C'est entendu.

mardi 17 janvier 2012

[Vise un peu] Prurient - Bermuda Drain

Dominick Fernow est un homme qui regarde des photos de chaises électriques avec un ami dans un bar miteux le jour de la saint Valentin. Dominick Fernow est le fondateur du label Hospital Productions, qui édite disques et cassettes abrasives et hurlantes de Kevin Drumm ou Wolf Eyes, mais aussi le groupe de post-punk/synth-pop/cold wave Cold Cave. Dominick Fernow fait justement partie des membres de Cold Cave, ainsi que du groupe de black metal Ash Pool, et possède un projet entre industriel et techno minimale du nom de Vatican Shadow. Mais notre homme est avant tout un musicien de noise music, connu sous l'alias Prurient ("lubrique" en français) pour ses albums violents, synthétiques, se basant volontiers sur des thèmes glauques et dérangeants. (On vous en avait déjà parlé, ainsi que de Kevin Drumm et Wolf Eyes d'ailleurs : si vous avez raté l'article ou que vous voulez vous rafraîchir la mémoire, c'est ici !)

Dominick Fernow a plutôt bonne presse parmi les fans de noise music… ou plutôt était-ce le cas jusqu'à présent. Car "Bermuda Drain" a provoqué de nombreux froncements de sourcils chez les aficionados. Il faut dire que cet album, ostensiblement hybride, est nettement plus accessible que les précédents : mélodies et percussions évidentes, synthés plus présents que le bruit, des tendances dark wave/cold wave qui évoquent les années 80, toujours un son proche des power electronics mais également ici quelque chose de dancefloor — ce qui n'a pas été du goût de tout le monde. "Bermuda Drain" n'est pourtant pas un changement de style complètement inattendu : ces influences et mélodies synthétiques pouvaient déjà s'entendre sur d'autres albums de l'artiste, comme "Cocaine Death" ou "Pleasure Ground"… Elles sont simplement passées au premier plan ici, échangeant leur place avec les déferlantes de bruit.


(A Meal Can Be Made)

Ce qui n'est pas forcément une mauvaise idée, puisque Prurient — comme tout bon artiste noise ? — n'a pas que des saignements de tympans à offrir aux auditeurs. Pourquoi ne pas mettre en avant les ambiances, mélodies et instruments qui ont toujours (ou presque toujours) fait partie des compositions de l'artiste ? C'était un coup à tenter, et le résultat a effectivement de quoi séduire qui aime à la fois le bruit et la plupart des genres qui commencent par "synth" et/ou finissent par "wave" : le spoken word aux accents glauques de Many Jewels Surround The Crown, sur sa mélodie rétro évoquant à la fois la vie trépidante des villes et quelque chose de sordide, suivi du tube chargé à bloc A Meal Can Be Made et du bel ambient évoquant (au niveau du son) une chambre d'hôpital paisible au milieu de l'apocalypse sur Bermuda Drain sont un départ du tonnerre. Pas de doute pour moi : Fernow prouve sur ces pistes que son nouveau son a de quoi faire mouche.

Aussi ne manque-t-il ne manque pas grand-chose à "Bermuda Drain" pour être une réussite totale ; que l'on considère ce disque de synth-noise comme un album de dark wave particulièrement agressif, de noise particulièrement pop et mélodique, ou que l'on se fiche des genres et des classifications pour simplement écouter la musique, le disque ne pêche ni par ses idées ni par ses compositions. L'album est intéressant et accrocheur… et pourtant il y a quelque chose de théâtral, de cliché — peut-être volontairement — mais aussi d'un peu guindé dans certains passages, comme sur Palm Tree Corpse où l'artiste répète, d'abord en parlant, puis en hurlant, "If I could / I would take a tree branch / and ram it inside you / … but it's already been done" (la phrase aurait atteint son but prononcée une fois ; répétée et criée, elle tourne presque au ridicule). La seconde moitié du disque est généralement moins impressionnante que le première, et il manque quelque chose aux deux dernières pistes pour être aussi efficaces qu'elles le voudraient — ce qui peut faire regretter l'effet qu'il y avait sur "Pleasure Ground", dont l'écoute des deux premières pistes était quasiment une épreuve, et dont le final Apple Tree Victim faisait l'effet d'une révélation a(ba)sourdissante.


(Palm Tree Corpse)

Ces bémols n'empêchent pas l'album d'être une écoute réjouissante, avec de multiples influences bien intégrées (les rythmes dansants sur There Are Still Secrets, les mélodies subaquatiques sur Let's Make a Slave…) et un son personnel et accompli. Cet album était un pari assez risqué, celui de mettre à nu ce qui n'était auparavant qu'un accent secondaire dans un style qui avait fait ses preuves ; il est toujours réjouissant de voir un tel projet réussir.

Dominick Fernow recommande d'écouter "Bermuda Drain" au casque, en conduisant à travers des tunnels en Europe ; la sécurité routière risque d'en pâtir, mais ça doit faire son effet.


— lamuya-zimina

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