C'est entendu.

mercredi 21 octobre 2009

[Fallait que ça sorte] Jim O'Rourke - Happy Days

Bien avant d'être pop et écoutable par les gens normaux, Jim O'Rourke a toujours été un artiste avant-gardiste sans concession, aux albums longs, difficiles, très intellectuels. Et pour celui qui voudrait connaitre mieux cette facette de Jim après avoir été doucement bercé par "Eureka", c'est un véritable casse-tête. Par où commencer ? Certes, un album comme "I'm happy, and I'm singing, and a 1, 2, 3, 4" peut être objectivement un excellent début pour comprendre, et même aimer cet autre O'Rourke. Mais mon cœur aura toujours une préférence pour un autre album expérimental sorti en 1997 : l'hypnotisant Happy Days.

D'un pur point de vue chronologique, "Happy Days" est un album très intéressant dans la carrière de Jim O'Rourke : après des années de recherches sonores en solo ou dans différents groupe (parallèlement à cette époque, Jim était membre de Gastr Del Sol, à savoir le meilleur groupe de "post-rock" dans le sens non lacrymal du terme et dont les albums "Upgrade & Afterlife" et "Camoufleur" sont deux chef d'œuvres de cross-over entre l'avant-garde et la musique populaire), Jim sort cette œuvre qui fait figure de point de passage entre le passé musical à tendance expérimentale de son auteur et la nouvelle direction beaucoup plus pop et accessible qui sera la sienne jusqu'en 2001 (sur le plan de ses albums sous son nom j'entends), et il est impossible de ne pas entendre sur cet album des bribes de ce que sera le chef d'œuvre de O'Rourke, "Bad Timing", qui sortira peu de temps après, la même année.

Pour l'homme résolument pop que je suis, la première écoute de "Happy Days", long morceau instrumental de 47 minutes et orienté drone les 3/4 du temps, avait été une expérience pénible. J'avais clam(s)é après une seule écoute, avec la froideur et l'impudence de mon âge ingrat, que cet album était un gâchis car il ne s'y passait rien ou presque, et qu'après les 10 premières minutes de guitare, nous n'avions rien d'autre qu'une note, un ré, répercuté ad nauseam sans aucune variation pendant le reste de l'œuvre, et je restais sur cet avis net et sans appel de l'album ennuyeux et prétentieux qui aurait été tellement mieux s'il avait été plus développé, moins poseur, bref moins chiant. Puis, longtemps après, j'ai lu une interview de Jim dans laquelle le journaliste parlait de cet album, expliquait qu'il l'avait écouté attentivement en espérant qu'il se passe quelque chose après l'arrivée du drone (c'est à dire exactement comme moi) et, ne s'étant rien passé, il demandait a Jim O'Rourke si c'était justement l'un des aspects voulu de l'œuvre. Ce a quoi Jim répondait :

"Oops! j'ai creusé ma propre tombe. En fait, ça change beaucoup. Faut l'écouter très fort! [Gotta' play it loud!]. Je présume que l'idée, d'un point de vue théâtral, c'était une auto-annihilation audible. Je voulais présenter une situation dans laquelle le musicien est englué par quelque chose de beaucoup plus important, de beaucoup plus grand que le fait de jouer simplement de la guitare. Disons seulement que j'ai l'impression d'avoir réussi quand quelqu'un me dit que cet album l'a déprimé. J'ai joué ce morceau en live 3 fois : j'étais sur scène à jouer de la guitare tout le temps, et l'on ne m'entendait pas 99% du temps. Mais je continuais de jouer et on me voyait jouer et, heureusement, des gens se demandaient 'mais putain, pourquoi est ce qu'il continue à jouer?' "

Partant de là, j'ai réécouté l'album, au casque, fort, très fort. "Gotta' play it loud" n'est ce pas. C'est peut être là que cela prend son sens. L'introduction est toujours aussi sublime. La guitare acoustique qui ne peut évoquer personne d'autre que John Fahey pourrait jouer éternellement ses lents arpèges. Le passage entre la 7ème et la 10ème minute du disque est totalement parfait, poignant et simple. Puis le drone arrive, frémit derrière la guitare. A partir de là, aucun changement, aucun intérêt ? Stupidité. "En fait, ça change beaucoup". Effectivement, ça change énormément sur 30 minutes. Le drone se fait et se défait, les harmonies varient, la basse disparait jusqu'au maelström final. Il faut l'écouter fort, pour entendre les premiers bourdonnements qui parasitent la guitare acoustique, pour entendre celle-ci noyée dans le son, et pour croire entendre, au fond, quelques notes échappées. Il faut l'écouter fort, pour entendre les irrégularités des sonorités du drone (fait avec une vielle à roue parait-il, mais utilisée façon Tony Conrad plutôt, le héros oublié !). Il faut l'écouter fort pour distinguer un son de flanger et les kilotonnes d'effets qui s'abattent sur la note persistante. Il faut l'écouter fort pour distinguer à un moment des notes discrètes qui modifient de manière dramatique l'harmonie de l'ensemble (comme dans les 20 dernières minutes particulièrement). Il faut l'écouter fort tout simplement pour être submergé et ces mots sont écrits par quelqu'un qui pourtant baille en écoutant n'importe quel album expérimental, mais qui ici est noyé dans le son. Et quand finalement, tout explose à la fin et se dilate dans l'air, et quand finalement la guitare réapparaît derrière tout ce boucan, toujours présente, et quand le son finalement meurt, nos oreilles sont remplies du plus beau des bruits et le silence qui vient après semble être absolument abyssal.

Cela n'excuse toujours pas le fait que cet album est peut être un poil trop long et que quelques minutes en moins n'auraient pas été de refus. Cela n'excuse toujours pas non plus le fait qu'un travail plus poussé sur ce combat guitare/drone aurait pu être fait avec brio et de manière bien plus approfondie, bien que le sujet n'était pas là du tout. Mais la réécoute m'a permis de me corriger, et de me rendre compte que "Happy Days" est une œuvre réussie, belle, profonde, a la fois sombre et colorée, à la fois infiniment statique et pleine de vie.


Cependant, la question se pose toujours : qu'est ce que Fonzie vient faire là dedans?






Emilien.

3 commentaires:

  1. J'ai pas attendu la fin de ta critique que je suis déjà allé me le procurer! C'est pile le genre de trucs que j'aime :)

    (oui je sais que tu en avais déjà parlé il y a quelque temps, il était dans ma liste de trucs à écouter, mais à l'époque j'avais écouté d'autres trucs d'O'Rourke qui m'avaient déçu et j'avais fini par l'oublier! je vais réparer ça de suite.)

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  2. J'espère que ça te plaira Lamu. Je dis dire que des albums plus expérimentaux de l'ami O'Rourke, c'est celui-ci qui revient le plus souvent sur ma platine, il est surpuissant. je me suis fait des soirées entières ou je me l'enchaînait 3 fois de suite. Maman hurlait, évidement, mais moi j'étais drôlement bien.

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