C'est entendu.

vendredi 27 mai 2011

[Fallait que ça sorte] Diamanda Galás — Plague Mass


Le SIDA est-il une punition divine ?

Si cette idée vous paraît ridicule, si elle vous choque ou vous fait grimacer, tant mieux. L'artiste grecque Diamanda Galás, elle, y a réagi plus fort que ça : elle a organisé l'une des performances les plus glaçantes, les plus traumatisantes qu'il m'ait été donné l'occasion d'entendre. "Plague Mass" (la messe du fléau) fut une performance donnée à la cathédrale Saint-Jean le Divin à New York en 1990, au grand dam de nombreux croyants : Galás, à moitié nue et couverte de sang, joua, chanta, récita, hurla des passages de la Bible, des textes originaux (*) ou repris (on retrouve notamment le poème "Cris d'aveugle" de Tristan Corbière), lors d'un sermon infernal en cinq ou six langues.
"In that house there is no time for Compassion
there is only time for confession
And on his dying bed they asked him
Do you confess?

And on his dying bed the dirty angels
flying over him like buzzards asked him
Do you confess?
Do you confess?
"


(There Are No More Tickets to the Funeral)

On cria au blasphème. On était en droit de le faire : Galás ne fait aucune concession, et l'image qu'elle donne de la société et de la religion face à l'épidémie et ses victimes est réellement effrayante — c'est le portrait d'une cruauté implacable, d'un "jugement" ignoble, d'une absence totale de miséricorde. De la récitation du chapitre 15 du Lévitique sur les hommes "impurs" (texte qui aurait pu paraître obsolète depuis bien longtemps, mais qui conserve malheureusement tout son sens quand on pense à la réaction de certains) aux derniers instants d'un malade délirant sur son lit de mort (Philip-Dimitri Galás, le frère de Diamanda ?), à une confession forcée, vindicative et abjecte, il y a de quoi avoir la nausée (et prendre peur de ses congénères, voire de la possibilité d'une telle cruauté divine). Peu importe le fait que les comportements visés ne soient pas généralisés : ces textes sont trop vifs, font trop mal, la réalité de la maladie et de la mort y est trop palpable pour tempérer quoi que ce soit, et des lignes qui pourraient être taxées de mauvais goût grotesque dans un autre contexte ("Give me sodomy or give me death !") deviennent cinglantes et pertinentes dans leur obscénité.


(This Is The Law of the Plague)

Et surtout, il y a la voix de Diamanda Galás, qui couvre trois octaves et demie, est immédiatement reconnaissable et paraît habitée d'identités innombrables. Qu'elle récite simplement les textes a capella de sa voix grave, parte dans des cris de détresse stridents, incarne la perfidie ou l'innocence, le résultat est poignant et souvent terrifiant. Les cris de la première piste, There Are No More Tickets to the Funeral, ne sont d'ailleurs pas les pires (ils finissent par acquérir — bien qu'on puisse avoir du mal à le croire — une certaine beauté au fil des écoutes) ; ce sont plutôt les visions soudaines dans I Wake Up and See the Face of the Devil, d'une clarté effroyable, et les glossolalies hallucinantes qui reviennent à plusieurs reprises dans la performance qui font trembler. Certains croiront sans doute écouter une folle ou une possédée (et ce n'est pas la pochette du disque, ci-dessous, qui démentira cette impression).


(I Wake Up and See the Face of the Devil)

On ne peut écouter "Plague Mass" qu'à un volume élevé et en entier ; et chaque piste est un couteau dans une plaie béante. Tant et si bien qu'on ne s'attend pas à entendre, juste avant l'épilogue (une reprise de There Are No More Tickets to the Funeral : rien n'est fini, le disque est d'ailleurs sous-titré de deux dates, dont l'une est mystérieuse : "1984 — End of the Epidemic"), une réinterprétation de la traditionnelle Go Down Moses : Let My People Go, seule véritable "chanson" de cette messe infernale, où Diamanda paraît cette fois vulnérable et humaine ("Oh Lord Jesus, do you think I've served my time ? The eight legs of the Devil now are crawling up my spine. / Oh Lord Jesus, here's the news from those below : The eight legs of the Devil will not let my people go"). Cette interprétation, surtout par contraste avec tout ce qui la précédait, n'est plus seulement inquiétante mais surtout déchirante de tristesse.

"Plague Mass" est un cri, un cri de rage, de haine, de détresse ; un cri au nom de toutes les victimes, mais aussi une vision intense et personnelle. Un cri monstrueux, infernal, inhumain, qui dénonce la perte d'humanité au nom du Dieu cruel ou Deus absconditus — prétexte de quelques-uns — un cri pour l'humanité, au final. Difficile à écouter, mais dur aussi d'y rester insensible.


— lamuya-zimina


(*) : Plusieurs des compositions sont tirées de la trilogie "Masque of the Red Death", composée de "The Divine Punishment", "Saint of the Pit" et "You Must Be Certain of the Devil".

4 commentaires:

  1. bonjour
    d'où vient votre pseudonyme avec lequel vous signez vos articles?
    merci

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  2. Bonjour !
    Ça vient de nulle part, j'ai juste assemblé des syllabes. : )

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  3. hé bien c'est très joli je trouve : )

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