Je m'étais un peu préparé pour ce concert. J'avais les cheveux gras et trop longs, la barbe moche, le tee-shirt de groupe trop grand troué sur le coté, un air fatigué et des boules Quiès. Hé, j'allais pas voir n'importe qui. Si les 80's sont une mini-préhistoire de nos jours, alors Dinosaur Jr. sont exactement ce que leur nom indique. Des jeunes vétérans, des nouveaux vieux rockeurs, actifs (par intermittence) depuis 1983, fraichement reformés il y a 4 ans avec le line-up originel (J Mascis à la guitare, Lou Barlow à la basse et Murph à la batterie), dont le meilleur album - à mon avis - a déjà 22 ans (à savoir You're Living All Over Me, ça tombe bien, ils en ont joués 5 extraits). Curieusement, ce n'est pas spécialement un public de nostalgiques bedonnants qui remplit l'Elysée Montmartre ce soir, mais un public plutôt varié, assez jeune et plutôt branché, ce qui en dit long sur l'image "groupe culte transgénerationnel du rock alternatif américain" de Dinosaur Jr.
Mais pour l'heure, à savoir 19h30 pétantes, ce sont les jeunes anglais de Johnny Foreigner qui arrivent sur scène dans une salle pas très remplie. Qu'est ce qu'ils faisaient là ? Ils n'en savent pas plus que nous, tout surpris d'ouvrir pour des mastodontes pareils lors d'une date hors d'Angleterre. Visiblement un peu stressés, et essayant de cacher leur gène via de nombreuses blagues entre les morceaux (genre "Vous avez vu la taille de mon ampli par rapport à ceux de Dinosaur Jr? Bon sang, je suis jaloux"), le trio est clairement un groupe-de-rock-post-ado-un-peu-amateur des 00's. Si les groupes du même genre dans les 60's jouaient tout leurs morceaux avec les money chords du blues ou si ceux des 90's faisaient des jams grunge mous, les groupes-de-rock-post-ado-un-peu-amateurs des 00's jouent un rock de gens un peu mélancoliques qui ont écoutés beaucoup de musiques différentes et qui sont plutôt hyperactifs. Tout y est pour un rock très marqué par notre époque : voix hurlées en chœur un peu émo, morceaux rapides et remplis de breaks, petit synthétiseur 8 bit (le guitariste jouera même à la guitare le thème de Super Mario dans un solo), suites d'accords indé avec accords mineurs, passages plus bruitistes très gentils, ils sont le résultats de mille influences plus ou moins bien digérées. Si l'ensemble est caractérisé par une énergie très sympathique, un coté "on joue à 100 à l'heure, quitte à ce que ce soit brouillon" forcément attachant et quelques très bonnes idées (comme la technique de riffs/solos en tapping du guitariste, oui, du bon tapping, c'est assez rare pour être noté), il faut bien dire que le tout manque un peu de personnalité et de morceaux marquants pour l'instant. Mais on ne peut que souhaiter un avenir radieux à Johnny Foreigner, histoire qu'ils puissent quitter leur ville (je cite : "Vous avez déjà été à Brighton? Oui? Mais pourquoi? Vous vous étiez perdus?") et passer plus à la radio. Parce que dans un monde plus juste, ce sont des gens comme eux qui passeraient sur les radios rock. Ça ne me ferait pas plus écouter ces stations, mais ça ferait plaisir.
Après ça, les glandeurs (mais sûrement amateurs de musique) qui étaient au bar ou qui fumaient dehors arrivent tous et la salle semble soudain beaucoup plus remplie. Les premiers réglages de basse et de guitare faits par des roadies qui ont la tête de fans de Dinosaur Jr. annoncent rapidement la couleur : ça va jouer très fort. Ici, une pensée émue pour les gens qui n'avaient pas de protections auditives pour ce concert. 20h40, nos quarantenaires arrivent sur scène exactement comme on les imagine, surtout J Mascis : cheveux blancs immaculés et trop longs, tee-shirt de groupe et surtout dégaine d'une lenteur pas possible, marchant presque au ralenti avec l'air endormi. Il pose ses lunettes, il prend sa guitare, il s'accorde, il nous lache un petit "ahhhh... good evening", et c'est "The Lung" qui lance le concert. Dès le début, on voit que tout est là. La batterie qui tape fort, la basse qui porte le morceau, et cette guitare lead absolument géniale : c'est une machine à remonter le temps, on a Dinosaur Jr. devant nous, les vrais, les originaux. Tout est dit dès le premier solo de guitare qui déchire les tympans. Et quand tout explose sur la coda parfaite, on aurait l'impression que ces types n'ont pas veillis. Tout le concert alternera entre vieux classiques que tout le monde attend (ah, quand "Freak Scene" à commencé, ça a plus hurlé que pour n'importe quel morceau récent, alors qu'un morceau comme "Pieces" a bénéficié d'une interprétation géante) et les meilleurs morceaux de leur dernier album trop long, Farm, sorti il y a quelques mois. Le concert finalement ressemble presque à un album normal de Dinosaur Jr. : des morceaux qui se ressemblent un peu tous mais qui ont une belle homogénéité et une puissance folle, des solos tout le temps et Lou Barrow qui à le droit de caser 2 de ses morceaux (dont le très chouette "Imagination Blind" qui cloture Farm), un Lou Barlow dont le jeu de basse (c'est la semaine de la basse sur C'est Entendu, j'en profite) est très puissant, brutal, avec des accords plaqués qui sonnent comme si il jouait une grosse guitare, et des tas d'idées géniales qui rappellent la définition du bon bassiste : celui qu'on n'entend pas en premier, mais qui se révèle être la fondation du morceau et qui le rend encore plus génial. Et puis quelle dégaine. Quand j'aurais 43 ans, j'aimerais bien être aussi classe que Lou Barlow quand il lance sa basse en avant avec une savante désinvolture.
Mais maintenant, la question se pose : qu'est ce qu'un bon groupe live? Est-ce un groupe qui interprète ses titres avec talent sur scène ou bien est-ce un groupe qui offre un peu plus que ça? Parce qu'à part la musique, Dinosaur Jr. n'a rien offert d'autre ce soir là (ce qui confirme en soi le coté un peu shoegaze qu'à toujours eu le groupe). Aucun contact avec le public (total des mots en direction du public? environ 10 en 1h30) , Mascis qui garde les yeux fermés pendant les trois quarts du concert (il faut dire qu'il est complètement bigleux), joue mollement sans vraiment faire d'efforts et qui ne peut pas s'empêcher de faire des petites improvisations chiantes à la guitare entre chaque morceaux, plus pour passer le temps qu'autre chose. Et puis cette sensation de routine quand même, que ça les amuse plus vraiment. Pas un sourire, on dirait qu'ils se détestent comme en 1989, ou non, pire, qu'ils sont indifférents à ce qu'ils font. Si Mascis n'avait pas esquissé un petit signe d'effort pendant le (très) long solo de "I Don't Wanna Go There", on aurait pu croire qu'il était entièrement en pilote automatique. Il faut dire, rejouer les mêmes morceaux tout le temps et dans le même ordre (ayant regardé les set-lists de leurs précédents concerts, j'ai pas été surpris à un seul moment il faut bien dire), c'est peut être ennuyeux. Mais que cette sensation d'ennui se transmette un peu au public vers le milieu du concert, c'est dommage. A coté de moi, des gens partageaient un petit goût de déception : "c'est abusé, on n'entend que la guitare et même pas la voix". C'est ça Dinosaur Jr. sur scène : un guitariste qui n'attend que les solos, et une section rythmique qui fait très bien son boulot, même si ça reste juste un boulot. Alors certes, les versions de "Feel The Pain" ou du parfait "Little Fury Things" étaient géniales, les fans étaient heureux, c'était très réussi musicalement. Mais quand le rappel se termine par le sacro-enchainement "Kracked-Sludgefeast" et que le groupe pose rapidement ses instruments pour se barrer sans dire au revoir, la régie lançant la musique de fond super rapidement pour dire "non non, essayez même pas d'avoir un deuxième rappel", et bien malgré l'interprétation sans faute de ces morceaux excellents, on quitte la salle (à 22h10 !!) avec un petit goût amer dans la bouche. On n'a pas assisté à un "vrai concert". Juste des gens sur une scène qui jouaient et des gens dans la salle qui écoutaient. Oh, certes, certains diront que c'était déjà très bien comme ça. Ils n'ont pas tort. Tant mieux pour eux. Il nous reste les CD pour nous autres. Et la confirmation que, finalement, non, on n'est plus en 1987.
Emilien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire