C'est entendu.

mardi 1 février 2011

[Vise un peu] The Dirtbombs — Party Store

Les Dirtbombs sont un groupe de garage rock un peu particulier. Déjà à cause de leur line-up avec deux bassistes et deux batteurs, mais aussi à cause de leur penchant pour les reprises plus ou moins inattendues : leur album ayant eu le plus de succès, l'excellent "Ultraglide in Black", consistait en effet quasi-intégralement en des reprises de classiques soul, R&B et classiques Motown, un cocktail réjouissant de sensualité, de groove, d'énergie rock et de punk qui tache, hommage réussi à la musique qui avait bercé l'enfance du chanteur Mick Collins. Pas que les Dirtbombs ne savent faire que ça, bien sûr, leurs compositions originales étant également plus qu'honorables, bourrées d'énergie et de refrains entraînants, toujours entre la classe, la pop et le brut de décoffrage, bref, du très bon garage rock (si on l'excepte le foutage de gueule noise sans queue ni tête Race to the Bottom sur "We Have You Surrounded", album plus que sympathique en dehors de ça (*)).

Dix ans après "Ultraglide in Black", les Dirtbombs nous proposent un autre album de reprises, qui cette fois rend hommage à un genre musical tout autre et néanmoins originaire de leur ville… la techno de Détroit. Oui, "Party Store" consiste bien en des reprises façon garage rock de pistes de techno. Avouez qu'il fallait oser. Mais l'audace ne vaut pas grand chose si le résultat ne tient pas la route, et pour le coup on attendait les Dirtbombs au tournant : avec un concept pareil, on était en droit d'avoir peur du résultat…

Une question se pose déjà : comment aborder un tel album ? (On peut en débattre mais selon moi un disque de reprises est une œuvre intrinsèquement seconde, qui ne doit pas se juger uniquement "pour elle-même" mais également par rapport aux pistes originales…) Ne connaissant pas grand chose à la Detroit techno, j'ai alterné les écoutes des pistes originales et des reprises des Dirtbombs. Et là, surprise : malgré tout a priori qu'on aurait pu avoir, plusieurs des originales semblaient presque faites pour être reprises de cette manière. Leurs mélodies s'adaptent très bien à la guitare et à l'esthétique parfois déjà répétitive de certains des morceaux du répertoire des Dirtbombs. Dans plusieurs cas, ces derniers donnent un coup de jeune à des ancêtres techno dignes de respect, toujours efficaces mais peut-être un peu trop engoncés dans des sons qui paraissent aujourd'hui manquer d'énergie et parfois plombés par des chants qui ne tiennent pas toujours la route (je pense surtout à A Number of Names).

Tenez, écoutez ce que ça donne sur Cosmic Cars de Cybotron — l'originale semble léviter sur des spatioroutes en plastique éclairées par des néons funky, mais les Dirtbombs y vont pied au plancher et balancent une bonne couche crasseuse de bitume et de rock là-dedans :



Ci-dessus, l'originale de Cybotron (1982).
Ci-dessous, la reprise des Dirtbombs (2011).


Bien sûr, toutes les reprises ne produisent pas les mêmes effets. Par exemple la réinterprétation de Strings of Life de Rhythim Is Rhythim (a.k.a. Derrick May) se situe quand même en-dessous de la piste originale, et si on peut apprécier le fait que la reprise soit une vraie transformation, c'est tout de même une composition sacrément trippante à la base qui ne devient rien de plus qu'une sympathique instrumentale.

Dans l'ensemble, pourtant, les nouvelles versions sont tout à fait réussies, avec des mentions spéciales pour Good Life (Inner City) ou Bug in the Bassbin (Innerzone Orchestra a.k.a. Carl Craig, qui durait une dizaine de minutes à l'origine et atteint le double chez les Dirtbombs sans que la chanson n'en souffre).



Au dessus, Shari vari par les Dirtbombs.
Au dessous, l'originale, par A Number of Names (1981).



Cela dit, trêve de comparaisons : si vous aimez le garage rock et pas particulièrement la techno, si vous ne connaissez pas et n'avez pas particulièrement envie de connaître les originales, apprécierez-vous "Party Store" ? Eh bien je ne vais pas vous le cacher, les reprises conservent la répétitivité des pistes originales, et si le son garage rock appliqué aux classiques techno aurait pu paraître irrévérencieux dans le concept, il n'en est rien sur le résultat final : on sent que le groupe a voulu rendre un hommage sincère à ces classiques, et n'a pas hésité à faire le grand écart pour s'y plier, quitte à s'aliéner quelques auditeurs, ce qui est à mon avis tout à son honneur, et si le résultat peut paraître déstabilisant de prime abord, c'est parce que le concept de "Party Store" implique un processus de défamiliarisation qui nous force à remettre en question nos repères : à l'écoute du son garage rock, on s'attend à des compositions garage rock, et il faut un moment pour accepter que ce n'est pas là ce que le groupe nous propose. Le sentiment de déception que l'on peut ressentir au début est normal : j'avais ressenti le même à l'écoute de disques d'ambient techno ou d'autres musiques qui associent les sons d'un style musical avec les structures d'un autre. Mais après quelques écoutes, ce mélange d'énergie brute et humaine que l'on trouve dans le son du garage rock et d'énergie dansante hypnotique propre aux structures techno finit par faire sens, l'originalité et l'énergie de "Party Store" révèlent toute leur puissance, on se met à avoir sérieusement envie de bouger sur Cosmic Cars, de danser sur Good Life, ou encore de se poser tranquillement sur le jam de Bug in the Bassbin.

(Le groupe nous réserve aussi une petite blague pour la fin (je ne devrais peut-être pas vous gâcher la surprise, mais bon) : 謎のミスタ-ナイソ (Detoroito Mix), une piste au son très techno, semblerait être la plus proche de l'obscure originale qu'elle ré-interprèterait, qu'on imaginerait sortie sur un 7" obscur d'un label japonais épuisé depuis quinze ans vu le titre. En réalité c'est… la seule composition originale du disque. Rien à redire si ce n'est : bien joué.)

"Party Store" est une hybridation réussie, un hommage qui réjouit par sa sincérité, un disque qui déstabilise avant de séduire et qui fonctionne en partie grâce à son caractère improbable ; vous aurez peut-être du mal à vous y faire, mais donnez-lui sa chance, vous ne le regretterez pas !


— lamuya-zimina




(*) : Anecdote hors sujet, mais assez cool pour être signalée : la piste en question (qui n'a donc quasiment aucun intérêt) était sortie en version étendue de 23 minutes sur un vinyle 12 pouces… avec un concept amusant : les acheteurs étaient invités à détruire le disque de la manière la plus créative possible, puis à envoyer les débris à la maison de disques, en échange de quoi ils recevaient un vinyle 7 pouces exclusif.

6 commentaires:

  1. J'aime beaucoup le concept et les roustons qu'il faut pour se lancer dans un tel projet, et le résultat, ni du garage ni de la techno est extrêmement intéressant. C'est une super bonne surprise ! Ma favorite doit être Shari vari.

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  2. C'est fou comme de mon côté, ces deux exemples me donnent plutôt l'impression d'une perte d'identité totale dans les reprises, pour aller vers quelque chose de beaucoup plus basique et conventionnel. Hormis la production de meilleure facture, je préfère en tout point les morceaux originaux qui sont très très bons. Du coup, je vais chercher les références, merci !

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  3. "Dans plusieurs cas, ces derniers donnent un coup de jeune à des ancêtres techno dignes de respect, toujours efficaces mais peut-être un peu trop engoncés dans des sons qui paraissent aujourd'hui manquer d'énergie et parfois plombés par des chants qui ne tiennent pas toujours la route (je pense surtout à A Number of Names)."

    "hormis la production de meilleure facture"

    > vous êtes complètement graves.

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  4. Sois pas vénère. Je pense que par "meilleure", lamuya entendait surtout "plus moderne". Enfin je l'ai compris comme ça.

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  5. superbixen : Je ne veux pas insinuer que les reprises des Dirtbombs pourraient "remplacer" ou "améliorer" les originales (ça serait quand même un peu gros) ; c'est juste que le changement de style permet de les apprécier par un autre angle, plus à mon goût aujourd'hui. : )

    J'aime les originales, mais ma première impression a été de les trouver vieillies au niveau du son (et je persiste à trouver que le chant original de Share Vari est un peu naze) ; après, c'est sans doute juste une question d'habitude !



    Barnaboum : Si tu veux les références des originales :

    Cybotron — "Cosmic Cars"
    A Number of Names — "Share Vari"
    Inner City — "Good Life"
    Rhythim Is Rhythim — "Strings of Life"
    Cybotron — "Alleys of Your Mind"
    Innerzone Orchestra — "Bug In the Bassbin"
    The Aztec Mystic — "Jaguar"
    DJ Assault — "Tear the Club Up"

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  6. Merci beaucoup, c'est très sympathique.

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