S'il est un groupe en mesure de résumer à lui seul l'évolution de la musique ambient et de ses nébuleuses ces quelques dernières années, il s'agit probablement de Deaf Center. Né de la collaboration entre deux amis de longue date, les norvégiens Otto A. Totland et Erik K. Skodvin, le projet a marqué les esprits en 2005 avec la sortie du troublant "Pale Ravine", sorte de masse d'air glaciale difficilement définissable à l'image de sa pochette grise et mystérieuse.
Depuis que leurs chemins se sont croisés puis éloignés, chacun a évolué dans une sphère différente: Skodvin en perfectionnant son dark ambient bruitiste sous le pseudonyme de Svarte Greiner, Totland en formant notamment avec Huw Roberts le duo d'inspiration néoclassique Nest. Écrit et enregistré en seulement quelques jours par Nils Frahm dans son studio berlinois, le très attendu "Owl Splinters"marque donc les retrouvailles – bien que fugaces – sur le label Type du duo scandinave. Reste à savoir si la magie à laquelle ils nous ont habitués par le passé a su opérer à nouveau.
Dès les premières notes de l'album – autrement dit, les nappes de violoncelle délicieusement dissonantes de Divided – il apparaît comme évident que si le ton demeure toujours aussi noir, le son du groupe a gagné en chaleur et en envergure grâce à l’utilisation de réels instruments à cordes, ce qui contraste nettement avec la texture plus digitale de leurs premiers enregistrements. Une fois l’étonnement évanoui, on ne peut cependant s’empêcher de regretter ce parti pris qui, bien qu’il fût probablement la conséquence d’un manque de moyen, conférait alors à la musique de Deaf Center une identité sonore particulière dont s’est manifestement inspiré Burial pour certains passages d’"Untrue".
(The Day I Would Never Have)
Ce que le duo perd en singularité, il le sacrifie au bénéfice de l’expressivité et d’une tension toute maitrisée à la manière d’un Ben Frost comme en témoignent The Day I Would Never Have, pièce centrale du disque qui fait passer en un rien de temps l’auditeur de l'anxiété à la terreur dans un long crescendo plaintif ou encore le plus lumineux Close Forever Watching qui acquiert une soudaine gravité en une seule note de piano. Ce dernier est d’ailleurs utilisé à plus ou moins bon escient sur le reste de l’album ; on retrouve notamment sur "Owl Splinters" deux courtes pistes de piano solo qui, bien qu’elles soient plutôt jolies, dissonent avec le reste tant elle semblent ne mener nulle part. Car ce qui participe à la magie de Deaf Center, c’est d’abord l’équilibre fragile qui naît du dialogue entre les deux amis à la sensibilité musicale si opposée et pourtant si complémentaire.
Il suffit de jeter une oreille à "Twin", composition de Erik K. Skodvin livrée en bonus de l’édition vinyle et décrite comme une réinterprétation personnelle de l’album, pour comprendre toute la portée de cette collaboration ; c’est un disque plein de noirceur comme Skodvin sait (très bien) les faire mais qui manque de dimension à l’inverse d’un "Owl Splinters" qui frôle la grâce à plusieurs reprises, en dépit de quelques fausses notes. Qui sait si l'on aura droit un jour à une nouvelle collaboration des norvégiens ? Pour l'instant, il semblerait que Deaf Center soit revenu dans la lumière pour mieux disparaître à nouveau.
Nina Strebelle
P.S. : Comme toutes les sorties du label Type, "Owl Splinters" est disponible en streaming sur typerecords.com
Vachement bien. J'ai reçu le CD sans me rappeler le pourquoi de la commande initiale : heureuse surprise.
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