le morceau est vraiment très bon, et le concert d'avancer sans temps mort, sans moments ennuyeux, suite enthousiasmante de chansons très réussies. Celui qui chante et joue de la guitare ressemble à un post-ado anglais qui était président du club d'échec au lycée avec ses petites lunettes, mais on s'aperçoit qu'il est le cerveau, et qu'il maîtrise absolument tout. Et quand il demande gentiment au public de taper dans les mains sur des rythmes un peu déroutants ou de chanter avec lui en harmonisant (qui oserait demander ça à un public en première partie?!), tout le monde s'exécute, face à la persuasion cotonneuse de ce genre de Bartleby musical qui nous dit (en Français!) tout simplement "bon, vous faites bien ce que je vous ai dit d'accord?". Et le concert se finissant, on se rend compte qu'on a passé un excellent moment, tout simplement, et on est presque déçu qu'il n'y ait pas un morceau de plus, juste pour le plaisir.
(Longest Way Round)
Tout le bonheur d'écouter Morning Star est là et c'est tout aussi vrai à l'écoute du dernier album de ce groupe, "A Sign For The Stranger" qui sortira dans le courant du mois d'octobre. Morning Star, c'est le projet quasi-solo mais a géométrie variable de Jesse D. Vernon, un anglais venu de Bristol qui est un véritable vétéran de la scène indépendante et folk de la région depuis le début des années 90. Ami avec des membres de Portishead (il a fait un groupe et ouvert un studio avec Jim Barr, bassiste live du groupe), ayant joué dans plein de groupes et de scènes, il lance Morning Star en 1997, regroupant autour de lui plein d'amis qui jouent avec lui, et sort des albums qui passeront inaperçus mais recevront de bonnes critiques comme "My Place In The Dust" en 2001 ou "The Opposite Is True". Entre temps, il s'installe en France en 2005, et s'y trouve encore d'autres amis avec qui collaborer afin de travailler sur un quatrième album. Et finalement, après beaucoup de travail, voilà enfin "A Sign For The Stranger" un album curieux et assez génial dont le maître mot serait tout simplement la modestie. Morning Star, ou de la force de la modestie musicale.
Oh oui, il faut que vous fuyiez pendant qu'il en est encore temps amis rockeurs ou modernophiles : "A Sign For The Stranger" vous fera convulser tant cet album est simple, timide, aimable, tant il ne cherche pas à changer le monde de la musique, mais juste à offrir 9 morceaux absolument délicieux. Pas vraiment du folk, ni même de la pop, trop doux pour être du rock, l'album brasse plein d'influences afin d'en faire la somme dans une seule musique, à la fois familière et personnelle, qui va dans tout les sens. Qu'elle soit sautillante sur There Was A Man et sa guimbarde cowboy, entre la folk et la bossa-nova sur Golden Boy, ou bien dans des ambiances sombres et cinématographiques sur l'étonnant Rainbow Land, on est partagé entre une variété d'ambiances et de sentiments assez large. Et pourtant s'en dégage une homogénéité qui fonctionne très bien d'un morceau à l'autre : qu'ils soient remplis des gros claviers bizarres avec de la cowbell ou alors de violons qui s'envolent, le tout est cohérent et s'écoute comme un véritable petit voyage, d'abord surprenant puis rapidement très agréable. Et puis surtout, sur 9 morceaux, aucun ne fait tache, une succession de petits tubes, en particulier le formidable Longest Way Round dont les "Woo-hoo!" sont absolument formidables et qui est peut être l'une des choses les plus efficaces que j'ai pu entendre cette année. Un album qui s'écoute avec un plaisir aussi limpide, c'est assez rare pour être signalé.
(There Was A Man)
Et puis quand même, il y a cette capacité à trouver la ritournelle attachante qui fera la différence et donnera envie de faire tourner une chanson en boucle, le signe de la pop de qualité : quand, dans une ambiance ensoleillée façon "le twee-boy en vacances", il se lance dans un Guess It Was You avec ses "Banananana" (sic) tout doux, l'auditeur qui aime la pop fondra devant tant de légèreté maitrisée. Forcément, l'aigri sournois de base nous dira "c'est mou, c'est nul, c'est vide, c'est trop poli, ça sert à rien" : ces gens là passent à côté de l'essentiel, tapent dans l'air, travaillent sur la quadrature du cercle, le sujet n'est même pas là. Ce qui compte, ce sont ces morceaux, des morceaux simples, qui participent presque d'un certain artisanat musical, un savoir-faire pop qu'on acquiert en composant et en travaillant; cet album est formidablement ficelé pour peu qu'on le prenne sans mépris ni raillerie, il est fait avec un soin tout particulier, semble avoir été bien fignolé pendant des mois, des années, est rempli de petites idées qui ne se révèlent être ultimes qu'après plusieurs écoutes. En fait, cet album mesure votre degré d'ironie, le niveau de votre lassitude musicale, si oui ou non vous pouvez encore être touchés entre deux overdoses de nouveautés écoutées à la va-vite par une musique pop touchante et ouverte, que vous prenez pour ce qu'elle est. Si on a un cœur et toujours le même émerveillement pour les choses simples, on ne peut que trouver le morceau final, Gone Again, banale balade au piano avec quelques accords émouvants clichés à première vue, absolument magnifique avec son final façon chorale angélique qui pourrait durer toute la vie. Si on en a pas, tant pis, "A Sign For A Stranger" ne vous a rien demandé de toute façon, vous pouvez retourner vaquer à vos occupations. En fait, écouter cet album de Morning Star, c'est vraiment un plaisir, tout simplement, qu'on a envie de partager, le genre de groupe qui vous donne la bande-son idéale pour n'importe quoi, surtout les après-midis à ne rien faire.
Une anecdote toute simple : A la fin de son concert, ayant déjà oublié le nom du groupe qui n'avait été dit qu'une seule fois au début, mes amis et moi allons parler rapidement à Jesse, en encore sur scène, en train de ranger sa guitare. Très gentil, il nous remercie, il nous parle de ses projets musicaux, nous demande nos adresses mails pour qu'il nous tienne au courant de ses prochains concerts et nous montre une version physique inachevée de son album à venir pour que l'on puisse voir la pochette. La discussion avance un peu, et puis, juste avant qu'il parte, il fouille dans son sac une dernière fois, et nous tend son album à nouveau. Incrédule, nous le reprenons, et il nous dit juste "parlez-en autour de vous". Et puis il s'en va. Stupéfaits, nous nous demandons un instant quand il va revenir. Puis on comprend, ébahis. Il venait de nous filer gratuitement son prochain album qui n'était pas encore sorti, parce qu'il avait vu que ça nous avait plu et voulait qu'on se souvienne de lui même s'il n'avait rien à vendre. Il voulait tout simplement partager sa musique. Rien que pour ça, oui, bien sur que oui, la musique a besoin de gens comme Jesse D. Vernon, et a besoin de groupes comme Morning Star. Et des groupes comme ça, j'espère vraiment que je les défendrai toujours.
Emilien.
Nota Bene : Si vous habitez Paris, alors hé, n'hésitez pas à aller voir Morning Star dès cette semaine, à savoir Vendredi soir dans le cadre du petit festival indépendant Out Of The Blue organisé près de Belleville, un petit festival qui mérite tout le soutien du monde tant les gens qui s'en occupent font du bon boulot.
(cette chronique se situe dans le cadre de la nouvelle mini-rubrique "Microscope sur Microcosmes" a.k.a. "Supportez les petits groupes!" que C'est Entendu tiendra cette semaine et sans doute celle d'après et qui se consacrera de plus près à plein de gens qui méritent plus d'amour qu'ils n'en ont déjà).
Après le "allez vous faire voir" à tous ceux qui n'aiment pas Girls et maintenant ce "Oh oui, il faut que vous fuyiez pendant qu'il en est encore temps amis rockeurs ou modernophiles", égocentrique comme je suis, je me sens ATTAQUÉ, AFFAIBLI, MENACÉ !!!!
RépondreSupprimerHum. Sinon j'aime assez la première chanson de Morning Star, surtout à partir du moment où le gros clavier écrase tout dans le mix !
Duck Feeling.
Ne t'en fais pas, nous ne mordons pas. C'est notre côté vieilles mémés qui défendent leurs casse-croûtes face à des loubards sans foi ni loi. Ca fait de toi un loubard, un taulard, mais un crevard sur la bonne voie si tu aimes bien Morning Star :D
RépondreSupprimerOh, mais je dois dire que je ne pensais point du tout à toi je dois dire quand j'ai écris ça. Non, je pensais plutôt à une autre critique extrêmement agressive contre ce pauvre petit album que j'ai lu l'autre jour et que j'avais trouvée assez nulle.
RépondreSupprimerMilou on reconnait tes articles à mille lieues sous les mers. C'est pas péjoratif que de le dire!
RépondreSupprimer