C'est entendu.

jeudi 2 juillet 2009

[They Live] "Ariel Pink m'a réveillé", Siestes Electroniques 2009 Chapitre Un

On m'a laissé entendre que la première soirée des Siestes Électroniques, à laquelle je n'ai pu assister, avait été plutôt expérimentale, en ce qui concerne Alva Noto, et plutôt chiante en ce qui concerne les autres groupes. Je fais confiance au "live report en deux mots, trois mouvements" de mon amie Bob (appelons-là Bob).
Lors de la seconde soirée, je retrouvai donc Bob du côté du Théâtre Garonne, situé aux alentours du quartier Saint Cyprien, à Toulouse, pas loin de Garonne, pour une soirée sensée être moins tournée vers l'électronique expérimentale que dans la direction de la pop music et de la danse. Étant donné le retard inhérent à chaque évènement musical toulousain, retard qui semble presque être devenu un membre à part entière de chaque soirée (parfois on entend quelqu'un murmurer "Tiens, le retard est encore de la partie ! Celui-là on aimerait qu'il ne vienne plus aux soirées !"), j'avais une heure et demie à tuer avant que la musique ne soit là. Je flânai donc parmi les spectateurs présents, qui prenaient une collation dans l'antichambre à ciel ouvert des ateliers du Théâtre : une majorité de personnes entre deux âges, plus proches de la trentaine que du lycée, adulescents, buveurs de bières, les (nombreuses) filles sapées comme des papesses (robes fraîchement achetées en soldes) ou bien les types en uniformes indés (t-shirts de groupes, pantalons colorés etc). Il faut savoir qu'à Toulouse, comme partout certainement, tous se connaissent. Qu'ils fassent partie d'une association organisatrice de concerts (La chatte à la Voisine, Friends of P, 2000 etc), ou gravitent autour des groupes de la scène locale, il y a peu de chance que vous, citoyen toulousain lambda adepte de concerts, soyez à plus d'une ou deux personnes de connaître le gratin du monde indé local. Je les connais tous de vue, c'est un fait : ils sont là à chaque concert pop, rock, indé, folk, électro, punk ou rétro. Il y a sans doute plus chez ces gens que ce que les apparences laissent paraitre, mais si cette face immergée de l'iceberg existe, je ne l'ai jamais vue poindre aux travers des eaux alcoolisées dans lesquelles ces gros glaçons croisent. Je n'ai ainsi d'eux que la vision assez peu glorieuse de gens moins intéressés par la Musique (en tant qu'Art) que par les occasions de s'amuser et de boire (un maximum) que représentent les concerts. En cela, nous ne pouvons faire bon ménage. Je préfère la musique à la danse ou la bière. Guilty as charged d'aimer la musique ! Quoiqu'il en soit, j'y reviendrai tout à l'heure.

Le premier des trois groupes à jouer, Ariel Pink, était installé dans la grande salle, munie de gradins, orientés dans la direction d'une scène non surélevée, dans la tradition des spectacles théâtraux donnés ici, ce qui permet au public d'apprécier visuellement chaque détail d'un show.
Ma première surprise fut celle de la découverte du look d'Ariel Rosenberg, que je n'avais jamais googlé, et que j'imaginais être le (très) jeune et chétif semi geek californien que ce dont on m'avait raconté à propos de sa musique laissait transparaitre (wikipédia m'indiquera par la suite qu'il avait fêté ses 31 ans la veille). C'est un échalas de taille moyenne flanqué de cheveux mi longs et au visage peu juvénile, vétu d'un long t-shirt blanc et d'un pantalon couvert d'une jupe qui entra sur scène, un sac en toile vide en bandouillère.

Entouré de quatre musiciens (basse, batterie, guitare et le bras droit Kenny Gilmore aux choeurs, à la guitare et aux claviers), Rosenberg quitte très vite la "scène," et s'avance auprès des gradins, hors de la lumière, où il restera tout du long, laissant son groupe au grand jour. Cette première attaque envers les conventions, largement plus intéressante que le look de jeune fille en fleur, commençait sérieusement à titiller ma curiosité lorsque les premières notes furent jouées, à un volume indécemment élevé pour une salle à l'acoustique intéressante et pour un public assis qui plus est. Ma seconde surprise fut de constater que contrairement aux enregistrements que j'avais pu trouver sur le Net, la musique d'Ariel Pink n'est pas refermée sur elle-même : elle se déploie. Le son lo-fi véritablement affreux et terriblement à la mode qui caractérise les disques du groupe semble n'avoir jamais existé lorsque naît la surf pop psychédélique noyée dans un océan (peu Pacifique) de réverbérations et d'échos en tout genre que produit Ariel Pink.

J'aime beaucoup VOIR, en écoutant une musique, l'endroit d'où elle vient, ce qui m'arrive par exemple avec des groupes comme Low (Minnesota), Blur (Londres) ou encore les Kings of Leon (Tennessee), parmi tant d'autres exemples. C'est un kiff énorme, et peut-être ressentez-vous la même chose. Dans le cas d'Ariel Pink, ce n'est pas l'ouest Américain, ni la Californie, mais bien les plages Californiennes (c'est extrêmement précis) qui vous sautent aux oreilles dès les premières notes : les vagues, le ressac, les planches de surf, vous entendez tout. La réverbération à l'extrême et les sifflements et continuels "Pfschhhhhhhhhhhhhhhh" psalmodiés par Rosenberg (qui peuvent finir par se révéler lassants, cependant) semblent être l'invocation du Dieu Plage sur fond d'échappatoire mystique (les changements de rythmes sont fréquents) que le groupe s'efforce de superposer à des éléments très accrocheurs (des refrains, des choeurs, des gimmicks mélodiques). Ariel Rosenberg est en cela un intéressant successeur à Anton Newcombe (The Brian Jonestown Massacre), ex Roi de la pop mélodieuse et psychédélique californienne, déchu depuis My Bloody Underground (l'année dernière), un disque fixant avec des jumelles et de l'envie ce qu'atteint Ariel Pink (du moins en live).
A ce propos, l'on pourrait discourir une fois de plus sur le sujet du marché de la musique, et dire qu'Ariel Pink, à escient ou pas, travaille à enfoncer toutes les portes toujours closes de l'idiotie de ceux qui pensent que le marché se porte mal à cause d'Internet, en sortant une tripotée de disques sous-produits, au son minable, et en donnant en concert des prestations remarquables, mettant en exergue le fait que le marché n'a pas besoin des disques pour se porter bien (ce que la vieille garde française, Maxime LeForestier en tête, nie de toute son âme, tant il est vrai que tous ces vieux types tournent peu et vendent les places à des prix exorbitants, fin de la parenthèse).

Ariel Rosenberg, sa jupe et son sac en bandoullière (via EtherReal)

L'apothéose de ce concert vint cependant du public. Les fameux gens précités se levèrent assez vite de leurs places pour se placer sur les côtés de la scène, tapant des mains et remuant gentiment leurs derrières mus par l'alcool, avant que l'un d'entre eux (appelons-le Jacques, puisque c'est son prénom) ne s'avance en direction d'Ariel, au centre de l'avant-scène, et n'interpelle les autres danseurs, entrainant l'invasion de toute l'avant-scène par un bon tiers du public, remuant tout autour de Rosenberg, ce dernier paraissant à la fois amusé et étranger à tout ce remue-ménage. Ce groupe de personnes alcoolisées, semblant préférer l'ambiance à la musique, et qui ironiquement apportèrent une dimension supplémentaire au show d'Ariel Pink grâce à leur envie, ne manqua pas de me sauter aux yeux et de me ravir. C'est tout le dernier tiers du set, ainsi que le rappel qui fut ainsi passé sans barrière entre le public et le groupe, la première ayant été brisée par Rosenberg lui-même, avant que Jacques ne rompe la seconde.

Il y avait longtemps qu'un concert ne m'avait pas tant diverti, amusé, surpris et même réveillé. Dans le cadre d'un festival consacré à l'électronique, je savais alors que le moment fort avait été la prestation d'un groupe pop, à l'attitude bien plus "punk" que tous les groupes que j'ai pu aller voir depuis au moins cinq ans.

Après cela, Anoraak (signature du collectif Valérie) commença très vite son set dans l'autre salle (aucune place assise, histoire que les gens dansent). Éreinté et peu convaincu par la perspective de danser sur des sons électro empreints d'italo disco face à un type derrière une platine, surtout après la performance d'Ariel Pink, je quittai les lieux, laissant Bob se démener (elle me racontera par la suite n'avoir pas été chamboulée plus que de raison par le-dit Anoraak) et regagnant mes pénates avant de m'attaquer aux concerts en journée sur la Prairie des Filtres.

5 commentaires:

  1. Peut-être ton meilleur article à ce jour. Un pur délice à lire. Et je mâche mes mots.

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  2. Merci beaucoup ! Ca me touche d'autant plus que c'est ma première chronique de concert, et tant il est vrai que c'est souvent ultra chiant à écrire/lire une chronique de concert.

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  3. Ariel Pink est tout simplement ce qui est arrivé de mieux à la musique depuis... euh depuis... oulala... Bowie? Cure? Devo?

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  4. Vraiment bel article oui, j'adore le passage sur la populace indé toulousaine. Je suis étonné de pas l'avoir commenté avant.

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