C'est entendu.

lundi 17 mai 2010

[Fallait que ça sorte] Un guide de choix pour vos soirées mondaines... avec Otis Rush !

Il n'y a pas trente six solutions quand on accueille des gens chez soi et que l'on ne connait pas leur goût en matière de son. Soit on place sur la platine la plus infâme des muzaks-torchons et l'on baisse le volume en espérant que la soirée se passe sans accroc (si c'est votre solution, achetez-vous des tripes) ou bien alors on sort sa collection d'enregistrements Deutsche Grammophon qui impressionnera autant qu'elle rassemblera - parce que personne ne dit des choses du genre "Ah non Mozart, je ne peux pas, c'est vraiment NUL" ou "Tu écoutes Schubert, mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?!" et parce que le classique rassemble, il fédère, et tout un chacun a une déférence pour le moins inconsciente vis à vis de tout ça, ce qui évitera à vos convives de vous regarder de travers. La troisième solution (parmi les plus évidentes, soyons d'accord, car vous pouvez fort bien inviter des amis à dîner et leur passer Pere Ubu ou Nico et Dieu sait que je le fais moi-même dès que l'occasion de présente) est de passer un disque enregistré par des africains-américains, comme on dit. Je ne parle pas de "musique noire." Il n'est pas question de faire défiler les enregistrements de Fela Kuti ou Maleem Mahmoud Ghania en espérant voir vos amis se dandiner façon transe chamanique, mais bien de leur proposer une soirée suffisamment rythmée pour que leur repas (ou quelle que soit la raison pour laquelle ils sont là, ce ne sont pas mes affaires) soit le plus chaleureux et mémorable possible.

"Je me demande bien comment je vais trimballer un double LP tout en tenant le guidon..."

A ce compte, le mieux pour faire fondre la glace, c'est encore de préparer votre soirée comme suit : enfourchez votre vélocyclette, foncez jusqu'au plus proche établissement revendeur de ce plaisir que l'on appelle "Musique," asseyez-vous sur le comptoir et demandez à votre interlocuteur de vous fournir son meilleur disque de... tout dépend de l'ambiance que vous souhaitez établir, vous n'avez plus qu'à cocher la case correspondante :

[] J'invite un couple dont j'aimerais bien "serrer" la moitié du sexe opposé au mien.
[] Ce dîner est l'occasion pour moi de renouer avec de vieux amis perdus de vue.
[] Mon meilleur ami est venu boire un verre chez moi pour me parler de sa rupture.

Si vous avez coché la première case, il va de soi que vous repartirez chez vous avec un best of d'Otis Redding, ou le premier album des Meters, si vous avez de la chance. Dans le second cas, il est plus probable que vous vous retrouviez en possession de l'un des innombrables opus de Duke Ellington ou Charles Mingus. Mais vous l'aurez compris, nous nous plaçons ce matin dans la situation où votre BFF se pointe à votre porte, et vous demande la gorge crasseuse d'amertume et de regrets de lui offrir gîte et couvert (et par là il entend de la gnôle) ainsi qu'une oreille qu'il sait déjà offerte. Il n'y a pas trente six solutions, ce qu'il vous faut se trouve dans le bac marqué "Blues" et pas la peine de demander conseil à l'employé du mois, je brise le suspense, vous cherchez "Otis Rush, 1956-1958 : His Cobra Recordings."


Avec ça vous aurez de quoi éprouver la catharsis de votre compère ou consœur qui pourra gracieusement vous dévoiler les plus sordides détails d'une phase de vie dont il ou elle doit se purger, pendant qu'Otis, accompagné tour à tour de Willie Dixon ou Ike Turner, mettra sa peine en forme et exorcisera à coups de "baby" les sombres pensées de la personne en face de vous, histoire de tuer dans l'œuf son désir de fumer des mauves dès le lendemain. C'est Otis Rush qui en chantant If you were mine comme si sa vie en dépendait l'aidera à tirer un trait sur l'objet de son désarroi. C'est Otis Rush qui, moqué par sa section cuivre sur Checking on my baby, lui rappellera qu'il est important de tourner la page avant d'avoir l'air d'une poire. C'est Otis Rush, dont le jeu de guitare frappadingue sur Double Trouble lui fera relever le nez pour vous demander "On écoute qui, là, en fait ?"


(I can't quit you baby)

Et vous de répondre, le sourire du travail accompli au coin des lèvres, qu'il s'agit d'un "type qui a enregistré une série de singles blues à Chicago à la fin des années 50, dont la toute première version du I can't quit you baby écrite par Willie Dixon, tu sais celle que reprenaient Led Zeppelin ? D'ailleurs Dixon joue sur le disque et produit, pas mal non ?"
Lorsqu'il ou elle opinera du chef avant de commencer à remuer ses orteils en rythme, vous pourrez remercier le blues, Otis, votre disquaire et le présent article (dans cet ordre) de vous avoir épargné un mois et demi de pleurnicherie incessante et d'avoir permis à deux personnes de passer une soirée moins désagréable que prévu.


Joe Gonzalez


P.S. : Si vos amis ont une dent contre la musique africaine-américaine ou "noire," changez-en.

4 commentaires:

  1. Je valide le Duke Ellington pour la deuxième option, ça fonctionne.
    Par contre pour la première j'avais essayé avec les Cramps, mais ça n'a pas marché ...

    Je n'ai pas été confronté au cas d'amis dépressif, encore alors j'écoute mes albums de blues tout seul... C'est chouette, non ?

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  2. Chouette article oui, qui donne de bonnes idées de trucs à écouter.

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