C'est entendu.

jeudi 15 décembre 2011

[Vise un peu] Skinny Puppy - hanDover

Pas toujours facile de vieillir quand on a été un groupe majeur de musique nouvelle, violente et/ou provocatrice. De (trop) nombreux groupes ont fini par se reposer sur leurs lauriers et par s'assagir, leur son par s'émousser au fil des ans, et ont tout simplement perdu l'envie de choquer leurs auditeurs. Ce n'est pas le chemin qu'aura suivi le groupe d'électro-industriel Skinny Puppy : leur son aura évolué dans les chocs, la violence, l'inattendu et l'innovation depuis 1984, inspirant de nombreux autres artistes (vous saviez que Down In It de Nine Inch Nails était basé sur Dig It ?). Tout allait bien jusqu'à ce que le groupe se sépare en 1996, suite à une avalanche de catastrophes et de tragédies (incendie, tremblement de terre, tensions, abus de drogues, départ du producteur… et décès de Dwayne Goettel). cEvin Key et Nivek Ogre n'ont pas cessé de faire de la musique pour autant, et ont poursuivi leurs nombreux side-projects, souvent aussi intéressants que Skinny Puppy et même parfois davantage (Download, ohGr, The Tear Garden…) — avant de décider de redonner une seconde vie au chiot famélique en 2003. Sauf que leur nouveau son ne faisait pas l'unanimité : plutôt que de cracher des tubes déformés et des rythmes mécaniques couverts de bruit aux amateurs d'expérimentations, Skinny Puppy semblait vouloir s'attaquer aux styles de "musique jeune" à la mode. "The Greater Wrong of the Right" était un album intéressant mais plus d'un fan a grimacé en entendant le rap sur Pro-Test (accompagné de sa vidéo ridicule). Quant à "Mythmaker"… il était laid, voilà tout. C'est donc avec une certaine méfiance que j'ai d'abord écouté "hanDover".

Et là, surprise : ce dernier album est un disque de pop particulièrement bien conçu. Et d'électro-indus expérimental qui ne fera honte ni à Key ni à Ogre.


(Ovirt)

Certes, j'exagère un peu en parlant de "pop" — vous aurez du mal à faire avaler ce disque à votre frère fan de britpop ou à votre sœur fan d'indie rock (rien que la voix d'Ogre les repoussera sans doute) ! Mais tout de même : la grande majorité des pistes ici sont des chansons accrocheuses et (relativement) immédiates, dotées d'instrumentations riches et travaillées, de quoi attirer l'attention à court autant qu'à long terme (et faire de "hanDover" une bonne porte d'entrée pour découvrir le groupe). Il y avait déjà eu quelques pistes de ce type chez Skinny Puppy dans le passé (on peut citer, toutes proportions gardées, Testure sur "VIVIsectVI" ou le tube Tormentor sur "Too Dark Park") ; mais plus qu'un retour aux sources, "hanDover" ressemble à une synthèse de la "pop indus" d'ohGr (le projet solo de Nivek Ogre) et des projets électroniques (parfois IDM ou techno) de cEvin Key. C'est comme si le groupe, pour faire oublier ses faux pas récents, avait voulu repartir sur des bases "saines" et les points forts actuels de ses deux membres principaux. Et ça marche : si les expérimentations brutales et bruitistes des années 80 ne sont plus de mise, ce nouveau cocktail électro-techno-rock industriel a bien meilleur goût que les mélanges légèrement racoleurs qui précédaient — le groupe ne donne aucunement l'impression d'avoir vieilli !


(Cullorblind)

Les quatre premières chansons du disque sont étonnamment (et agréablement) "humaines" voire même mélancoliques, allant jusqu'à la tristesse profonde sur AshAs — puis "hanDover" prend un demi-tour complètement inattendu sur Gambatte, la transition étant presque l'équivalent de quitter un enterrement et de se retrouver au beau milieu d'une salle d'arcade. À partir de là, les surprises s'enchaînent : les rythmes techno d'Icktums, l'étonnante étrangeté de Point, et ce qui ressemble à un craquage complet sur Brownstone, délire angoissant déformé par tous les bouts qui abandonne (pour une fois) toute mélodie et raconte une histoire à laquelle je n'ai pas compris grand chose d'une voix torturée. (Passage mémorable ou grand n'importe quoi : les avis divergent, en tout cas je n'ai jamais rien entendu de tel.) Après l'excellente Vyrisus, Village apporte un peu de violence sale, massive et directe sur l'album (sans pour autant perdre en mélodie — Ogre a déjà prouvé sur "weLt" qu'il savait combiner les deux sans problème), et l'album se finit sur la drill'n'bass atmosphérique de NoiseX… OK, pas si pop que ça finalement, "hanDover". Ou plutôt loin d'être seulement pop, tout comme l'album est loin d'être seulement industriel, seulement électronique ou seulement expérimental. Et surtout, en dehors de Brownstone (et encore, ça dépend de vos goûts), tout y est réussi.


(Icktums)

Si ce qui marchait à merveille sur "Mind: The Perpetual Intercourse" ou "VIVIsectVI" était le jeu de résistances entre le côté brutal, sauvagement mécanique et fascinant des sons et les mélodies cachées derrière, ici c'est plutôt leur combinaison (j'hésite à dire "harmonieuse") qui fait mouche. Plutôt que de jouer la surenchère d'agressivité, le groupe a eu l'intelligence de trouver d'autres manières de surprendre l'auditeur ; "hanDover" cultive ainsi le psychédélisme et une certaine "belle laideur" dans le songwriting avec une identité sonore changeante et forte. Le résultat dépasse largement les attentes qu'on pouvait avoir (oserais-je dire que c'est actuellement l'un de mes albums préférés du groupe ?). Longue vie à ce vieux clébard de 27 ans, de nouveau le bienvenu pour venir expectorer ses miasmes auditifs dans les foyers !


— lamuya-zimina

(voire un peu plus)

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