Face à un si jeune talent, on ne peut être qu'à la fois craintif et admiratif. Nicolas Jaar a 21 ans, fait de la musique depuis ses 14 ans et sort son premier album : "Space Is Only Noise". On est loin cependant des plaisirs trop immédiats et du manque de subtilité. Nicolas Jaar sort des codes de la musique house pour les réinventer et s'en jouer avec une clairvoyance déroutante. On se souvient déjà qu'en 2010, il sortait le très bon EP "Time For Us" dont la chanson-centrale dansait sur un groove assassin (à noter que Nicolas Jaar a passé son enfance au Chili) mêlé à une exposition sonique subtile et fine. A l'image de cet EP, "Space Is Only Noise" navigue entre des eaux spleenitiques et des torrents clubs, il bourlingue avec mélancolie sur de chaudes vagues populaires.
(Être fait ouvrir l'album à la voix de Jean-Luc Godard)
Dès les premières secondes de l'album, Nicolas Jaar décrit l'œuvre qu'il propose : intellectuelle. Ouvrir son LP avec la voix de Jean-Luc Godard, comme il le fait, c'est signifier sa volonté de symboliser un certain élitisme (surtout venant de la part d'un anglophone). C'est un risque autant qu'un atout. C'est annoncer un album qui sera d'emblée aussi critiquable que rempli d'espoirs. Mais c'est surtout prendre le risque de tomber dans le cliché intellectuel, où l'on se perd dans les références à des références, où l'on cimente un néant ostentatoire. La prétention est nauséabonde lorsqu'elle est illégitime. Avec "Space Is Only Noise", il n'en est rien pourtant, car les références proposées (en plus de Godard sur Être, on peut entendre également le poème de Tristan Tzara et la voix de Ray Charles sur I Got A Woman) ne sont en aucune façon déplacées et s'imbriquent toujours parfaitement dans l'atmosphère des morceaux.
(Too Many Kids Finding Rain In The Dust)
Nicolas Jaar surprend par sa maitrise des codes de la musique club et s'amuse pourtant à les déconstruire. Sur "Space Is Only Noise", on oublie les beats carrés, les nappes sonores prévisibles, les climax trop clichés, les samples entendus et ré-entendus. Cet album renferme son lot d'originalités soniques et de perversions rythmiques et c'est d'ailleurs peut-être là un reproche que certains pourront lui faire : il est parfois un peu trop opaque et réservé à un public averti, capable de l'écouter. Si la musique de Jaar est par essence digne d'être jouée en club, un public lambda dansera difficilement sur ses beats, qui seront davantage destinés aux enceintes des boites les plus audacieuses (m'enfin on ne va tout de même pas lui reprocher de faire une musique intelligente, pas nous...). Et alors que la forme subjugue, le fond touche et émeut. "Space Is Only Noise" est l'œuvre d'un homme de 21 ans et on le ressent. Là où la mélancolie qui s'échappe de cet album aurait pu être un inconvénient vis à vis du genre musical, il ressort au contraire une ambiance douce et pudique. L'essence du spleen de Jaar, sans être excessive ou vulgaire, donne à cet album sa couleur si particulière.
(Space Is Only Noise If You Can See)
On aurait pu craindre de voir le jeune Jaar sombrer dans un mal du siècle vulgaire et broyer du noir sans retenue ni pudeur. Pourtant, et c'est cela qui fait la grande beauté de cet album, "Space Is Only Noise" parvient parfaitement à retenir sa noirceur ainsi que sa condescendance tout en s'aliénant un large public. Sans jamais sombrer dans le pathos, l'émotion n'est pas grossière et la grandiloquence est tempérée. C'est un album important qui ne connait que peu de défauts, une pièce originale, belle et mélancolique, le zeitgeist parfait d'une époque au rire triste.
Julien Masure
Tiens ça m'intéresse, j'avais déjà noté son nom dans un coin et tout ça me confirme qu'il faut que j'y jette une oreille !
RépondreSupprimerEst ce que vous save d'ou vient le sample de Godard sur être ?
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