C'est entendu.

vendredi 16 décembre 2011

[Fallait que ça sorte] La complainte du Roi Bourdon, Deuxième Partie

1993 : "Earth 2"

Brrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr…………………………………………….


Pendant 73 minutes. Le temps que le format physique du CD offre à Dylan Carlson pour développer sa vision gigantesque. Une musique à perte de vue. Non pas une musique pour les grands espaces, mais plutôt une musique qui ouvre de grands espaces, des perspectives démesurées, des sensations d’infini. Tout y est monumental. La pochette déjà. Une mince langue de terre verte et plate où se devine la courbure de la planète, sur laquelle pait un troupeau indéfini, près d’une simple tente, présence humaine ramenée à sa portion congrue. Et un horizon bleu profond et immense, comme un monochrome de Klein. Un seul motif, et des millions de couleurs à l’intérieur. La guitare de Carlson, branchée sur le noyau de la planète, se secoue les puces avec lourdeur dans un océan de fuzz et de bourdonnements. Une ritournelle de riffs subsoniques qui dessine des motifs répétitifs au cœur de la distorsion, comme un lion titanesque qui tournerait lentement dans sa cage en rugissant. Carlson n’est accompagné que d’un simple bassiste cette fois, empilant à deux des couches de drones les unes par dessus les autres, chaque riff qui s’écroule semblant apporter une nouvelle strate de son se noyant dans les autres. Seven Angels, sur près d’un quart d’heure, est un ramonage d’introduction contre lequel toute résistance est futile.



(Teeth of Lions Rule the Divine)

Plus le rythme ralentit, plus le son semble enfler jusqu’à prendre des proportions écrasantes. Et le rythme ne cessera de ralentir pendant 27 minutes encore, Teeth Of Lions Rule The Divine, où la présence des drones devient physique, littéralement. Quelque chose est là, qui fait trembler les murs et traverse les organes, fait vibrer chaque cellule du corps, entre en résonance avec les terminaisons nerveuses. Au dos de la pochette, des témoignages apocryphes décrivant l’expérience comme une thérapie "Mes migraines ont disparu !" "Je me sens très en alerte et cependant très calme… Formidable après une dure journée." Humour pince sans rire de Carlson, qui a cru bon aussi de sous-titrer son opus "special low frequency version" (sans déconner ?), ou profession de foi déguisée ? Le son de "Earth 2" place l’auditeur sous cloche, efface le monde extérieur à coup de drones, impose une lourdeur gravitationnelle et provoque un abrutissement des sens, mais sans jamais agresser. Il s’insinue de fait dans tout l’organisme, l’invite à s’abandonner aux vibrations primales, à fermer les yeux et halluciner des couleurs inédites, entendre des mélodies cachées au fond de son être et plonger dans le monde intérieur. Est-ce la mer, le vent ou un antique didgeridoo qui résonne dans nos crânes ? Sont-ce vraiment une guitare, une basse et quelques amplis, ou l’esprit de vieux indiens dans la plaine priant des dieux évaporés ? Sifflements, bourdonnements, vibrations, vagues de son et couleurs en myriades, telles sont les sensations provoquées par la complainte du Roi Bourdon, qui parfois fait ressurgir quelques riffs puissants au dessus de l’éther, pour mieux y replonger.

(crédit : Sarah Barrick)

Quand arrive Like Gold and Faceted, le ralentissement est tel qu’on frôle l’immobile, le drone pur, pourtant toujours zébré de temps à autre d’ondes, de lacérations et de percussions très lointaines, perdues dans un écho en attente, hypnotique et anesthésique, qui n’aura de raison de s’arrêter que celle des limites du support physique où il a été gravé, après une demie-heure suspendue. La musique immobile parce que trop lourde, l’inertie stoppée par une masse trop monstrueuse, le monochrome sonique, à l’intérieur duquel pourtant subsiste pour celui qui voudra les voir une infinité de variations, de motifs en constante mutation comme à la surface du Soleil. Il est permis de s’y perdre, de dormir, de s’y réveiller, de s’y pelotonner loin du monde. Oublier les drogues, oubliez l’alcool. Écoutez la complainte du Roi Bourdon.


D.E.L.

2 commentaires:

  1. T'as pas compris, c'est l'album itself l'aspirine. C'est meilleur qu'un Lexomil.

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