La deep house, ce genre de musique électronique à la fois posée, dansante et planante, au tempo modéré et aux influences jazz et soul, née dans les années '80 dans les communa… — bon, d'accord, je ne vais pas vous mentir, je ne connais qu'assez mal l'histoire de la musique électronique (même si j'en écoute beaucoup) et presque pas du tout l'histoire de la house ou de ses sous-genres.
J'ai accès (comme presque tout le monde aujourd'hui) quasi-instantanément à presque tous les courants musicaux de toutes les décennies récentes, je découvre je ne sais combien d'albums par mois de façon souvent dé-contextualisée, et les histoires de chaque mouvement musical m'échappent en partie. Même si je ne le fais pas exprès, j'ai tendance à dissocier inconsciemment les musiques et les contextes dans lesquels elles sont nées : la musique est toujours présente à mes oreilles quand je l'écoute, alors que le contexte me paraît souvent passé, lointain… Même dans le cas des genres et tendances actuelles, j'ai tendance à voir les "mouvements" de loin, je ne m'y identifie pas vraiment, et ça ne me dérange pas plus que ça.
Ne croyez pas que je regrette entièrement ou que je critique ce mode d'écoute. Je préfère largement baigner dans un océan de son avec des milliers de musiques à portée d'oreille, dans ma bulle, plutôt que d'errer à nouveau en cette période pré-internet lorsque je ne connaissais quasiment rien en musique (à part ce que mes proches écoutaient et ce qui passait à la radio et à la télé) et lorsque je n'écoutais que des musiques "proches de moi" (appartenant à des courants dont je croyais faire partie). Et pourtant…
(Brenda's $20 Dilemma)
Quand j'ai entendu "Midtown 120 Blues" pour la première fois, cet album que l'on m'avait présenté comme un excellent disque de deep house, j'ai "seulement" entendu un excellent disque de deep house. Un album de house quasi-parfait, en réalité. Sorti en 2009, "Midtown 120 Blues" est irréprochable et il est devenu mon album préféré dans ce genre-ci : beats posés mais efficaces, mélodies accrocheuses, belle richesse et profondeur de son, une ambiance souvent nostalgique et toujours prenante, un final parfait sur une note optimiste… sur les 80 minutes de l'album, il n'y a que Ball'r (Madonna-Free Zone) qui se révèle moins séduisante et encore. (Écoutez l'album au casque ou avec une bonne sono si vous en avez une, c'est un vrai plaisir.)
Certes, je me demandais ce que DJ Sprinkles racontait dans l'intro (je ne comprenais pas tout), et le fait que le sample "Sisters, I don't know what this world is coming to !" provienne d'une voix d'homme sur la piste du même nom m'avait paru surprenant au début, mais je n'y ai pas tout de suite accordé plus d'importance que ça…
(Sisters, I Don't Know What This World Is Coming To)
Après des mois de recherche (le CD est sorti sur un label japonais), et d'attente (en écoutant, je l'avoue, l'album au format illégalement digital), lorsque j'ai enfin reçu le disque et me suis penché avec curiosité sur le livret… surprise ! Je me suis rendu compte que "Midtown 120 Blues" n'était pas qu'un disque de house, c'était aussi un disque sur la house, et par dessus tout sur la manière dont DJ Sprinkles (de son vrai nom Terre Thaemlitz) lui-même avait vécu, avec ses proches, les débuts de ce mouvement. Deuxième surprise : je ne me fichais pas de tout ça, loin de là. Les quelques textes, samples et notes expliquaient et résonnaient parfaitement avec cette mélancolie au cœur de la musique.
Terre Thaemlitz n'est pas qu'un DJ et musicien, c'est aussi un vidéaste et un activiste, qui explore notamment les questions d'identité ; d'identité sexuelle surtout (Terre est aussi transgenre) mais aussi sociale, linguistique, d'ethnie ou encore de classe. J'ai écouté deux autres de ses albums et parmi ceux-là il en est un en particulier, "Soil", qui me parait tout aussi chargé de sens et cela, sans aucune parole (simplement au moyen de samples) et sans être assommant ou moralisateur ; tout comme Orbital (sur l'excellent "Snivilisation" ou le chef d'œuvre "In Sides"), Terre Thaemlitz montre qu'il est également possible de créer de la musique avec un message dans le domaine de l'électronique, et ce, sans avoir besoin de paroles et surtout sans altérer le plaisir d'écoute.
(The Occasional Feel-Good)
Si tout cela ne vous intéresse pas, vous pouvez aussi laisser ce contexte de côté et prendre beaucoup de plaisir à écouter "Midtown 120 Blues" ; vous raterez quelque chose mais vous passerez tout de même un excellent moment. Certes, si vous cherchez un album qui bouge à fond et vous donne la pêche, ou si vous n'aimez pas la house à la base, "Midtown 120 Blues" ne fera pas votre affaire. Mais si vous cherchez un album pour l'écoute à la maison, au calme, avec une forte ambiance, des beats mine de rien très entraînants, une histoire et surtout une véritable âme, ne passez pas à côté de cet album.
J'ai accès (comme presque tout le monde aujourd'hui) quasi-instantanément à presque tous les courants musicaux de toutes les décennies récentes, je découvre je ne sais combien d'albums par mois de façon souvent dé-contextualisée, et les histoires de chaque mouvement musical m'échappent en partie. Même si je ne le fais pas exprès, j'ai tendance à dissocier inconsciemment les musiques et les contextes dans lesquels elles sont nées : la musique est toujours présente à mes oreilles quand je l'écoute, alors que le contexte me paraît souvent passé, lointain… Même dans le cas des genres et tendances actuelles, j'ai tendance à voir les "mouvements" de loin, je ne m'y identifie pas vraiment, et ça ne me dérange pas plus que ça.
Ne croyez pas que je regrette entièrement ou que je critique ce mode d'écoute. Je préfère largement baigner dans un océan de son avec des milliers de musiques à portée d'oreille, dans ma bulle, plutôt que d'errer à nouveau en cette période pré-internet lorsque je ne connaissais quasiment rien en musique (à part ce que mes proches écoutaient et ce qui passait à la radio et à la télé) et lorsque je n'écoutais que des musiques "proches de moi" (appartenant à des courants dont je croyais faire partie). Et pourtant…
(Brenda's $20 Dilemma)
Quand j'ai entendu "Midtown 120 Blues" pour la première fois, cet album que l'on m'avait présenté comme un excellent disque de deep house, j'ai "seulement" entendu un excellent disque de deep house. Un album de house quasi-parfait, en réalité. Sorti en 2009, "Midtown 120 Blues" est irréprochable et il est devenu mon album préféré dans ce genre-ci : beats posés mais efficaces, mélodies accrocheuses, belle richesse et profondeur de son, une ambiance souvent nostalgique et toujours prenante, un final parfait sur une note optimiste… sur les 80 minutes de l'album, il n'y a que Ball'r (Madonna-Free Zone) qui se révèle moins séduisante et encore. (Écoutez l'album au casque ou avec une bonne sono si vous en avez une, c'est un vrai plaisir.)
Certes, je me demandais ce que DJ Sprinkles racontait dans l'intro (je ne comprenais pas tout), et le fait que le sample "Sisters, I don't know what this world is coming to !" provienne d'une voix d'homme sur la piste du même nom m'avait paru surprenant au début, mais je n'y ai pas tout de suite accordé plus d'importance que ça…
(Sisters, I Don't Know What This World Is Coming To)
Après des mois de recherche (le CD est sorti sur un label japonais), et d'attente (en écoutant, je l'avoue, l'album au format illégalement digital), lorsque j'ai enfin reçu le disque et me suis penché avec curiosité sur le livret… surprise ! Je me suis rendu compte que "Midtown 120 Blues" n'était pas qu'un disque de house, c'était aussi un disque sur la house, et par dessus tout sur la manière dont DJ Sprinkles (de son vrai nom Terre Thaemlitz) lui-même avait vécu, avec ses proches, les débuts de ce mouvement. Deuxième surprise : je ne me fichais pas de tout ça, loin de là. Les quelques textes, samples et notes expliquaient et résonnaient parfaitement avec cette mélancolie au cœur de la musique.
"House isn’t so much a sound as a situation. […] The contexts from which the Deep House sound emerged are forgotten: sexual and gender crises, transgendered sex work, black market hormones, drug and alcohol addiction, loneliness, racism, HIV, ACT-UP, Thompkins Sq. Park, police brutality, queer-bashing, underpayment, unemployment and censorship — all at 120 beats per minute. These are the Midtown 120 Blues."S'il s'était agi d'un article, je n'y aurais peut-être pas porté la même attention. Croyez-moi, quand on est déjà séduit(e) par la musique, et lorsque les textes sont là de manière non intrusive (pas sous la forme d'interludes abstraits et non instrumentés comme on en entend trop souvent — même sur de très bons albums), on est bien plus disposé à écouter l'artiste nous présenter ce qui l'a poussé à nous raconter son histoire. D'autant plus lorsqu'il s'agit d'une histoire racontée à la première personne et non à la manière d'un article de Wikipedia.
(lisez l'intégralité de l'intro ici)
Terre Thaemlitz n'est pas qu'un DJ et musicien, c'est aussi un vidéaste et un activiste, qui explore notamment les questions d'identité ; d'identité sexuelle surtout (Terre est aussi transgenre) mais aussi sociale, linguistique, d'ethnie ou encore de classe. J'ai écouté deux autres de ses albums et parmi ceux-là il en est un en particulier, "Soil", qui me parait tout aussi chargé de sens et cela, sans aucune parole (simplement au moyen de samples) et sans être assommant ou moralisateur ; tout comme Orbital (sur l'excellent "Snivilisation" ou le chef d'œuvre "In Sides"), Terre Thaemlitz montre qu'il est également possible de créer de la musique avec un message dans le domaine de l'électronique, et ce, sans avoir besoin de paroles et surtout sans altérer le plaisir d'écoute.
(The Occasional Feel-Good)
Si tout cela ne vous intéresse pas, vous pouvez aussi laisser ce contexte de côté et prendre beaucoup de plaisir à écouter "Midtown 120 Blues" ; vous raterez quelque chose mais vous passerez tout de même un excellent moment. Certes, si vous cherchez un album qui bouge à fond et vous donne la pêche, ou si vous n'aimez pas la house à la base, "Midtown 120 Blues" ne fera pas votre affaire. Mais si vous cherchez un album pour l'écoute à la maison, au calme, avec une forte ambiance, des beats mine de rien très entraînants, une histoire et surtout une véritable âme, ne passez pas à côté de cet album.
— lamuya-zimina
Excellent, merci.
RépondreSupprimerExcellente chronique d'un amateur en musique électronique (comme moi en passant) sur un disque sublime, à écouter absolument.
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